Examen législatif de l'ATIPPA

Discours devant le Independent Statutory Review Committee of ATIPPA de Terre-Neuve-et-Labrador

par Suzanne Legault, commissaire à l'information du Canada

Le 18 août 2014
St. John's (Terre-Neuve-et-Labrador)

(Le discours prononcé fait foi)


Monsieur le président, chers membres du comité, bonjour.

Je vous remercie de me donner la possibilité de présenter au Independent Statutory Review Committee mon point de vue sur les questions relatives à l'accès à l'information. Ma collègue, Jacqueline Strandberg, m'accompagne ce matin. Mme Strandberg a pris soin de préparer des documents de recherches comparatives, que nous avons remis ce matin aux membres du Comité afin de les aider dans leur examen.

Tout d'abord, je dois mentionner que j'ai pris connaissance des recommandations du commissaire Ring, avec lesquelles je suis entièrement d'accord. Mes commentaires seront donc brefs et axés sur trois points importants : le régime d'exceptions et la capacité du commissaire d'examiner les décisions relatives à la communication des renseignements, la divulgation proactive et l'obligation de documenter. Ainsi, nous pourrons consacrer plus de temps aux questions que souhaite approfondir le Comité.

Pour commencer, je tiens à féliciter le gouvernement de Terre-Neuve-et-Labrador d'avoir accordé au Comité le vaste mandat qui consiste à mener cet examen indépendant de la Access to Information and Privacy Act (ATIPPA) [Loi sur l’accès à l’information et la protection des renseignements personnels]Note de bas de page 1 et d'aller de l'avant avec son initiative pour un gouvernement ouvert.

La Cour suprême du Canada a récemment reconnu une fois de plus le rôle crucial de la législation sur l'accès à l'information : « Les lois sur l’accès à l’information servent un intérêt public important, à savoir, faire en sorte que l’État rende des comptes aux citoyens. Une société ouverte et démocratique commande l’accès des citoyens aux documents de l’État afin de permettre le débat public sur la conduite des institutions gouvernementales.

Toutefois, comme tous les droits reconnus, le droit d’accès à l’information n’est pas illimité. Toutes les lois canadiennes sur l’accès à l’information établissent un équilibre entre l’accès aux documents de l’État et la protection d’autres droits auxquels la communication inconditionnelle de ces documents risquerait de porter atteinteNote de bas de page 2. »

Par conséquent, l'examen de toute loi sur l'accès à l'information gravite autour de la question clé suivante : la loi permet-elle d'atteindre un juste équilibre entre la confidentialité exigée pour mener les affaires de l'État et la garantie que les citoyens ont accès à l'information relevant de l'administration afin qu'ils puissent demander des comptes au gouvernement? En 2014, cet exercice de pondération doit être mené dans le contexte des initiatives pour un gouvernement ouvert qui ont été amorcées non seulement à Terre-Neuve-et-Labrador, mais également partout au Canada et dans beaucoup d'autres pays.

Je conclus, d'après mon examen de l'ATIPPA actuelle, que cette loi n'atteint pas cet équilibre. Permettez-moi de vous expliquer.

Exceptions et capacité du commissaire d'examiner les décisions relatives à la communication des renseignements

L'article 3 de l'ATIPPA reconnaît le droit du public d'accéder aux documents gouvernementaux, sous réserve d'exceptions dans certains cas limités.  Les lois types sur l'accès à l'information reconnaissent ce principe et prévoient généralement que les restrictions au droit d’accès doivent être basées sur des exceptions discrétionnaires, assorties d'un critère de détermination du préjudice. L’application de ces exceptions doivent également être générale et limitée dans le tempsNote de bas de page 3.

Il est important de comprendre que les exceptions discrétionnaires ne signifient pas que tous les renseignements doivent être communiqués en tout temps. On considère les exceptions discrétionnaires comme une norme progressive, car elles exigent de la part des décideurs de prendre une décision raisonnable, juste et éclairée quant à la communication des renseignements.

On privilégie les exceptions fondées sur un critère de préjudice, car elles tiennent compte du fait que le caractère délicat des renseignements change selon les circonstances, le temps et les points de vue.

On utilise également un autre outil pour atteindre l'équilibre entre les exceptions et le droit à l'accès à l'information, à savoir la primauté de l'intérêt public. La primauté de l'intérêt public est à privilégier, car les décideurs doivent se demander si l’intérêt public général l’emporte sur l’intérêt particulier que l’exception vise à protéger. Si la réponse est oui, les renseignements doivent être communiqués. Des lois types récentesNote de bas de page 4 ainsi que certaines lois provinciales prévoient la primauté de l'intérêt publicNote de bas de page 5.

L'article 3 de l'ATIPPA prévoit également un examen indépendant des décisions sur la communication des renseignements prises par les organismes publics. Une telle surveillance indépendante est aussi conforme aux normes internationalesNote de bas de page 6.

Les changements mis de l'avant dans le projet de loi 29 élargissent la portée des principales exceptions à la divulgation en vertu de la Loi, telles que les exceptions visant les renseignements confidentiels du Cabinet, les recommandations et les conseils stratégiques ainsi que les intérêts commerciaux d'un tiers. Qui plus est, dans certains cas, ils limitent la capacité du commissaire d'examiner des décisions relatives à la communication des renseignements.

En outre, les exclusions en vertu de la Loi ne permettent la prise en compte d'aucun des facteurs que l'on doit considérer lorsqu'on invoque des exceptions discrétionnaires et, dans la plupart des cas, les décisions concernant l'application des exclusions ne peuvent faire l'objet d'un examen indépendant par le commissaire.

Sous sa forme actuelle, l'ATIPPA exclut de son application un large éventail de documents : tous les documents énumérés à l'article 5 et les documents énumérés au paragraphe 7(4), à savoir les documents d'information préparés exclusivement à l'intention d'un membre du Conseil exécutif en ce qui a trait aux responsabilités à assumer pour un ministère, un secrétariat ou un organisme et les documents d'information préparés exclusivement à l'intention du membre du Conseil exécutif en vue d'une séance à la Chambre d'assemblée.

Actuellement, la cour d'appel tranche la question visant à déterminer si le commissaire peut examiner les décisions prises relativement à la communication des renseignements en vertu de l'article 5Note de bas de page 7. De plus, l'article 43 empêche le commissaire d'examiner les décisions prises en vertu de l'article 18 (dans le cas où le document est un document officiel du Cabinet) et d'examiner les décisions prises en vertu de l'article 21 (dans le cas où les renseignements doivent être protégés par le secret professionnel de l’avocat).

Je n'ai pas examiné l'ensemble des dispositions des lois et des règlements qui sont considérées comme l'emportant sur l'ATIPPA, mais j'ai examiné les dispositions de la Energy Corporation ActNote de bas de page 8 qui régissent l'accès à l'information détenue par Nalcor et ses filiales, vu l'importance des activités de cette société. L'article 5.4 de la Energy Corporation Act empêche le commissaire d'examiner les décisions relatives à la communication des renseignements prises par le président-directeur général de Nalcor, dans le cas où ce dernier atteste que l'information remplit les conditions de non-divulgation et que cette attestation est confirmée par le conseil d'administration de la société.

Selon moi, l'élargissement du régime d'exceptions, les exclusions et la restriction de la capacité du commissaire d'examiner les décisions relatives à la communication des renseignements font pencher la balance de l'ATIPPA excessivement en faveur de la non-divulgation des renseignements du gouvernement, et ce, au détriment de la capacité des Téneliens de demander des comptes au gouvernement.

Ces facteurs vont également à l'encontre des principes de l'initiative pour un gouvernement ouvert amorcée par l'administration provinciale, à savoir la transparence, la reddition de comptes, la participation et la collaborationNote de bas de page 9.

Divulgation proactive

L'article 69 de l'ATIPPA prévoit la création et la publication d'un registre visant à aider les citoyens à trouver les documents détenus par les organismes publics. Le commissaire Ring a souligné dans son document d'information que ce registre n'a pas encore été créé et il recommande qu'il soit mis sur pied et tenu à jour.

Je donne mon aval à cette recommandation, mais je recommande également que le gouvernement modifie la Loi afin d'y inclure des dispositions relatives à des systèmes de publication. Les lois sur l'accès à l'information doivent comprendre des systèmes de publication afin de divulguer de façon périodique certaines catégories de documents, comme les politiques et les procédures, les procès-verbaux de réunions, les rapports annuels et les renseignements financiers. En général, ces documents doivent être accessibles au public par l'intermédiaire du site Web de l'institution et mis à jour de façon périodique. D'autres provinces et pays, de même que les lois types, utilisent des systèmes de publicationNote de bas de page 10.

L'établissement d'un système de publication comporte de nombreux avantages. Ils peuvent préconiser une culture propice à la communication, favoriser la transition d’un cadre d'accès réactif à proactif, et réduire les coûts pour le gouvernement grâce à la diminution du nombre de demandes d'accès et à la réduction des délais pour l'obtention des renseignements que cherche le public. L'intégration de systèmes de publication à l'ATIPPA s'inscrirait également dans le cadre de l'initiative pour un gouvernement ouvert de l'administration provinciale.

Obligation de documenter

Actuellement, l'ATIPPA n'a pas de disposition qui oblige à documenter les décisions, y compris les renseignements et les processus utilisés pour motiver les décisions. Le régime d'accès à l'information repose sur l’enregistrement de l’information. Si la Loi ne précise pas explicitement l'obligation de documenter, il se peut que les renseignements liés au processus décisionnel ne soient pas tous consignés. Ce risque est accentué par l'avènement des nouvelles technologies utilisées au sein des institutions gouvernementales, telles que la messagerie instantanéeNote de bas de page 11. L'obligation légale de documenter le processus décisionnel permet non seulement de protéger le droit à l'information, mais aussi d'améliorer la gouvernance et de préserver l'héritage historique des décisions du gouvernement.

Merci de votre attention. Je serai heureuse de répondre à vos questions.

Notes de bas de page

Note de bas de page 1

S.N.L. 2002, chapitre A-1.1.

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Note de bas de page 2

Untel c. Ontario (Finances), 2014 CSC 36, paragraphes 1-2.

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Note de bas de page 3

Voir : Article 19, A Model Freedom of Information Law, Londres, Article 19, 2006, Part IV: Exceptions, Internet : Article 19 [Loi type d'Article 19]; Organisation des États Américains, Model Inter-American Law on Access to Public Information and its Implementation Guidelines, Washington, Organisation des États Américains, Secrétariat aux questions juridiques, 2012, article 40, Internet : Organisation des États Américains [Loi type de l'OEA]; Open Society Foundations, The Tshwane Principles on National Security and the Right to Information, New York, Open Society Foundations, 2013, principe 1(c) et principe 3, Internet : Open Society Foundations [Principes de Tshwane]; Open Government Guide, Open Government Guide: Right to Information, New York, Open Government Guide, 2013, recommandation 4, Internet : Open Government Guide [Open Government Guide].

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Note de bas de page 4

Loi type de l'OEA, articles 43 et 44; Principes de Tshwane, principe 3b)(ii).

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Note de bas de page 5

Freedom of Information and Protection of Privacy Act (Colombie-Britannique), R.S.B.C. 1996, chapitre 165, article 25; Loi sur l'accès à l'information et la protection de la vie privée (Ontario), L.R.O. 1990, chapitre F.31, article 23 [LAIPVP ON].

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Note de bas de page 6

Se reporter à la Loi type de l'OEA, Implementation Guidelines, p. 51.

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Note de bas de page 7

Ring c. Memorial University of Newfoundland, 2014 CanLII 12849 (NL SCTD).

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Note de bas de page 8

S.N.L. 2007, chapitre E-11.01.

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Note de bas de page 9

Gouvernement de Terre-Neuve-et-Labrador, Bureau de l’engagement du public, Open Government Initiative Framework, St. John’s, Bureau de l’engagement du public, 2014, p. 1, Internet : Open Government.

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Note de bas de page 10

Toutes les lois sur l'accès à l'information qui suivent comprennent des systèmes de publication : LAIPVP ON, article 33; Loi sur l'accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels, Québec, RLRQ chapitre A-2.1, section III : diffusion de documents ou de renseignements; loi fédérale sur la transparence et l'accès à l'information publique gouvernementale (Federal Transparency and Access to Governmental Public Information Act), Mexique, 2002, article 7; Freedom of Information Act 2000, Royaume-Uni, chapitre 36, article 19; Freedom of Information Act, États-Unis, 5 U.S.C. § 552(a). Les lois types suivantes comprennent également des systèmes de publication : Open Government Guide; Loi type de l'OEA, article 8; Loi type d'Article 19, article 17.

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Note de bas de page 11

Commissariat à l’information du Canada, La messagerie instantanée : un risque pour l’accès à l’information(Rapport spécial), Ottawa, Commissariat à l’information du Canada, 2013, Internet : Commissariat à l’information du Canada.

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