2014-2015 1. Faits saillants
Le présent rapport annuel décrit les activités de la commissaire à l’information du Canada en 2014-2015. Ce chapitre présente des exemples dignes de mention d’enquêtes menées par la commissaire en vertu de la Loi sur l’accès à l’information et d’autres activités connexes.
Accès à l’information : liberté d’expression et primauté du droit
À l’automne 2011, le gouvernement a déposé un projet de loi visant à abolir le registre national des armes d’épaule, intitulé Loi sur l’abolition du registre des armes d’épaule (LARA). Cette loi exige la destruction de tous les documents du registre des armes d’épaule. Bien que les dispositions de la LARA autorisant la destruction de ces documents excluent précisément l’application de la Loi sur la Bibliothèque et les Archives du Canada et de la Loi sur la protection des renseignements personnels, elles ne font aucune mention de la Loi sur l’accès à l’information.
En mars 2012, une demande d’accès à l’information a été présentée concernant les documents contenus dans le registre. En avril de la même année, le Parlement a adopté la LARA.
La commissaire a écrit au ministre de la Sécurité publique en avril 2012 afin de l’informer que tous les documents relevant de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) pour lesquels une demande avait été reçue avant l’entrée en vigueur de la LARA étaient assujettis au droit d’accès. Ces documents ne devraient donc pas être détruits jusqu’à ce qu’une réponse ait été fournie au demandeur et que toute enquête et procédure judiciaire soit terminée. Le ministre de la Sécurité publique a assuré la commissaire que la GRC respecterait le droit d’accès.
En janvier 2013, la GRC a donné suite à la demande d’accès aux données du registre. Le demandeur s’est ensuite plaint de cette réponse auprès de la commissaire, alléguant entre autres qu’elle était incomplète. Lors de son enquête dans le cadre de cette plainte, la commissaire a appris que la majorité des documents du registre d’armes d’épaule avaient en fait été détruits. (Les documents du registre sur les résidents du Québec ont été conservés en raison d’un litige en cours.)
Le 26 mars 2015, la commissaire a écrit au ministre afin de signaler qu’elle avait conclu que la réponse fournie au demandeur était incomplète. Elle a officiellement recommandé au ministre que la GRC traite les documents restants du Québec qui, selon elle, répondaient à la demande. Elle a également recommandé que la GRC conserve ces documents jusqu’à ce que toute procédure liée à la plainte soit terminée.
Le ministre a refus&aneacute; de suivre la recommandation de la commissaire concernant le traitement des documents du Québec. Il a confirmé que la GRC avait conservé une copie des documents pertinents.
Selon son enquête, la commissaire était d’avis qu’elle possédait de l’information sur les éléments de l’infraction criminelle prévue à l’alinéa 67.1(1)a) de la Loi, qui interdit à quiconque de détruire des documents dans l’intention d’entraver le droit d’accès. En outre, le 26 mars 2015, la commissaire a transmis l’information recueillie durant son enquête sur la destruction des documents du registre au procureur général du Canada en vue d’une possible enquête. Elle n’a reçu aucune réponse du procureur général à ce sujet. Toutefois, des rapports médiatiques indiquent que l’affaire a été renvoyée à la police provinciale de l’Ontario.
« Le 7 mai 2015, le projet de loi C-59 sur l’exécution du budget a été déposé au Parlement. L’article 18 de ce projet de loi rend la Loi sur l’accès à l’information non applicable, de façon rétroactive en date du 25 octobre 2011, date à laquelle la Loi sur l’abolition du registre des armes d’épaule a été déposée au Parlement pour la première fois. Les changements proposés annulent rétroactivement les droits d’accès à l’information des Canadiens, ainsi que les obligations du gouvernement aux termes de cette loi. Ils suppriment de manière effective des données historiques.
Lundi dernier, nous avons souligné, de manière très à propos, l’anniversaire de la publication de l’œuvre de George Orwell, 1984, dont voici un extrait : « Tout s’est évaporé dans le brouillard. Le passé a été effacé, sa disparition a été oubliée, et le mensonge est devenu réalité. Tous les documents ont été détruits, falsifiés… L’histoire s’est arrêtée. Rien n’existe plus sauf un présent sans fin dans lequel le parti a toujours raison. » [traduction]
Si le projet de loi C-59 est adopté tel quel, et il est probable qu’il le sera, tous les documents liés à la destruction du registre des armes à l’épaule se perdront dans les trous de mémoire de la division des archives du ministère de la Vérité. » [traduction]
-Déclaration faite par la commissaire à l’information, Suzanne Legault, à la Conférence sur l’accès à l’information et la protection des renseignements personnels, organisée par le Département d’éducation permanente de l’Université de l’Alberta, en 2015, à Edmonton.
En mai 2015, le gouvernement a déposé le projet de loi C-59, intitulé Loi no 1 sur le plan d’action économique de 2015. Ce projet de loi contenait des modifications rétroactives à la LARA. Dans sa version modifiée, la LARA empêche de manière rétroactive l’application de la Loi sur l’accès à l’information aux documents du registre des armes d’épaule, et prive la commissaire de son pouvoir de faire des recommandations et de rendre compte des conclusions d’enquêtes concernant ces documents. Elle la prive également de son droit de soumettre des décisions du gouvernement de ne pas divulguer ces documents à une révision judiciaire par la Cour fédérale. De plus, cette loi accorde rétroactivement l’immunité aux fonctionnaires de l’État relativement à toute procédure administrative, civile ou criminelle concernant la destruction des documents du registre des armes d’épaule ou à toute action ou omission survenue en vue de l’observation présumée de la Loi sur l’accès à l’information.
La commissaire a achevé son enquête et déposé un rapport spécial faisant état de ses conclusions au Parlement en mai 2015, alors que le projet de loi C-59 était toujours en examen à la Chambre des communes. Elle a également fait part de graves préoccupations concernant les mesures contenues dans le projet de loi à un comité de la Chambre des communes et à un comité du Sénat. (Voir « Au dossier » pour un extrait de ses remarques devant le comité du Sénat.)
Aucun changement n’a été apporté au projet de loi C-59 en ce qui concerne la LARA à la suite de l’examen des comités. Les modifications rétroactives sont donc entrées en vigueur le 23 juin 2015.
À la suite du dépôt de son rapport spécial, la commissaire a présenté à la Cour fédérale, avec le consentement du plaignant, une demande de révision judiciaire du refus du ministre de divulguer les documents qu’elle avait considérés comme répondant à la demande d’accès. Dans le cadre des procédures, la commissaire a réussi à obtenir une ordonnance de la Cour obligeant le ministre de la Sécurité publique à remettre au greffe de la Cour fédérale le disque dur contenant les documents du registre des armes d’épaule pour la province de Québec. Le gouvernement du Canada s’est conformé à cette ordonnance le 23 juin 2015.
La commissaire a aussi déposé une demande devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario pour contester la constitutionnalité de la version de la LARA telle que modifiée par le projet de loi C-59. La demande de la commissaire vise à faire annuler ces modifications en se fondant sur le motif qu’elles portent atteinte de manière injustifiable au droit constitutionnel à la liberté d’expression et qu’elles vont à l’encontre de la primauté du droit en empiétant sur les droits acquis d’accès à cette information.
La demande de révision judiciaire que la commissaire a présentée à la Cour fédérale concernant le refus du ministre de divulguer les documents faisant réponse à la demande d’accès a été différée en juillet 2015 en attendant l’issue de sa contestation constitutionnelle.
Chronologie des événements liés à l’enquête sur le registre des armes d’épaule
Version texte
Chronologie des événements liés à l’enquête sur le registre des armes d’épaule
- 25 octobre 2011 – La Loi sur l’abolition du registre des armes d’épaule (LARA) est déposée au Parlement.
- 27 mars 2012 – Le demandeur fait une demande d’accès aux documents du registre.
- 5 avril 2012 – La LARA est promulguée.
- 13 avril 2012 – La commissaire à l’information écrit au ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile.
- 2 mai 2012 – Le ministre répond à la commissaire.
- 25-29 octobre 2012 – La GRC détruit presque tous les documents du registre des armes d’épaule.
- 11 janvier 2013 – La GRC répond à la demande d’accès.
- 1er février 2013 – Le demandeur se plaint aupr&egegrave;s de la commissaire en alléguant, notamment, que sa réponse était incomplète.
- 26 mars 2015 – La commissaire fait rapport des résultats de son enquête, avec des recommandations au ministre. Le même jour, la commissaire fait un renvoi au procureur général pour une éventuelle enquête.
- 30 avril 2015 – Le ministre répond aux recommandations de la commissaire.
- 7 mai 2015 – La Loi no 1 sur le plan d’action économique de 2015 (projet de loi C‐59) est déposée au Parlement.
- 14 mai 2015 – La commissaire dépose son rapport spécial au Parlement. Le même jour, la commissaire dépose la notification d’une demande auprès de la Cour fédérale aux fins d’un contrôle judiciaire.
- 22 juin 2015 – La commissaire dépose sa demande pour contester la constitutionnalité de la LARA, tel qu’elle a été modifiée par le projet de loi C-59. La même journée, une ordonnance enjoignant de produire un disque dur contenant les documents restants du registre a été émise par la Cour fédérale.
- 23 juin 2015 – Le ministre se conforme à l’ordonnance de la Cour fédérale. Le même jour le projet de loi C-59 est adopté.
Accès à l’information : dépenses des sénateurs
En 2014-2015, la commissaire a mené trois enquêtes concernant le traitement par le Bureau du Conseil privé (BCP) des demandes d’information liées à divers sénateurs dont les dépenses et la conduite avaient été mentionnées dans les médias.
Divulgation d’information anodine
La première enquête a porté sur le refus du BCP de divulguer 27 des 28 pages identifiées en réponse à une demande visant « tous les dossiers créés entre le 26 mars 2013 jusqu’à maintenant [le lundi 19 août 2013] sur les sénateurs Mike Duffy, Mac Harb, Patrick Brazeau et/ou Pamela Wallin ». En particulier, la commissaire a examiné l’utilisation par le BCP de l’article 19 (Renseignements personnels), de l’article 21 (Avis et recommandations) et de l’article 23 (Secret professionnel des avocats) pour exempter des pages complètes de documents.
Divulgation digne d'intérêt?
Le BCP a accepté de prélever et de divulguer les types de renseignements suivants :
- signatures des fonctionnaires qui avaient consenti à la divulgation de leur signature;
- timbres dateurs;
- éléments de l’en-tête;
- emblèmes du gouvernement du Canada;
- les mots « Dear » et « Sincerely »;
- les titres des documents : « Memorandum for the Prime Minister », « Memorandum for Wayne G. Wouters » et « Decision Annex ».
Le BCP a toutefois refusé de divulguer le contenu des documents. La commissaire tentera d’obtenir le consentement du plaignant afin de demander une révision judiciaire du refus de communication du BCP.
La commissaire a jugé que certaines parties des dossiers ne pouvaient pas faire l’objet des exemptions réclamées et que le BCP n’avait pas raisonnablement exercé son pouvoir discrétionnaire de divulguer de l’information tout en gardant à l’esprit les facteurs pertinents comme l’intérêt public. Elle a écrit au premier ministre (qui est le « ministre » du BCP) afin de lui recommander de divulguer une quantité considérable de renseignements supplémentaires.
Le BCP, au nom du premier ministre, a refusé de mettre en œuvre les recommandations de la commissaire, faisant valoir le caractère judicieux de la protection des renseignements. Cependant, il a accepté de réévaluer les documents en vue de prélever et de divulguer tout renseignement qui, selon lui, pouvait l’être. À la suite de cette réévaluation, de petites fractions d’information ont été divulguées (voir l’encadré « Divulgation digne d’intérêt? » pour une description des éléments divulgués). Le BCP a toutefois soutenu que cette divulgation n’était pas requise en vertu de la Loi, car il s’agissait de renseignements [traduction] « inintelligibles, sans intérêt ou pouvant être trompeurs ».
Les renseignements qui ont été prélevés et divulgués indiquent que les documents en question sont des notes à l’intention du greffier du Conseil privé, de la correspondance échangée avec le greffier, une note à l’intention du premier ministre, de la correspondance signée et non signée, un dossier de décision et des échanges de courriels avec des représentants du BCP. Le contenu de ces documents demeure toutefois protégé.
Accès aux documents qui se trouvent au Cabinet du premier ministre
Extension du champ d'application
Dans son rapport spécial sur la modernisation de la Loi, la commissaire a recommandé un certain nombre de mesures visant à élargir le champ d'application de celle-ci à :
- établir des critères servant à déterminer quelles institutions devraient être assujetties à la Loi, comme les institutions financées en totalité ou en partie par le gouvernement du Canada, les institutions relevant en totalité ou en partie du gouvernement du Canada ou les institutions exerçant une fonction publique;
- étendre le champ d'application aux cabinets des ministres, y compris le Cabinet du premier ministre;
- étendre le champ d'application aux organismes de soutien du Parlement, comme le Bureau de régie interne et la Bibliothèque du Parlement;
- étendre le champ d'application aux organismes de soutien administratif des tribunaux.
Le BCP a reçu une demande visant tous les documents liés aux dépenses du sénateur Mike Duffy et de la sénatrice Pamela Wallin au cours d’une période précise. Il a répondu qu’il n’existait aucun document à ce sujet. Le demandeur a déposé une plainte auprès de la commissaire à propos de cette réponse.
Au cours de son enquête, la commissaire a demandé au BCP d’effectuer d’autres recherches au sein de l’institution, pour en arriver au même résultat : il n’existait aucun document à ce sujet.
La commissaire a par la suite appris par les médias dans un contexte autre que celui de son enquête, que des comptes de courriel supposément supprimés de certains des employés quittant le Cabinet du premier ministre et impliqués dans le paiement des dépenses du Sénat avaient été sauvegardés dans le cadre d’un litige en cours dans une autre affaire (CBC News, Senate scandal: Benjamin Perrin’s PMO emails not deleted). Elle a fait le suivi auprès du BCP afin de déterminer s’il avait inclus ces documents dans ses recherches. Elle a trouvé qu’on n’avait pas demandé au Cabinet du premier ministre s’il possédait des documents répondant à la demande, lorsque la demande avait été reçue.
En réponse aux questions de la commissaire, les courriels pertinents qui avait été trouvés, par la suite, dans les comptes de courriel d’employés qui avaient quitté le cabinet du premier ministre ont été divulgués à la commissaire. Après un examen de ceux-ci, la commissaire a conclu que ces courriels n’étaient pas accessibles sous la Loi sur l’accès à l’information, puisque la commissaire a déterminé que ces documents ne rencontraient pas le test de contrôle établi par la Cour suprême du Canada dans Canada (commissaire à l’information) c. Canada (ministre de la Défense nationale) et al., 2011 SCC 25. Dans cette décision, la Cour a conclu que les cabinets ministériels, ainsi que le cabinet du premier ministre, n’étaient pas des institutions assujetties à la Loi. Par contre, la Cour a reconnu que certains dossiers dans les cabinets ministériels pourraient être assujettis à la Loi. Une analyse en deux volets a été mise en place pour déterminer si ces documents conservés physiquement dans les cabinets ministériels relevaient d’une institution et étaient donc accessibles en vertu de la Loi.
Cette enquête met en évidence le déficit de responsabilité créé par le fait que les cabinets de ministre, y compris le Cabinet du premier ministre, ne sont pas visés par la Loi.
Évaluation des politiques de gestion de l’information et de tenue de documents
Enfin, la couverture médiatique concernant la destruction automatique des comptes de courriel des employés qui quittent le Cabinet du premier ministre ainsi que la correspondance échangée avec la commissaire à ce sujet ont incité cette dernière à entamer une enquête sur les politiques de gestion de l’information et de tenue de documents du BCP et du Cabinet du premier ministre. Plus particulièrement, la commissaire avait l’intention d’enquêter afin de vérifier si la pratique interne du BCP qui consiste à supprimer les comptes de courriel des employés qui quittent l’organisation entraînait la perte de documents gouvernementaux revêtant une valeur opérationnelle, empêchant ainsi le BCP de respecter les obligations qui lui incombent en vertu de la Loi sur l’accès à l’information.
La commissaire a conclu que le BCP et le Cabinet du premier ministre avaient un ensemble exhaustif de politiques qui sont en accord avec les exigences de la Loi, avec la Loi sur la Bibliothèque et les Archives du Canada et avec diverses politiques du Conseil du Trésor. Cependant, des risques ont été cernés relativement à ces politiques. Le principal risque est lié à la connaissance qu’ont les employés de leurs responsabilités concernant la conservation, la suppression, l’entreposage et la destruction des courriels.
Durant l’enquête, le BCP a dit avoir abordé ces risques au moyen de sa stratégie de transformation de la tenue de documents, de son Plan d’action de la gestion, qu’il a élaboré à la suite d’une vérification horizontale de la tenue de ses documents électroniques en 2011, et de son plan triennal de vérification axée sur les risques. La commissaire a examiné ces trois documents et a conclu que les mesures mises en place par le BCP avaient permis d’atténuer les risques.
La commissaire n’a pas enquêté sur la mise en œuvre des politiques. Elle a toutefois informé le BCP qu’il devrait vérifier régulièrement les activités associées à ses pratiques de gestion de l’information afin de respecter ses obligations en vertu de la Loi. Elle a également indiqué au BCP qu’il devrait faire une divulgation proactive des résultats de toute vérification qu’il effectue concernant la gestion de l’information.
Documents manquants à l’Agence du revenu du Canada
Processus d'attestation concernant les documents manquants à l'ARC
Afin de veiller à ce que les demandeurs reçoivent tous les documents auxquels ils ont droit lorsqu’ils présentent une demande d'accès à l'ARC, la commissaire, en collaboration avec l’ARC, a instauré un processus d’attestation.
Avant que la commissaire complète une plainte relative à des documents manquants déposée contre l’ARC, le commissaire adjoint ou le directeur général de la direction générale ou du secteur concerné de l’ARC doit certifier que toutes les étapes raisonnables ont été suivies pour mener des recherches pertinentes en vue de trouver et de récupérer des documents à fournir en réponse.
Depuis la mise en place du processus en mars 2015, la commissaire a reçu environ 20 attestations.
À plusieurs reprises au cours des dernières années, l’Agence du revenu du Canada (ARC) a trouvé des documents supplémentaires pendant ou après une enquête de la commissaire relativement à des plaintes de documents manquants.
La question a surgi pour la première fois après qu’une demandeuse a demandé à l’ARC tous les documents portant sur la nouvelle cotisation à l’égard de sa déclaration de revenus. Cette dernière s’est plainte que des documents manquaient dans la réponse qu’elle avait reçue. Durant l’enquête, l’ARC a informé la commissaire que les documents avaient été éliminés et qu’on ne pouvait pas les récupérer.
Une fois l’enquête de la commissaire terminée, la demandeuse a saisi la Cour fédérale d’une demande de révision judiciaire de l’application, par l’ARC, d’exemptions aux documents qui avaient été communiqués. Lors de ces procédures judiciaires, l’ARC a récupéré les documents qu’elle avait précédemment dit avoir éliminés (Summers c. ministre du Revenu National, 2014 CF 880).
La question a été soulevée une deuxième fois lors d’une révision judiciaire après les enquêtes menées par la commissaire. Les procédures ont été intentées par sept entreprises à dénomination numérique et portaient sur le refus de l’ARC de divulguer des parties des documents demandés (3412229 Canada Inc. et al. c. l’Agence du revenu du Canada et al. (T-902-13); contexte; voir aussi « Documents manquants »). Après l’amorce des procédures, les entreprises à dénomination numérique ont fait valoir que d’autres documents permettaient de répondre à leurs demandes et auraient dû être divulgués. Depuis, l’ARC a divulgué plus de 14 000 pages supplémentaires.
Les entreprises ont ensuite demandé que la révision judiciaire soit suspendue jusqu’à ce que, entre autres choses, la commissaire fasse enquête sur la possibilité qu’il existe d’autres documents. L’enquête est en cours.
Dans le troisième cas, la commissaire a mené une enquête sur la divulgation de 57 pages, avec quelques exceptions, concernant la vérification d’un contribuable. Le demandeur a affirmé qu’il existerait d’autres documents. Durant l’enquête, on a demandé à l’ARC de faire d’autres recherches et de s’assurer que tous les bureaux nécessaires y participent. C’est ainsi que l’ARC a divulgué 57 autres pages au demandeur dans le cadre de quatre communications supplémentaires, car les documents ont été trouvés lors de chaque recherche subséquente.
Près de la moitié de toutes les plaintes relatives à des documents manquants, déposées contre l’ARC et complétées entre le 1er avril 2012 et le 31 mars 2015, étaient fondées (comparativement à la moyenne générale de 27 % pour toutes les institutions pendant la même période). L’ARC a reconnu qu’elle avait de graves problèmes de gestion de l’information et de récupération de documents lorsque vient le temps de trouver et de récupérer des documents pour répondre aux demandes d’accès. La commissaire a instauré un processus d’attestation afin de fournir des garanties additionnelles que tous les documents ont été adéquatement identifiés et récupérés (voir l’encadré « Processus d’attestation concernant les documents manquants à l’ARC »).
La culture du retard
« ...une institution fédérale ne peut pas simplement faire valoir l’existence d’une justification législative à l’appui d’une prorogation et énoncer la prorogation retenue. Elle doit s’efforcer de démontrer le lien entre la justification mise de l’avant et la durée de la prorogation qu’elle s’accorde.
Les institutions fédérales qui reçoivent une demande visant un grand nombre de documents ou nécessitant de vastes consultations doivent sérieusement s’employer à évaluer le délai requis et s’assurer que le calcul estimatif est suffisamment rigoureux, logique et soutenable pour tenir la route lors d’un examen de son caractère raisonnable » [non en gras dans l’original].
—Commissaire à l'information du Canada c. Ministre de la Défense nationale, 2015 CAF 56, paragraphes 76 et 79
En mars 2015, la Cour d’appel fédérale a jugé que la prorogation de délai de trois ans qu’a prise la Défense nationale pour répondre à une demande était déraisonnable, sans effet et constituait un refus présumé d’accès. La demande visait des renseignements sur la vente de biens militaires (Commissaire à l’information du Canada c. Ministre de la Défense nationale, 2015 CAF 56; contexte, « Prorogations de délai (portées en appel) »).
Dans sa décision, la Cour d’appel s’est d’abord penchée sur la question de savoir si la Cour fédérale avait compétence pour examiner une décision d’une institution fédérale de proroger le délai pour répondre à une demande présentée en vertu de la Loi. La Cour fédérale avait jugé qu’elle n’avait pas cette compétence, mais la Cour d’appel a soutenu le contraire.
Pour trancher la question de la compétence, il faut déterminer si une prorogation de délai peut constituer un refus de communication. Comme la compétence de la Cour fédérale se limite aux situations de refus (articles 41 et 42 de la Loi sur l’accès à l’information), le seul moyen de contester la prorogation de délai d’une institution fédérale est de recourir à une disposition qui considère que les décisions des institutions fédérales constituent un refus présumé de communication dans certaines circonstances (paragraphe 10(3)).
La Cour d’appel a conclu « à l’existence d’une présomption de refus chaque fois que le délai de 30 jours initial expire sans qu’il y ait communication, dans les cas où la prorogation n’est pas légalement valide ».
Une interprétation de la Loi empêchant la révision judiciaire d’une prorogation de délai constituerait, selon la Cour d’appel, un manquement aux intentions du Parlement.
La Cour d’appel a jugé qu’une institution pouvait se prévaloir du pouvoir de proroger le délai pour répondre à une demande d’accès, comme le prévoit l’article 9 de la Loi, mais seulement lorsque toutes les conditions requises sont satisfaites.
… « une institution fédérale peut exercer ce pouvoir, sous réserve de certaines conditions, dont celle que la prorogation soit raisonnable eu égard aux circonstances exposées aux alinéas 9(1)a) et/ou 9(1)b). Si cette condition n’est pas respectée, la prorogation de délai n’est pas valable et le délai de 30 jours imposé en application de l’article 7 demeure donc le délai applicable ».
Dans sa décision, la Cour d’appel a déclaré « que la communication en temps utile fait partie intégrante du droit d’accès ».
Ce type de traitement superficiel de la question démontre que le MDN a agi comme s’il n’avait de comptes à rendre à personne d’autre qu’à lui-même lorsqu’il a décidé de la prorogation. Son traitement de la question ne permet pas d’établir qu’un effort réel a été fait pour évaluer la durée de la prorogation. Par conséquent, la prorogation décidée par le MDN ne satisfait pas aux exigences du paragraphe 9(1). Cela suffit pour établir le droit de la commissaire au jugement déclaratoire demandé.
Cette décision devrait amener une discipline fortement souhaitée dans le processus de recours à une prorogation de délai et de justification connexe. Elle indique clairement que les prorogations de délai sont susceptibles de révision par la Cour et elle établit des normes à respecter pour justifier le recours à une prorogation et sa durée.
La commissaire publiera un avis consultatif en 2015-2016 sur la façon dont elle appliquera la décision de la Cour d’appel dans le cadre de ses enquêtes.
Lever une barrière à l’accès à l’information : frais et documents électroniques
En février 2013, la commissaire à l’information a renvoyé une question à la Cour fédérale afin qu’elle détermine si une institution peut exiger des frais de recherche et de préparation pour les documents électroniques qui servent de réponse aux demandes d’accès présentées en vertu de la Loi sur l’accès à l’information (Commissaire à l’information du Canada c. Procureur général du Canada, 2015 CF 405; contexte : Renvoi : frais et documents électroniques; résumé).
Il s’agissait de la première fois que la commissaire faisait un tel renvoi en vertu du paragraphe 18.3(1) de la Loi sur les cours fédérales. La Cour a convenu qu’un renvoi en application de cette disposition était un mécanisme valide par lequel la commissaire pouvait obtenir une orientation sur une question de droit.
Lors des procédures, la commissaire a soutenu que les « documents qui ne sont pas informatisés », pour lesquels des frais de recherche et de préparation peuvent être exigés en vertu du Règlement sur l’accès à l’information, sont des documents qui ne sont pas stockés dans un ordinateur ou en format électronique.
Le 31 mars 2015, la Cour fédérale a rendu son jugement et était d’accord avec la position de la commissaire selon laquelle les documents en format électronique ne sont pas « des documents qui ne sont pas informatisés ». Cela signifie que les institutions ne peuvent exiger des frais de recherche et de préparation pour les documents électroniques.
« Il y a un peu de Lewis Carroll dans la position de ceux qui s'opposent à la commissaire à l'information :
“Quand j’emploie un mot dit Humpty Dumpty avec un certain mépris, il signifie ce que je veux qu’il signifie, ni plus, ni moins. ”
“La question est de savoir, dit Alice, si vous pouvez faire que les mots signifient tant de choses différentes.”
La question est de savoir, dit Humpty Dumpty, qui est le maître, c’est tout.” »
-Commissaire à l’information du Canada c. Procureur général du Canada, 2015 CF 405, paragraphe 65
La Cour n’a pas accepté les arguments du procureur général et des sociétés d’État intervenantes selon lesquels, d’après une analyse contextuelle, les documents électroniques existants tels les courriels, les documents Word et les documents apparentés, sont des documents qui ne sont pas informatisés.
La Cour a jugé que les mots « documents qui ne sont pas informatisés » devaient être interprétés selon leur sens ordinaire. Selon elle, « en langage ordinaire, les messages électroniques, les documents Word et les autres documents en format électronique sont des documents informatisés » et les documents qui sont lisibles par machine sont informatisés.
La commissaire publiera un avis consultatif en 2015-2016 sur la façon dont elle appliquera la décision de la Cour fédérale dans le cadre de ses enquêtes.
De qui relèvent les documents?
La commissaire a mené une enquête sur une plainte d’un demandeur qui n’avait pas reçu de Travaux publics et Services gouvernementaux Canada (TPSGC) tous les documents pertinents en réponse à sa demande d’information concernant les travaux de construction réalisés en lien avec une plainte en matière de santé et de sécurité. Un sous-traitant de l’entrepreneur principal (l’entrepreneur ayant été engagé par TPSGC pour fournir des services de gestion des immeubles) avait effectué les travaux.
Au cours de l’enquête, l’entrepreneur principal a trouvé plusieurs lots de documents pertinents. Bien que ces documents aient éventuellement été divulgués au demandeur, TPSGC a soutenu qu’ils ne relevaient pas de lui, mais plutôt de l’entrepreneur. Il a fait valoir qu’il n’avait aucune [traduction] « obligation juridique ou contractuelle de récupérer des documents » auprès des fournisseurs de services contractuels tiers.
La commissaire a présenté des recommandations officielles à TPSGC concernant son approche pour récupérer des documents détenus par des fournisseurs de services contractuels tiers, notamment les suivantes : que TPSGC s’assure que tous les documents qui relèvent de lui, qu’ils soient en sa possession physique ou non, sont récupérés et traités en réponse aux demandes; que des politiques et une formation connexe à l’intention des employés soient mises en place afin d’éclaircir le contrôle des documents relativement aux entrepreneurs; et que TPSGC s’assure que tous les entrepreneurs sont au courant des exigences de la Loi.
Dans sa réponse aux recommandations de la commissaire, TPSGC a continué d’affirmer que la question de savoir si un document détenu par un tiers relève de lui était, en partie, déterminée par celle de savoir s’il a l’[traduction] « obligation juridique ou contractuelle de récupérer des documents ». La commissaire a indiqué à TPSGC que cette définition restrictive ne correspond pas à la décision rendue par la Cour suprême du Canada en ce qui a trait au contrôle des documents et qu’elle est incompatible avec la prestation responsable et transparente de services immobiliers par TPSGC.
Cette question demeure en suspens entre la commissaire et TPSGC, bien que ce dernier ait accepté de continuer à travailler avec la commissaire afin de trouver une solution pour les prochaines demandes.
Recommandations de transparence
Le 30 mars 2015, la commissaire a publié un rapport spécial à l’intention du Parlement intitulé Viser juste pour la transparence. Dans ce rapport, la commissaire décrit comment la Loi sur l’accès à l’information ne permet plus d’établir un juste équilibre entre le droit du public à l’information et la nécessité pour le gouvernement de protéger certains renseignements limités et précis. Elle conclut que la Loi est appliquée pour favoriser une culture du retard et pour servir de bouclier contre la transparence, où les intérêts du gouvernement l’emportent sur les intérêts du public.
Pour remédier à cette situation, la commissaire a publié 85 recommandations, qui proposent des modifications fondamentales à la Loi, notamment les suivantes :
- élargir son champ d’application à tous les organes du gouvernement;
- améliorer les procédures de soumission de demandes d’accès;
- fixer des délais plus serrés;
- encourager une divulgation maximale;
- renforcer la surveillance;
- encourager une divulgation plus proactive de l’information;
- ajouter les conséquences en cas de non-conformité;
- assurer l’examen périodique de la Loi.
Les recommandations de la commissaire sont fondées sur l’expérience du Commissariat à l’information du Canada concernant la Loi, ainsi que sur des comparaisons avec des modèles d’accès à l’information utilisés à l’échelle provinciale, territoriale ou internationale.
Chaque année, il devient de plus en plus urgent de moderniser la Loi, qui est entrée en vigueur en 1983. Beaucoup de choses ont changé au sein du gouvernement depuis ce temps, y compris la façon d’organiser le gouvernement, de prendre des décisions et de générer, recueillir, stocker, gérer et partager l’information. Le mouvement vers un gouvernement ouvert a accru les attentes des Canadiens et leurs exigences en matière de transparence. La Loi n’a pas évolué en même temps que ces changements. Ces 30 dernières années, on observe une érosion constante des droits d’accès à l’information au Canada à laquelle on doit mettre fin par une modernisation de la Loi sur l’accès à l’information.