Discours sur le rapport spécial « Viser juste pour la transparence »
Comparution devant le Comité permanent de l'accès à l'information, de la protection des renseignements personnels et de l'éthique de la Chambre des communes (ETHI)
par Suzanne Legault, commissaire à l'information du Canada
Le 25 février 2016
Ottawa (Ontario)
(Le discours prononcé fait foi)
Bonjour. Je vous remercie de me fournir l'occasion vous entretenir de mon rapport spécial à l'intention du Parlement intitulé Viser juste pour la transparence, contenant mes recommandations sur la modernisation de la Loi sur l'accès à l'information.
Lors de ma présentation devant ce Comité mardi dernier, j'ai recommandé que ce dernier rende prioritaire la modernisation de la Loi sur l'accès à l'information. Après plus de 30 ans d'existence, il est maintenant temps de prendre des mesures audacieuses afin de transformer ladite Loi.
Un éminent expert dans le domaine de l'accès à l'information, le professeur Alasdair Roberts, a écrit ce qui suit en 2012 : « Partout dans le monde, la compréhension de l’importance de la transparence gouvernementale a progressé considérablement. Nous connaissons beaucoup mieux les éléments efficaces et ceux qui ne conviennent pas en rapport avec la loi sur le droit à l’information. Nous savons également qu’un régime de gouvernement responsable est résilient. Les craintes voulant que l’ordre constitutionnel soit bouleversé à la suite de l’adoption d’une loi de cette nature étaient exagérées. On peut s’inspirer de nombreuses expériences pour la mise à jour de la Loi sur l’accès à l’information et il n’y a aucune raison de ne pas faire preuve d’audace à cet égard.»
Les recommandations contenues dans mon rapport sont dictées par la législation à l'échelle provinciale, territoriale et internationale, les rapports annuels, les lois types, les propositions de réforme faites par mes prédécesseurs et des parlementaires, ainsi que toutes les révisions de la Loi. J'ai également rédigé ces recommandations en me fondant sur ma propre expérience, après avoir mené plus de 10 000 enquêtes au cours de mon mandat.
Ces recommandations sont inspirées des normes les plus élevées et des pratiques exemplaires sur le plan de la législation en matière d'accès à l'information.
Les recommandations ont pour but de permettre à la population canadienne d'examiner de façon plus approfondie les activités et les décisions du gouvernement, en élargissant le champ d'application de la Loi à toutes les institutions publiques, y compris celles qui reçoivent du financement de la part du gouvernement.
Les recommandations visent à renforcer le cadre de gestion de l'information afin donner l'assurance que le gouvernement demeure responsable et transparent.
Les recommandations ont également pour but d'assurer la rapidité du traitement des demandes. Comme l'a si bien dit la première commissaire à l'information, « le fait de retarder l'accès à l'information détruit l’objet même de la Loi. »
Les recommandations visent à permettre l'atteinte du juste équilibre entre la transparence et la protection d'intérêts spécifiques qui exigent une protection. Elles sont compatibles avec les objectifs du gouvernement ouvert, notamment avec la divulgation favorisant la responsabilisation des décideurs et la participation des citoyens aux processus de la politique publique et à la prise de décision. Afin d'encourager la divulgation maximale, les exceptions devraient être restreintes pour viser uniquement à protéger les intérêts qui doivent l'être. Ces exceptions devraient aussi être discrétionnaires, fondées sur un critère subjectif, limitées dans le temps et soumises à la primauté de l’intérêt public.
Les recommandations ont pour but de favoriser une surveillance efficace basée sur des facteurs fondamentaux tels que la capacité à passer en revue tous les documents et à délivrer des ordonnances exécutoires. En fait, soixante-huit pour cent de l'ensemble des pays qui ont mis en œuvre une loi sur l'accès à l'information au cours des dix dernières années illustrent un modèle exécutoire. Au Canada, la Colombie-Britannique, l'Alberta, l'Ontario, le Québec et l'Île-du-Prince-Édouard détiennent des pouvoirs d’ordonnance.
Les recommandations ont pour but d'harmoniser la Loi avec les initiatives pour un gouvernement ouvert, comme de publier les renseignements d'intérêt public, de divulguer plus de renseignements relatifs aux remboursements des subventions, des prêts et des contributions et d'imposer aux institutions l'obligation d'adopter des systèmes de publication proactive de renseignement.
Les recommandations visent l'introduction d'un régime complet de sanctions visant à traiter les actes contraires au droit quasi constitutionnel de l’accès à l’information.
Finalement, les recommandations ont pour but de régler les inefficacités et les questions de longue date liées au système d'accès à l'information.
Permettez-moi de vous donner quelques exemples concrets de questions qui exigent une solution législative.
- En matière du champ d'application de la Loi, la Cour suprême du Canada a conclu que les cabinets des ministres n'étaient pas des institutions assujetties à la Loi. Les décisions des ministres peuvent avoir d'importantes répercussions pour les Canadiens. Les ministres doivent rendre des comptes à la population en ce qui concerne l'administration de leurs domaines de responsabilité. Seule une modification législative peut élargir le champ d'application de la Loi de manière à y assujettir leur cabinet.
- En matière de gestion de l'information, il existe des preuves documentées de violations graves, par la fonction publique, à l'obligation de celle-ci de créer et de préserver l'information ayant une valeur opérationnelle. Les exemples récents comprennent le scandale de la triple suppression en Colombie-Britannique, de même que mon rapport sur l'utilisation de la messagerie texte. Les commissaires à l'information de partout au pays ont cosigné une résolution conjointe en janvier, laquelle résolution demande à leurs gouvernements respectifs d'adopter une obligation légale de documenter.
- En matière de la rapidité des réponses, les retards font l'objet de nombreuses plaintes formulées par les demandeurs. Actuellement, quarante pour cent de ma charge de travail consiste à traiter des plaintes administratives liées à des retards. Un cas en particulier est un exemple flagrant d'un manque de rigueur dans l'application de la Loi. J'ai dû porter une affaire devant la justice afin d'obtenir un jugement confirmant qu'une prorogation de délai de 1 110 jours était déraisonnable. Bien que l'on prévoit que décision de la Cour d'appel fédérale aura un effet positif sur le respect des délais, le cadre législatif actuel est incompatible avec des normes progressistes.
- En matière de la divulgation maximale, la Cour suprême du Canada a récemment interprété, de manière très large, l'exception relative aux avis au gouvernement de la Loi sur l'accès à l'information de l'Ontario. Selon l'interprétation de la Cour, les renseignements qu'il convient de ne pas divulguer afin de protéger la formulation d'avis libres et francs ne sont pas, loin de là, les seuls renseignements touchés par cette décision. L'exception correspondante dans la loi fédérale, à l'article 21, présente une formulation similaire à celle de la loi ontarienne. Avant la décision de la Cour, l'article 21 était déjà considéré comme une exception extrêmement large. La portée de cette exception doit être restreinte sur le plan législatif afin de permettre l'atteinte du juste équilibre entre la protection de l'élaboration efficace des politiques, des priorités et des décisions d'une part, et la transparence de la prise de décisions d'autre part.
- En matière du renforcement de la surveillance, la capacité de la commissaire à délivrer des ordonnances (i) assurerait que le traitement des demandes est plus ponctuel, (ii) instillerait davantage de discipline et de prévisibilité, (iii) inciterait les institutions à réaliser des représentations exhaustives et complètes pour la commissaire dès le début, (iv) créerait une jurisprudence qui augmentera au fil du temps et (v) les demandeurs et les institutions auraient alors des directives claires quant à la position de la commissaire sur les obligations des institutions en vertu de la Loi.
Afin d'aider le Comité, je produirai une présentation écrite comportant des notes de renvoi pour chacune des 85 recommandations. J'ai fourni un aperçu du premier chapitre au Comité. Je présenterai également une fiche d'information qui énoncera les diverses propositions relatives à la modification de la Loi.
En terminant, j'aimerais réitérer que les changements proposés dans mon rapport s'imposent depuis très longtemps et qu'ils sont indispensables. Une loi sur l'accès à l'information moderne aiderait les Canadiens à exercer leur droit à l’information. Elle faciliterait également la création d'une culture du gouvernement qui est ouverte par défaut. Et, elle permettrait de rétablir la position de chef de file du Canada à l'échelle mondiale en matière d'accès à l'information. Je crois fermement que le temps est venu de moderniser la Loi. Nous avons besoin d'une nouvelle loi qui résistera à l'épreuve du temps et qui passera le test du gouvernement.
Je vous remercie Monsieur le Président.