Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (Re), 2024 CI 35
Date : 2024-06-03
Numéro de dossier du Commissariat : 5819-00985
Numéro de la demande d’accès : A-2018-00032
Sommaire
La partie plaignante allègue que le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (CRSH), en réponse à une demande d’accès, a erronément refusé de communiquer des renseignements en vertu de l’alinéa 16(2)c) (faciliter la perpétration d’une infraction), du paragraphe 19(1) (renseignements personnels) ainsi que des alinéas 20(1)c) (pertes ou profits financiers d’un tiers), 20(1)d) (négociations d’un tiers), 21(1)a) (avis ou recommandations) et 21(1)b) (comptes rendus de consultations ou de délibérations) de la Loi sur l’accès à l’information. La demande vise à obtenir des renseignements relatifs aux exigences en matière de reddition de comptes à la population et de transparence relativement à l’équité, à la diversité et à l’inclusion (EDI) des Chaires de recherche du Canada. L’allégation s’inscrit dans le cadre de l’alinéa 30(1)a) de la Loi.
L’application de l’alinéa 16(2)c) n’est plus visée par la plainte.
Au cours de l’enquête, le CRSH a aussi décidé d’invoquer l’alinéa 20(1)b) (renseignements financiers, commerciaux, scientifiques ou techniques confidentiels de tiers) pour refuser la communication de certains renseignements.
Le CRSH a démontré que les renseignements non communiqués en vertu du paragraphe 19(1) satisfaisaient à tous les critères de cette exception.
Le CRSH n’a pas pu démontrer que les autres renseignements satisfaisaient aux critères des alinéas 20(1)b), 20(1)c) et 20(1)d).
Les renseignements de nature factuelle ou objective ne satisfaisaient pas non plus aux critères des alinéas 21(1)a) et 21(1)b).
La Commissaire à l’information a ordonné au CRSH de communiquer tous les renseignements caviardés, à l’exception de ceux qui satisfont aux critères du paragraphe 19(1) et/ou des alinéas 21(1)a) et/ou 21(1)b).
Le CRSH a avisé la Commissaire qu’il donnerait suite à l’ordonnance.
La plainte est fondée.
Plainte
[1] La partie plaignante allègue que le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (CRSH), en réponse à une demande d’accès, a erronément refusé de communiquer des renseignements en vertu de l’alinéa 16(2)c) (faciliter la perpétration d’une infraction), du paragraphe 19(1) (renseignements personnels) ainsi que des alinéas 20(1)c) (pertes ou profits financiers d’un tiers), 20(1)d) (négociations d’un tiers), 21(1)a) (avis ou recommandations) et 21(1)b) (comptes rendus de consultations ou de délibérations) de la Loi sur l’accès à l’information. La demande vise des renseignements relatifs aux exigences en matière de reddition de comptes à la population et de transparence relativement à l’équité, à la diversité et à l’inclusion (EDI) des Chaires de recherche du Canada. L’allégation s’inscrit dans le cadre de l’alinéa 30(1)a) de la Loi.
[2] Au cours de l’enquête, la partie plaignante a décidé qu’il n’était plus nécessaire pour le Commissariat à l’information de mener une enquête sur le refus par le CRSH de communiquer des mots de passe et des codes. Étant donné qu’il s’agissait des seuls renseignements faisant l’objet d’un refus de communication en vertu de l’alinéa 16(2)c), aucun autre renseignement n’était visé par ce même paragraphe dans le cadre de la plainte; il n’était donc plus nécessaire d’examiner cette exception.
Enquête
[3] Lorsqu’une institution refuse de communiquer des renseignements, y compris les renseignements des tiers, il incombe à ces tiers et/ou à l’institution de démontrer que ce refus est justifié.
[4] Au cours de l’enquête, le CRSH a décidé d’invoquer également l’alinéa 21(1)a) pour refuser de communiquer des renseignements aux pages 150-153 et l’alinéa 21(1)b) pour refuser de communiquer des renseignements à la page 165. Dans ses observations, il a aussi affirmé que des renseignements aux pages 122-127 sont visés par l’alinéa 20(1)b).
[5] Le Commissariat a demandé des observations à tous les tiers, qui sont des universités, conformément à l’alinéa 35(2)c). En réponse, certaines universités ont présenté des observations à l’appui de l’application des exceptions, certaines universités ont donné leur consentement ou n’ont plus de préoccupation quant à l’entière communication des renseignements les concernant, certaines universités n’ont pas répondu et une université a déclaré ne pas avoir de commentaire.
[6] Comme l’exige l’article 36.3, j’ai avisé les tiers concernés de mon intention d’ordonner au CRSH de communiquer certains des renseignements en cause.
Paragraphe 19(1) : renseignements personnels
[7] Le paragraphe 19(1) exige que les institutions refusent de communiquer des renseignements personnels.
[8] Pour invoquer cette exception, les institutions doivent démontrer ce qui suit :
- les renseignements concernent une personne, c’est-à-dire un être humain, et non une société;
- il y a de fortes possibilités que la divulgation de ces renseignements permette d’identifier cette personne;
- les renseignements ne sont pas assujettis à une des exceptions prévues aux alinéas 3j) à 3m) de la Loi sur la protection des renseignements personnels applicables à la définition de « renseignements personnels » (p. ex. les coordonnées professionnelles des fonctionnaires).
[9] Lorsque ces critères sont satisfaits, les institutions doivent alors se demander si les circonstances suivantes (énumérées au paragraphe 19(2)) existent :
- la personne concernée par les renseignements consent à leur divulgation;
- les renseignements sont accessibles au public;
- la communication des renseignements serait conforme à l’article 8 de la Loi sur la protection des renseignements personnels.
[10] Lorsqu’une ou plusieurs de ces circonstances existent, le paragraphe 19(2) de la Loi sur l’accès à l’information exige que les institutions exercent raisonnablement leur pouvoir discrétionnaire pour décider si elles doivent communiquer ou non les renseignements.
L’information satisfait-elle aux critères de l’exception?
[11] L’examen des renseignements en cause montre de façon évidente que les renseignements satisfont aux critères du paragraphe 19(1), dans le sens où ils concernent des personnes nommées qui sont clairement identifiables et où ils ne sont pas visés par l’une des exceptions prévues aux alinéas 3j) à m) de la Loi sur la protection des renseignements personnels applicables à la définition de « renseignements personnels ».
[12] Je suis également d’avis que les autres renseignements caviardés en vertu du paragraphe 19(1) – à savoir des parties des renseignements aux pages 149, 150, 153, 158, 161-162, 165-166 et 168-174 ainsi que la totalité de l’information aux pages 163, 164 et 176 – consistent en des renseignements personnels concernant des individus identifiables. Durant l’enquête, le CRSH a affirmé qu’aucune autre partie de ces pages ne pouvait être divulguée sans créer un risque d’identifier les individus concernés.
[13] Dans l’affaire Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Bureau canadien d’enquête sur les accidents de transport et de la sécurité des transports), 2006 CAF 157, la Cour d’appel fédérale a mentionné « [qu’un] individu "identifiable" est une personne dont il est raisonnable de croire qu’elle pourra être identifiée à l’aide des renseignements en cause s’ils sont combinés avec des renseignements d’autres sources ». La Cour fédérale a depuis formulé le critère de manière à exiger qu’il y ait de fortes possibilités ou une attente raisonnable qu’une personne puisse être identifiée au moyen des renseignements disponibles [voir Gordon c. Canada (Santé), 2008 CF 258, para 32 à 34; Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2019 CF 1279, (« Ministre de la Sécurité publique »), para 53].
[14] L’expression « fortes possibilités » signifie plus qu’une chance frivole, mais moins que la prépondérance des probabilités, et l’expression « autres renseignements disponibles » ne se limite pas aux renseignements accessibles au grand public, mais peuvent être accessibles uniquement à un sous-groupe plus restreint du public (Ministre de la Sécurité publique, supra, para 65).
[15] Après avoir examiné les renseignements en cause et les observations que j’ai reçues, je suis d’avis que le critère des fortes possibilités est satisfait en ce qui a trait aux autres renseignements non communiqués, puisque d’« autres renseignements disponibles » seraient accessibles à un sous-groupe plus restreint du public. Cette conclusion cadre avec les observations reçues du Commissariat à la protection de la vie privée au cours de l’enquête.
[16] Par conséquent, je conclus que les renseignements satisfont aux critères du paragraphe 19(1).
L’institution a-t-elle exercé raisonnablement son pouvoir discrétionnaire quant à sa décision de communiquer ou non l’information?
[17] Étant donné que les renseignements satisfont aux critères du paragraphe 19(1), le CRSH devait exercer raisonnablement son pouvoir discrétionnaire en vertu du paragraphe 19(2) afin de décider de communiquer ou non les renseignements lorsqu’au moins l’une des circonstances décrites au paragraphe 19(2) existait au moment de la réponse.
[18] J’accepte le fait qu’il aurait été déraisonnable pour le CRSH de demander le consentement des nombreux employés de tiers concernés par les renseignements. Par conséquent, aucun pouvoir discrétionnaire n’a été exercé pour communiquer les renseignements en vertu de l’alinéa 19(2)a).
[19] J’accepte aussi le fait que rien ne permette d’indiquer que la communication serait conforme à l’article 8 de la Loi sur la protection des renseignements personnels, de manière à autoriser la communication des renseignements en vertu de l’alinéa 19(2)c).
[20] En vertu de l’alinéa 19(2)b), le CRSH aurait été tenu d’exercer son pouvoir discrétionnaire si certains des renseignements personnels étaient accessibles au public. Rien n’indique que les renseignements étaient accessibles au public lorsque le CRSH a répondu à la demande d’accès.
[21] Je conclus que les circonstances énoncées au paragraphe 19(2) n’existaient pas lorsque le CRSH a répondu à la demande d’accès. Par conséquent, il n’est pas nécessaire d’examiner la question ayant trait au pouvoir discrétionnaire.
Alinéas 21(1)a) et 21(1)b) : avis ou recommandations et comptes rendus de consultations ou de délibérations
[22] L’alinéa 21(1)a) permet aux institutions de refuser la divulgation d’avis ou de recommandations élaborés par ou pour une institution fédérale ou un ministre.
[23] Pour invoquer cette exception, les institutions doivent démontrer ce qui suit :
- les renseignements sont des avis ou des recommandations;
- les renseignements ont été élaborés pour une institution fédérale ou un ministre.
[24] L’alinéa 21(1)b) permet aux institutions de refuser de communiquer des comptes rendus de consultations ou de délibérations auxquelles ont participé des employés du gouvernement, des ministres ou leur personnel.
[25] Pour invoquer cette exception, les institutions doivent démontrer ce qui suit :
- les renseignements sont un compte rendu, c’est-à-dire un rapport ou une description;
- le compte rendu concerne des consultations ou des délibérations;
- au moins un dirigeant, administrateur ou employé de l’institution ou un ministre ou un membre de son personnel a pris part aux consultations ou aux délibérations.
[26] Pour que ces exceptions s’appliquent, les documents qui contiennent les renseignements doivent avoir été créés moins de vingt ans avant la demande d’accès.
[27] Lorsque ces critères sont satisfaits, les institutions doivent alors exercer raisonnablement leur pouvoir discrétionnaire pour décider de communiquer ou non les renseignements.
[28] Toutefois, le paragraphe 21(2) interdit expressément aux institutions d’invoquer l’alinéa 21(1)a) ou 21(1)b) pour refuser de communiquer ce qui suit :
- des documents qui contiennent les motifs ou les comptes rendus de décisions qui touchent les droits d’une personne prises par les institutions dans l’exercice de leurs pouvoirs discrétionnaires ou dans l’exercice de leurs fonctions judiciaires ou quasi judiciaires;
- des rapports établis par des consultants ou des conseillers qui n’étaient pas, au moment où ces rapports ont été établis, des administrateurs, des dirigeants ou des employés d’une institution ou des membres du personnel du ministre.
L’information satisfait-elle aux critères des exceptions?
[29] Le CRSH a invoqué les alinéas 21(1)a) et 21(1)b), parfois en parallèle avec le paragraphe 19(1), ainsi que les alinéas 20(1)c) et 20(1)d) pour refuser des communiquer des renseignements.
[30] Je conviens que certaines parties des documents en cause, dans lesquelles des avis et recommandations sont fournis ou dans lesquelles les renseignements non communiqués constituent un compte rendu de consultations ou de délibérations, satisfont aux critères de ces exceptions.
[31] Je constate cependant que la dernière phrase sous le titre « 7- Canada 150 Research Chairs » à la page 151 est un renseignement de nature factuelle ou objective qui ne satisfait pas aux critères des exceptions, puisqu’il n’est pas visé par les alinéas 21(1)a) ou 21(1)b) [voir : Canada (Commissariat à l’information) c. Canada (Premier ministre), 2019 CAF 95, para 40].
L’institution a-t-elle exercé raisonnablement son pouvoir discrétionnaire quant à sa décision de communiquer ou non l’information?
[32] Étant donné que les renseignements satisfont aux critères de l’article 21, le CRSH était tenu d’exercer raisonnablement son pouvoir discrétionnaire afin de décider de communiquer ou non les renseignements.
[33] La décision prise par une institution de ne pas communiquer l’information doit être transparente, intelligible et justifiée. L’explication de l’institution est suffisante lorsque cette dernière précise comment la décision a été prise et que les documents relatifs au processus décisionnel permettent de comprendre pourquoi l’institution a procédé comme elle l’a fait. Dans l’affaire Canada (Commissariat à l’information) c. Canada (Premier ministre), 2019 CAF 95, la Cour d’appel fédérale donne des précisions sur ce que doivent faire les institutions pour démontrer l’exercice raisonnable du pouvoir discrétionnaire.
[34] Le CRSH a déclaré qu’il avait pris en considération la nature des renseignements et l’incidence de la divulgation sur de futures discussions internes de ce genre et les relations avec les universités.
[35] Je suis d’avis que le CRSH a pris en considération tous les facteurs pertinents lorsqu’il a décidé de ne pas communiquer les renseignements. Parmi ces facteurs, il y avait la nature des renseignements et l’incidence de la divulgation sur de futures discussions internes de ce genre et les relations avec les universités.
[36] Par conséquent, en ce qui concerne les renseignements qui satisfont aux critères des alinéas 21(1)a) ou 21(1)b), je conclus que l’exercice du pouvoir discrétionnaire par le CRSH était raisonnable.
Alinéa 20(1)b) : renseignements financiers, commerciaux, scientifiques ou techniques confidentiels de tiers
[37] L’alinéa 20(1)b) exige que les institutions refusent de communiquer des renseignements financiers, commerciaux, scientifiques ou techniques confidentiels fournis à une institution fédérale par un tiers (c’est-à-dire une entreprise privée ou une personne, et non pas le demandeur d’accès).
[38] Pour invoquer cette exception, les institutions doivent démontrer ce qui suit :
- les renseignements sont financiers, commerciaux, scientifiques ou techniques;
- les renseignements sont de nature confidentielle;
- le tiers a fourni les renseignements à une institution fédérale;
- le tiers a toujours traité les renseignements comme étant confidentiels.
[39] Lorsque ces critères sont satisfaits et que le tiers auquel les renseignements se rapportent consent à leur divulgation, le paragraphe 20(5) exige que les institutions exercent raisonnablement leur pouvoir discrétionnaire pour décider si elles doivent communiquer ou non les renseignements.
L’information satisfait-elle aux critères de l’exception?
[40] Au cours de l’enquête, le CRSH a brièvement affirmé que les pages 122-127 lui avaient été fournies à titre confidentiel et qu’elles étaient de nature commerciale et technique, qu’elles avaient toujours été traitées comme étant confidentielles et que, bien qu’il n’y ait pas initialement appliqué l’alinéa 20(1)b), elles étaient visées par cette exception.
[41] Cependant, lorsqu’il a eu la possibilité de présenter des observations au sujet d’exceptions qui n’avaient pas initialement été appliquées aux documents, en réponse à ma demande d’observations en vertu de l’alinéa 35(2)b), le CRSH n’a pas mentionné l’alinéa 20(1)b) ni fourni d’observations détaillées supplémentaires expliquant en quoi les renseignements satisfaisaient aux critères.
[42] D’après mon examen des documents et les observations limitées sur l’application de l’alinéa 20(1)b), je ne suis pas convaincue que les renseignements satisfont aux critères de l’exception.
Alinéas 20(1)c) et 20(1)d) : pertes ou profits financiers d’un tiers et négociations d’un tiers
[43] Le CRSH a invoqué l’alinéa 20(1)c) en parallèle avec l’alinéa 20(1)d), et parfois le paragraphe 19(1) et/ou l’alinéa 21(1)a) et/ou l’alinéa 21(1)b), pour refuser de communiquer des parties de la même information.
[44] Lorsque je suis d’avis que le refus de communiquer les renseignements est justifié en vertu du paragraphe 19(1) et/ou l’alinéa 21(1)a) et/ou l’alinéa 21(1)b), je n’ai pas considéré qu’il était nécessaire d’examiner si les mêmes renseignements satisfaisaient également aux critères des alinéas 20(1)c) et 20(1)d). L’application des alinéas 20(1)c) et 20(1)d) a donc été examinée seulement aux pages 1, 2, 5-9, 11-39, 42-53, 55-60, 62-63, 67-71, 74-77, 81-83, 86-88, 91-93, 96-98, 100-105 et 107-147.
[45] L’alinéa 20(1)c) exige que les institutions refusent de communiquer des renseignements dont la communication risquerait vraisemblablement d’avoir une incidence financière importante sur un tiers (c’est-à-dire une entreprise privée ou un particulier, et non pas le demandeur d’accès) ou de nuire à sa compétitivité.
[46] Pour invoquer cette exception relativement aux pertes ou profits financiers d’un tiers, les institutions doivent démontrer ce qui suit :
- la divulgation des renseignements pourrait causer des pertes ou profits financiers appréciables pour le tiers;
- il y a une attente raisonnable que ce préjudice puisse être causé; l’attente doit être bien au-delà d’une simple possibilité.
[47] Pour invoquer cette exception relativement à la compétitivité, les institutions doivent démontrer ce qui suit :
- la divulgation des renseignements pourrait nuire à la compétitivité du tiers;
- il y a une attente raisonnable que ce préjudice puisse être causé; l’attente doit être bien au-delà d’une simple possibilité.
[48] L’alinéa 20(1)d) exige que les institutions refusent de communiquer des renseignements dont la divulgation risquerait vraisemblablement d’entraver les négociations contractuelles ou autres d’un tiers (c’est-à-dire une entreprise privée ou un particulier, et non pas le demandeur d’accès).
[49] Pour invoquer cette exception, les institutions doivent démontrer ce qui suit :
- un tiers mène ou mènera des négociations en vue de contrats ou à d’autres fins;
- la divulgation des renseignements pourrait nuire à ces négociations;
- il y a une attente raisonnable que ce préjudice puisse être causé; l’attente doit être bien au-delà d’une simple possibilité.
[50] Lorsque ces critères sont satisfaits et que le tiers auquel les renseignements se rapportent consent à leur divulgation, le paragraphe 20(5) exige que les institutions exercent raisonnablement leur pouvoir discrétionnaire pour décider si elles doivent communiquer ou non les renseignements.
L’information satisfait-elle aux critères de l’alinéa 20(1)c)?
[51] Les universités qui se sont opposées à la divulgation des renseignements caviardés en vertu de l’alinéa 20(1)c) ont affirmé qu’il y a une attente raisonnable que la communication des renseignements cause des pertes financières ou un préjudice aux intérêts économiques des universités et nuise à leur compétitivité et/ou un risque important pour leur réputation, et/ou qu’elle entraîne une couverture médiatique négative pour elles, et/ou qu’elle ait des répercussions sur leurs processus de recrutement et leur capacité d’attirer et de conserver le personnel et les étudiants.
[52] Le CRSH a affirmé que les renseignements identifient ou permettent d’identifier les universités, et que leur divulgation pourrait vraisemblablement causer des pertes financières aux universités ou nuire à leur compétitivité.
[53] Suivant l’alinéa 20(1)c), il est nécessaire de fournir des éléments de preuve qui établissent l’incidence financière que la communication des renseignements aurait sur les universités et leur compétitivité ainsi que la probabilité de cette incidence. Le CRSH doit démontrer l’existence d’un lien clair et direct entre la communication de renseignements précis et un risque de préjudice bien au-delà de la simple possibilité [voir : Merck Frosst Canada Ltée c. Canada (Santé), 2012 CSC 3, para 197, 206].
[55] Compte tenu de ce qui précède, je conclus que les renseignements non communiqués ne satisfont pas aux critères de l’alinéa 20(1)c).
L’information satisfait-elle aux critères de l’alinéa 20(1)d)?
[56] Trois (3) universités ont affirmé que l’identification des universités pourrait vraisemblablement entraver des négociations contractuelles (d’embauche ou autres).
[57] Le CRSH n’a pas présenté d’observations concernant l’incidence de la divulgation des renseignements sur les négociations des universités.
[58] La jurisprudence établie sous le régime de la Loi indique clairement qu’une partie qui s’oppose à une communication en se fondant sur l’alinéa 20(1)d) a le fardeau d’établir l’existence d’une attente raisonnable qu’un préjudice probable décrit à cet alinéa se produise si les renseignements sont communiqués. [Voir Merck Frosst c. Canada (Ministre de la Santé), 2012 CSC 3, para 195, 227; Canada Packers Inc. c. Canada (Ministre de l’Agriculture), [1989] 1 C.F. (C.A.) au para 22]. Pour cela, il faut qu’une partie qui s’oppose à la divulgation démontre que le risque de préjudice est bien au-delà de la simple possibilité ou conjecture [Merck Frosst, supra, para 197, 206].
[59] La notion d’entraver, dans le contexte de l’alinéa 20(1)d), correspond au terme « interference » dans la version anglaise, lequel a été interprété par les tribunaux comme désignant le terme anglais « obstruction » [voir Blood Band c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), 2003 CF 1397, para 49; Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Ministre des Affaires extérieures), [1990] 3 C.F. (F.C.T.D.) para 24-25]. Pour que l’exception invoquée en vertu de l’alinéa 20(1)d) s’applique, les parties qui s’opposent à la communication doivent démontrer qu’une entrave aux négociations en cours ou raisonnablement prévues, autres que les activités quotidiennes du tiers, pourrait raisonnablement découler de la communication. [Voir : Saint John Shipbuilding Ltd. c. Canada (Minister of Supply & Services) (1990), 67 D.L.R. (4th) 315 (Fed. C.A.), au para 316; Canadian Broadcasting Corp. c. National Capital Commission (1998), 147 FTR 254, au para 271].
[60] Je n’ai reçu aucune preuve ou observation démontrant que ce critère est satisfait.
[61] Par conséquent, je conclus que les renseignements ne satisfont pas aux critères de l’alinéa 20(1)d), parce qu’aucune preuve ou observation n’a été fournie pour démontrer que les universités mènent ou mèneront des négociations en vue de contrats ou à d’autres fins, ni qu’il y a une attente raisonnable que la divulgation des renseignements puisse entraver ces négociations.
Résultat
[62] La plainte est fondée.
Ordonnances et recommandations
J’ordonne au président du Conseil de recherches en sciences humaines de communiquer tous les renseignements caviardés, à l’exception de ceux qui satisfont aux critères du paragraphe 19(1) et/ou des alinéas 21(1)a) et/ou 21(1)b), comme décrit dans mon rapport. Les renseignements qui doivent être communiqués se trouvent aux pages 1, 2, 5-9, 11-39, 42-53, 55-60, 62-63, 67-71, 74-77, 81-83, 86-88, 91-93, 96-98, 100-105, 107-147 et 151.
Rapport et avis de l’institution
Le 17 avril 2024, j’ai transmis au président du Conseil de recherches en sciences humaines mon rapport dans lequel je présentais mon ordonnance.
Le 19 avril 2024, la gestionnaire par intérim, Accès à l’information et protection des renseignements personnels et opérations organisationnelles, m’a avisée que le président donnerait suite à mon ordonnance.
Révision devant la Cour fédérale
Lorsqu’une allégation dans une plainte s’inscrit dans le cadre de l’alinéa 30(1)a), b), c), d), d.1) ou e) de la Loi, la partie plaignante a le droit d’exercer un recours en révision devant la Cour fédérale. Lorsque la Commissaire à l’information rend une ordonnance, l’institution a également le droit d’exercer un recours en révision. La partie plaignante et/ou l’institution doivent exercer un recours en révision dans un délai de 35 jours ouvrables suivant la date du présent compte rendu. Si celles-ci n’exercent pas de recours, les tiers et le commissaire à la protection de la vie privée peuvent exercer un recours en révision dans les 10 jours ouvrables suivants. Quiconque exerce un recours en révision doit signifier une copie de sa demande de révision aux parties intéressées, conformément à l’article 43. Si personne n’exerce de recours en révision dans ces délais, toute ordonnance rendue prend effet le 46e jour ouvrable suivant la date du présent compte rendu.
Autres destinataires du compte rendu
Conformément au paragraphe 37(2), le présent compte rendu a été envoyé aux tiers qui m’ont présenté des observations au sujet de la plainte et au commissaire à la protection de la vie privée du Canada.