Bibliothèque et Archives Canada (Re), 2022 CI 51
Date : 2022-12-15
Numéro de dossier du Commissariat : 5821-00890
Numéro de dossier de l’institution : A-2019-16007
Sommaire
La partie plaignante allègue que Bibliothèque et Archives Canada (BAC) a erronément refusé de communiquer des renseignements en vertu de l’article 23 (secret professionnel de l’avocat) de la Loi sur l’accès à l’information en réponse à une demande d’accès. Celle-ci vise des règles en application de la Loi sur les aliments et drogues ainsi que des litiges connexes. Même si les renseignements satisfont aux critères de l’article 23, BAC n’a fourni aucune information selon laquelle elle avait pris en considération ses obligations en matière de pouvoir discrétionnaire pour décider de communiquer ou non les renseignements. Par conséquent, BAC n’a pas démontré qu’elle a raisonnablement exercé son pouvoir discrétionnaire. La Commissaire à l’information a ordonné à BAC d’exercer son pouvoir discrétionnaire à nouveau pour décider de communiquer ou non les renseignements faisant l’objet du refus, tout en tenant compte de l’ensemble des facteurs pertinents. Cette dernière a avisé la Commissaire qu’elle donnerait suite à l’ordonnance en question en tenant compte de l’ensemble des facteurs pertinents pour et contre la communication et lui a par la suite fourni une explication justifiant sa décision quant à l’exercice de son pouvoir discrétionnaire.
La plainte est fondée.
Plainte
[1] La partie plaignante allègue que Bibliothèque et Archives Canada (BAC) a erronément refusé de communiquer des renseignements en vertu de l’article 23 (secret professionnel de l’avocat) de la Loi sur l’accès à l’information en réponse à une demande d’accès. Celle-ci vise des règles en application de la Loi sur les aliments et drogues ainsi que des litiges connexes.
Enquête
[2] Au cours de l’enquête, la partie plaignante a informé le Commissariat à l’information que sa plainte ne vise que le refus de BAC, en vertu de l’article 23, de communiquer certaines parties des documents suivants :
- Une note à l’intention du sous-ministre de la Justice, W. Stuart Edwards, de la part de l’avocat du ministère de la Justice, Edward Miall, datée du 9 janvier 1933 (p. 1988-1990 des documents communiqués).
- Une lettre à l’intention de W. Stuart Edwards de la part de R. L. Maitland, avocat externe embauché dans le cadre du litige concernant les saucisses standard, datée du 30 janvier 1933 (p. 2037-2040; caviardages appliqués aux pages 2039 et 2040).
- Une note à l’intention du sous-ministre de la Justice, W. Stuart Edwards, de la part du sous-ministre adjoint de la Justice, F. P. Varcoe, datée du 3 décembre 1932 (p. 2090-2092).
[3] Lorsqu’une institution refuse de communiquer des renseignements en vertu d’une exception, il lui incombe de démontrer que ce refus est justifié.
Article 23 : secret professionnel de l’avocat
[4] L’article 23 permet aux institutions de refuser de communiquer des renseignements protégés par le secret professionnel de l’avocat ou du notaire lorsque l’information concerne des avis juridiques donnés à un client. L’article 23 permet aussi aux institutions de refuser de communiquer des renseignements protégés par le privilège relatif au litige lorsque l’information a été préparée ou recueillie aux fins d’un litige.
[5] Pour invoquer cette exception relativement au secret professionnel de l’avocat, les institutions doivent démontrer ce qui suit :
- l’information consiste en une communication entre un avocat ou un notaire et son client;
- cette communication concerne directement les consultations ou les avis juridiques, y compris tous les renseignements nécessaires échangés en vue de l’obtention d’avis juridiques;
- les communications et les conseils sont destinés à être confidentiels.
[6] Lorsque ces critères sont satisfaits, les institutions (à qui appartient le privilège) doivent alors exercer raisonnablement leur pouvoir discrétionnaire pour décider de communiquer ou non les renseignements.
L’information satisfait-elle aux critères de l’exception?
[7] En l’espèce, BAC a affirmé que les renseignements en cause sont protégés par le secret professionnel de l’avocat.
[8] Quant à la partie plaignante, elle affirme notamment que les renseignements ne satisfont pas aux critères de l’exception relativement au secret professionnel de l’avocat, car BAC n’a pas établi que les communications entre avocats avaient réellement été transmises au client et, à tout le moins, en ce qui concerne la lettre datée du 30 janvier 1933, les faits sont tout simplement communiqués, par opposition à la communication des avis juridiques.
[9] À titre subsidiaire, la partie plaignante allègue qu’il y a une renonciation implicite au secret professionnel de l’avocat du fait que les mêmes renseignements ou d’autres renseignements étroitement liés ont été communiqués ailleurs dans les documents pertinents et/ou en audience publique; et/ou que, aux fins d’équité, la renonciation sélective dont a fait preuve BAC (ou [traduction] « le fait de choisir ce qui lui convient ») à l’égard de certaines parties des documents privilégiés exige la communication de toutes les parties des documents .
[10] Après avoir examiné les renseignements en cause de même que les observations fournies, je ne suis pas d’accord avec les observations de la partie plaignante.
[11] Les renseignements concernent directement les consultations ou les avis juridiques et ils ont été fournis comme faisant partie « d’une communication continue » entre l’avocat et le client visant à formuler des avis juridiques [voir, par exemple : Nation et Bande des Indiens Samson c. Canada, 1995 CanLII 3602 (CAF) et Ontario (Sûreté et Sécurité publique) c. Criminal Lawyers’ Association, 2010 CSC 23]. De prime abord, les renseignements avaient été communiqués dans l’intention qu’ils restent confidentiels [voir, par exemple : Blank c. Canada (Ministre de l’Environnement), 2001 CAF 29].
[12] Le secret professionnel de l’avocat ne se limite pas aux échanges qui ont lieu entre l’avocat et le client : il s’étend aussi aux échanges effectués dans le cadre de consultations et d’avis juridiques (Descôteaux c. Mierzwinski, [1982] 1 R.C.S. 860). Cela comprend les communications entre avocats visant à formuler ou à fournir des avis, qu’ils soient ou non précisément communiqués au client [voir, par exemple : Société d’énergie Foster Wheeler ltée c. Société intermunicipale de gestion et d’élimination des déchets (SIGED) inc., [2004] 1 R.C.S. 456; Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Premier ministre), 2019 CAF 95].
[13] Bien que les documents en cause renferment des communications portant sur des faits, je suis d’avis que les renseignements caviardés ne se limitent pas à la communication de renseignements factuels. Il s’agit plutôt de la communication d’opinions ou d’avis juridiques.
[14] La partie plaignante a fait part d’allégations de renonciation et de renonciation partielle à la suite de la communication de certaines parties des documents en cause. En ce qui concerne la renonciation, bien que d’importantes parties des trois documents aient été communiquées, rien ne prouve qu’il y ait eu renonciation au privilège relativement au contenu substantiel des renseignements qui continuent d’être caviardés. Le sujet de ces renseignements se distingue des deux autres sujets communiqués ailleurs dans les documents .
[15] Compte tenu de ce fait, je ne vois pas non plus de raison de conclure à une renonciation sélective au privilège en ce qui concerne les renseignements favorables à la Couronne. De même, je ne vois pas de raison de conclure à ce que, dans un tel contexte, une renonciation partielle au privilège justifie une perte de privilège sur l’ensemble.
[16] Par conséquent, je suis d’avis que BAC a démontré que les renseignements satisfont aux critères de l’article 23.
BAC a-t-elle exercé raisonnablement son pouvoir discrétionnaire quant à sa décision de communiquer ou non l’information?
[17] Étant donné que les renseignements satisfont aux critères de l’article 23, BAC était tenue d’exercer raisonnablement son pouvoir discrétionnaire pour décider si les renseignements en cause devaient être communiqués ou non. À cette fin, BAC devait tenir compte de l’ensemble des facteurs pertinents pour et contre la communication.
[18] En ce qui concerne l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, BAC a mentionné au cours de l’enquête qu’elle mènerait des consultations avec Justice, conformément à son cadre de principes visant à permettre l’accès aux documents gouvernementaux archivés contenant des renseignements protégés par le secret professionnel de l’avocat, afin de guider cet exercice. Elle a par la suite mentionné qu’elle avait mené à bien ces consultations, sans toutefois fournir d’observations sur la façon dont le pouvoir discrétionnaire d’accorder ou de refuser l’accès aux renseignements en cause a été exercé raisonnablement en tenant compte de l’ensemble des facteurs pertinents.
[19] En revanche, je ne peux accepter le fait que BAC a raisonnablement exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu de l’article 23.
[20] Dans l’affaire Ontario (Sûreté et Sécurité publique) c. Criminal Lawyers’ Association, 2010 CSC 23, la Cour suprême du Canada a expliqué « [qu’un] pouvoir discrétionnaire conféré par une loi doit être exercé en conformité avec les objectifs sous‑jacents à son octroi » et que, « pour exercer comme il se doit ce pouvoir discrétionnaire, la personne responsable doit soupeser les considérations favorables et défavorables à la divulgation, y compris l’intérêt public à ce qu’il y ait divulgation. » (au para 46) Même si, dans cette affaire, la Cour a conclu que, en raison de la nature quasi absolue du privilège relatif aux avis juridiques, la protection du privilège l’emportera sur les autres facteurs favorisant la divulgation, elle a reconnu qu’il peut y avoir des circonstances exceptionnelles pour lesquelles ce privilège doit céder le pas (au para 75).
[21] Compte tenu des renseignements recueillis au cours de l’enquête et en l’absence d’observations de la part de BAC sur cette question, je suis d’avis que des circonstances exceptionnelles pourraient bien exister en l’espèce.
[22] Les documents en cause ont presque 90 ans. Au cours de l’enquête, il n’a jamais été suggéré que la communication des renseignements pourrait raisonnablement avoir une incidence continue sur les litiges actuels ou futurs; de même, en examinant les renseignements en cause, rien n’indique que cela serait le cas.
[23] Les documents ont été transférés à BAC en vertu de la Loi sur la Bibliothèque et les Archives du Canada en raison de leur importance historique. D’après cette loi, le bibliothécaire et archiviste du Canada doit « constituer et […] préserver » le patrimoine documentaire, « faire connaître ce patrimoine » aux Canadiens et « le rendre accessible » [voir : Loi sur la Bibliothèque et les Archives du Canada, L.C. 2004, ch. 11 à l’art. 7].
[24] Dans l’affaireBronskill c. Canada (Ministre du Patrimoine canadien), 2011 CF 983, la Cour fédérale a fait remarquer que la Loi sur la Bibliothèque et les Archives du Canada doit être prise en compte pour chacune des révisions d’une décision relative à une demande d’accès, sans égard à l’institution ou au décideur concerné. Il s’ensuit que le décideur délégué de BAC en vertu de la Loi sur l’accès à l’information aurait certainement dû tenir compte du mandat et des objectifs de BAC conformément à sa loi habilitante lorsqu’il a exercé son pouvoir discrétionnaire pour communiquer des documents d’importance historique qui lui ont été transférés.
[25] BAC n’a toutefois pas établi que de tels facteurs, ou d’autres facteurs pertinents, ont été pris en compte par son décideur délégué au moment de refuser la communication. Ces facteurs supplémentaires comprendraient certainement : l’objet de la Loi sur l’accès à l’information, l’objet sous-jacent à l’exception relativement au secret professionnel de l’avocat et la question de savoir si l’intérêt sous-jacent à ce privilège pourrait en fait subir un préjudice en raison de la communication du document en cause en l’espèce, l’intérêt public dans la communication des documents, la probabilité ou l’absence de préjudice résultant de la communication, et la mesure dans laquelle des renseignements semblables ont déjà été communiqués.
[26] Je conclus que BAC n’a pas tenu compte de l’ensemble des facteurs pertinents au moment de décider de ne pas communiquer les renseignements. Par conséquent, le pouvoir discrétionnaire exercé par BAC n’était pas raisonnable.
Résultat
[27] La plainte est fondée.
Ordonnance
Conformément au paragraphe 36.1(1) de la Loi sur l’accès à l’information, j’ordonne au ministre du Patrimoine canadien d’exercer son pouvoir discrétionnaire à nouveau pour décider de communiquer ou non les renseignements auxquels il a appliqué l’article 23, tout en prenant en considération l’ensemble des facteurs pertinents pour et contre la communication, y compris ceux précisés dans le présent compte rendu.
Le ministre doit se conformer aux dispositions du paragraphe 37(4) lorsqu’il communique des documents en réponse à mon ordonnance.
Le 10 novembre 2022, j’ai transmis au ministre du Patrimoine canadien mon rapport dans lequel je présentais mon ordonnance.
Le 12 décembre 2022, le ministre du Patrimoine canadien m’a avisée qu’il donnerait suite à mon ordonnance. Plus précisément, il a mentionné qu’il exercera son pouvoir discrétionnaire à nouveau pour décider de communiquer ou non les renseignements auxquels BAC a appliqué l’article 23, en prenant en considération l’ensemble des facteurs pertinents pour et contre la communication. Le ministre entend aussi me fournir une explication transparente et intelligible justifiant sa décision au plus tard le 20 janvier 2023.
Lorsque la plainte s’inscrit dans le cadre de l’alinéa 30(1)a), b), c), d), d.1) ou e) de la Loi, la partie plaignante et l’institution ont le droit d’exercer un recours en révision devant la Cour fédérale. Celles-ci doivent exercer leur recours en révision dans un délai de 35 jours ouvrables après la date du compte rendu et doivent signifier une copie de leur demande de révision aux parties intéressées, conformément à l’article 43.