2015 Soumission à l'Assemblée nationale du Québec – Réforme de la CAI
Monsieur Gilles Ouimet, député
Président de la Commission des institutions
Assemblée nationale du Québec
Édifice Pamphile-Le May
1035, rue des Parlementaires
3e étage, Bureau 3.15
Québec (Québec) G1A 1A3
Monsieur Ouimet,
L’accès à l’information gouvernementale est l’un des principaux piliers de notre architecture démocratique, car il permet aux citoyens et citoyennes d’obtenir des comptes de leur gouvernement. Afin d’assurer la solidité de ce pilier, un cadre juridique moderne est nécessaire. Je tiens donc à féliciter le gouvernement du Québec d’avoir entrepris cet effort de modernisation en publiant son document Orientations gouvernementales pour un gouvernement plus transparent, dans le respect du droit à la vie privée et la protection des renseignements personnels.
Je tiens également à féliciter la Commission des institutions de l’Assemblée nationale du Québec d’avoir lancé ce processus de consultations publiques. Cette participation citoyenne à la création de politiques et ce dialogue public respectent en tout point les principes fondamentaux d’une gouvernance ouverte et transparente.
Le document d’orientations du gouvernement se penche sur divers aspects du régime d’accès à l’information et de la protection des renseignements personnels. On y retrouve une volonté évidente d’accroitre l’accès aux documents gouvernementaux qui se manifeste à travers de propositions positives, telles la diffusion proactive plus importante ainsi que la réduction de délais maximums d’inaccessibilité.
Transformation de la CAI
Dans le cadre de cette soumission, je limiterai mes commentaires à l’orientation 30, portant sur la structure de la Commission d’accès à l’information du Québec (CAI). Mes observations sont le fruit de l’expérience acquise par mon bureau au cours des trois dernières décennies.
L’orientation 30 propose de transformer la CAI, présentement structurée selon le modèle exécutoire, en organisme non juridictionnel exerçant des fonctions de surveillance, de médiation, de promotion et d’information. On y indique entre autre qu’elle détiendrait des pouvoirs d’ordonnance et qu’en cas de non-respect, le commissaire pourrait porter la cause devant le Tribunal administratif du Québec (TAQ) qui pourrait la rendre exécutoire. Le modèle proposé pour la CAI serait essentiellement un modèle d’ombudsman similaire au mandat qui m’est confié par la Loi sur l’accès à l’information fédérale (la Loi).
Une fonction de surveillance indépendante et efficace des actions du gouvernement est un élément essentiel d’un régime d’accès à l’information robuste et performant. Deux modèles de surveillance se distinguent à ce chapitre: le modèle d’ombudsman et le modèle exécutoire.
Le modèle d’ombudsman
Dans le cadre du modèle d’ombudsman qui m’est confié, ma fonction principale consiste à enquêter les plaintes concernant le traitement des demandes d’accès à l’information. Je dispose de pouvoirs d’enquête considérables, incluant le pouvoir d’obtenir et d’examiner les documents requis pour mener une enquête (sous réserve de certaines exceptions), de délivrer des assignations à comparaitre, faire prêter serment et pénétrer dans les locaux occupés par une institution fédérale.
À la fin d’une enquête, si la plainte est fondée, je peux émettre des recommandations à l’institution visée par la plainte. Ces recommandations ne sont ni contraignantes, ni exécutoires. Leur mise en œuvre dépend entièrement de la volonté de l’institution qui fait l’objet de la plainte. En pratique, ce pouvoir de recommandation a pour effet de limiter grandement ma capacité de faire valoir les droits des demandeurs en vertu de la Loi et d’assurer un accès rapide à l’information demandée.
Tel qu’il est noté dans le document d’orientations du gouvernement, en cas de désaccord avec l’institution, il m’est effectivement possible en vertu de la Loi et avec l’accord du plaignant, d’entamer un recours en Cour fédérale du Canada afin que celle-ci tranche la question. Il est toutefois important d’apporter certaines précisions sur ce droit de recours.
En premier lieu, ce recours n’est pas une révision judiciaire de mon enquête, mais plutôt une révision judiciaire de la décision de refus d’accès par l’institution. De plus, c’est un recours de novo, ce qui veut dire que l’examen repart à zéro et que les parties peuvent même présenter de nouveaux éléments de preuve devant la Cour. En deuxième lieu, bien que mon mandat me permette de faire enquête sur un large éventail de questions, la juridiction de la Cour fédérale se limite à examiner le refus d’une institution de divulguer l’information.
Finalement, le recours en Cour fédérale entraine des délais et des coûts importants. Si mon bureau décide de ne pas porter l’affaire devant la Cour fédérale, le demandeur peut se prévaloir de ce droit de recours, mais il doit en débourser les frais.
Somme toute, le modèle d’ombudsman et les procédures y afférentes n’incitent pas les institutions à maximiser la divulgation de l’information en temps opportun et peut être un obstacle important aux citoyens qui désirent faire valoir leurs droits d’accès.
Le modèle exécutoire
Dans le cadre d’un modèle exécutoire présentement en place à la CAI, le commissaire joue plutôt le rôle d’un arbitre qui traite des appels des demandeurs concernant le traitement de leur demande d’accès à l’information. Le commissaire tranche la question qui lui est soumise en fonction des représentations des parties impliquées. Le modèle exécutoire peut être doté d’une option de médiation pour régler plus rapidement les cas qui s’y prêtent.
À la conclusion de ce processus, l’ordonnance du commissaire est exécutoire. Elle peut également être portée en révision judiciaire par l’une ou l’autre des parties. Ce modèle comporte plusieurs avantages. D’abord, il incite les institutions gouvernementales à faire des représentations exhaustives auprès du commissaire et à soumettre l’ensemble de leur preuve dès le début, puisque la révision judiciaire par la Cour se fonde sur le même dossier de preuve.
En outre, les ordonnances créent une jurisprudence, ce qui n’est pas le cas lorsqu’on émet des recommandations. Les demandeurs et les institutions ont alors des directives claires quant à la position du commissaire sur les obligations des institutions en vertu de la Loi. Ultimement, ceci peut aussi entrainer une réduction des plaintes à traiter sur des sujets identiques.
Le modèle exécutoire a également l’avantage d’être expéditif donnant lieu à un accès plus opportun à l’information gouvernementale garantissant ainsi le respect du droit d’accès. Le traitement des demandes d’accès est plus ponctuel, car les institutions savent que le commissaire peut ordonner le traitement d’une demande dans un certain délai. Le modèle exécutoire évite aussi les délais et coûts causés par un recours de novo devant un tribunal.
Finalement, si l’institution fédérale refuse la divulgation suivant l’ordonnance du commissaire, le fardeau de contester revient à l’institution et non au demandeur, comme c’est le cas à l’heure actuelle au palier fédéral.
Conclusion
À la lumière des observations qui précèdent, je suis d’avis que le modèle exécutoire constitue le modèle de surveillance optimal pour assurer le respect du droit quasi-constitutionnel d’accès à l’information. C’est d’ailleurs le modèle que je recommande au Parlement au chapitre 5 de mon rapport spécial Viser juste pour la transparence : Recommandations pour moderniser la Loi sur l’accès à l’information, déposé en mars 2015. De plus, à l’heure actuelle, le modèle exécutoire est la norme progressive. C’est le modèle qui prévaut dans plusieurs provinces canadiennes, au Royaume-Uni, en Inde et au Mexique.
Suite à vos délibérations, s’il se révèle que le modèle de l’Ombudsman est le modèle choisi par le Québec, il est suggéré de tenir compte des éléments suivants dans votre réflexion :
- Comment assurer la rapidité du traitement des plaintes au bureau du commissaire afin d’assurer l’accès rapide à l’information gouvernementale?
- Les institutions auront-elles des délais à l’intérieur desquels elles devront faire leurs représentations auprès du commissaire?
- Quels seront les pouvoirs d’enquête du commissaire?
- Est-ce que le commissaire aura le pouvoir d’enquêter de sa propre initiative?
- Est-ce que les recommandations du commissaire seront publiques ou seront-elles confidentielles?
- Le renvoi du dossier au TAQ pour exécution des ordonnances du commissaire créera-t-il des délais indus à l’accès à l’information demandée?
- Le renvoi du dossier au TAQ sera-t-il un recours de novo ou une révision de l’ordonnance du commissaire?
- Ce recours pourra-t-il être entrepris par un citoyen ou seulement par le commissaire?
- Le TAQ a-t-il l’expertise nécessaire pour traiter les demandes relatives à l’accès à l’information?
- Le TAQ traitera-t-il uniquement des questions de refus de divulgation ou de toute question de droit relative à l’application de la loi?
- La proposition n’indique pas si la décision du TAQ est finale. Pourra-t-elle être portée en appel à la Cour du Québec? Si oui, qu’a-t-on prévu pour réduire les délais occasionnés par ce recours additionnel?
- Si non, la décision du TAQ pourra-t-elle être portée en révision judiciaire à la Cour supérieure? Qu’a-t-on prévu pour réduire les délais occasionnés par ce recours additionnel?
- Des ressources additionnelles seront-elles nécessaires pour permettre à la CAI et au TAQ d’accomplir leurs nouveaux mandats?
Je suivrai avec intérêt les délibérations de la Commission des institutions sur cette question. Je joins également à cette soumission mon rapport spécial sur la modernisation de la Loi, qui porte un regard global sur la santé du système d’accès à l’information fédéral et qui propose 85 recommandations visant à l’améliorer. J’espère que mes observations vous seront utiles dans vos délibérations.
Je vous prie d’agréer, Monsieur le Président, l’expression de ma considération distinguée.
La commissaire à l’information du Canada,
Suzanne Legault
p.j.