Décision en vertu de l’article 6.1, 2024 OIC 60
Date de la décision : avril 2024
Résumé
Une institution a présenté à la Commissaire à l’information une demande d’autorisation pour ne pas donner suite à une demande d’accès à l’information en vertu du paragraphe 6.1(1) de la Loi sur l’accès à l’information. L’institution soutient que la demande d’accès constitue un abus du droit de faire une demande de communication.
La Commissaire conclut que l’institution a démontré que la demande d’accès constitue un abus du droit de faire une demande de communication. De plus, la Commissaire conclut que les circonstances justifient qu’elle accorde son autorisation à l’institution de ne pas donner suite à la demande d’accès en cause.
La demande d’autorisation est accordée.
Demande d’autorisation
En vertu du paragraphe 6.1(1) de la Loi sur l’accès à l’information, le responsable d’une institution fédérale peut demander à la Commissaire à l’information l’autorisation écrite de ne pas donner suite à une demande d’accès si, à son avis, la demande est l’une ou plusieurs des choses suivantes :
- vexatoire;
- entachée de mauvaise foi;
- un abus du droit de faire une demande d’accès.
Les institutions ne peuvent pas refuser de donner suite à une demande d’accès pour la simple raison que les renseignements demandés ont déjà été publiés de manière proactive en vertu de la partie 2 de la Loi [paragraphe 6.1(1.1)].
Il incombe à l’institution de démontrer que la demande d’accès satisfait à l’un ou plusieurs des critères du paragraphe 6.1(1).
Si l’institution démontre que l’un ou plusieurs critères du paragraphe 6.1(1) s’appliquent, alors la Commissaire doit exercer son pouvoir discrétionnaire pour accorder ou non l’autorisation.
Dans l’exercice de ce pouvoir, la Commissaire considère toutes les circonstances et tous les facteurs pertinents, dont :
- la nature quasi constitutionnelle du droit d’accès;
- l’intérêt public à l’égard des documents demandés;
- la question de savoir si l’institution s’est acquittée de ses obligations en vertu du paragraphe 4(2.1), soit de faire tous les efforts raisonnables pour prêter toute l’assistance indiquée à la personne qui a fait la demande d’accès.
Demande d’accès en cause
Le 18 janvier 2024, l’institution a demandé l’autorisation de la Commissaire pour ne pas donner suite à une demande d’accès reçue le 7 septembre 2021. La demande se formule comme suit :
Prière de me communiquer tout document créé depuis le 1er janvier 1991 concernant :
- toute représentation de l’industrie (concepteurs, manufacturiers, distributeurs, industriels, et(ou) vendeurs et(ou) leurs représentants, lobbyistes, avocats, firme de communication, etc.) concernant des pesticides néonicotinoïdes;
- tout document émanant directement ou indirectement de ces représentations (sans restreindre la généralité de ce qui précède des documents tels memoranda, études, courriel, correspondance, directives, notes de réunion, avis publics, etc.).
Dans le cadre du traitement de cette demande, je vous demande de considérer le paragraphe 20(6) de la Loi et la décision H. J. Heinz company of Canada ltd. c. Canada (Procureur général), 2006 CAF 378 (CanLII).
L’institution est-elle forclose de présenter une demande d’autorisation?
Dans ses observations, le demandeur d’accès affirme que l’institution est forclose d’invoquer l’alinéa 6.1. L’institution serait privée de son droit de demander l’autorisation de la Commissaire parce que la période de 30 jours prévue à l’alinéa 7 a été dépassée et que l’institution n’a ni transmis la demande d’accès, ni prorogé le délai pour y répondre.
L’article 6.1 prévoit que le délai dans lequel une institution doit répondre à une demande d’accès est suspendu lorsqu’une institution demande l’autorisation de la Commissaire de ne pas donner suite à une demande d’accès en vertu du paragraphe 6.1(1). Cela dit, il n’impose pas de délai obligatoire pour demander son autorisation.
Bien qu’une demande d’autorisation devrait généralement être présentée dans les 30 premiers jours suivant la réception de la demande d’accès par l’institution ou dans le délai prorogé, la Commissaire reconnait que des circonstances spécifiques peuvent avoir une incidence sur le moment auquel une demande d’autorisation est présentée. L’expiration de la période de 30 jours ou du délai prorogé ne l’empêche donc pas d’examiner une demande d’autorisation; il s’agit par contre d’un facteur dont elle peut tenir compte dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire d’accorder ou de refuser son autorisation en vertu du paragraphe 6.1(1).
La demande d’accès constitue-t-elle un abus du droit de faire une demande de communication?
La Loi prévoit un important droit d’accès aux documents relevant des institutions fédérales. Cependant, tous les droits s’accompagnent de responsabilités. Il ne faut pas abuser de ce droit d’accès.
Il y a abus lorsqu’une personne qui fait une demande d’accès utilise son droit de manière abusive ou inappropriée.
C’est par exemple le cas lorsqu’une demande d’accès vise un objectif autre que la communication de documents ou de renseignements. C’est également le cas lorsqu’une demande d’accès est contraire à l’intérêt public parce qu’elle constitue un fardeau excessif pour l’institution, parce qu’elle empêche d’autres personnes de faire valoir leur droit d’accès et/ou parce qu’elle augmente indûment les coûts et le temps consacré par une institution au respect de ses obligations en vertu de la Loi.
La liste de facteurs ci-dessus n’est pas exhaustive; d’autres facteurs pertinents peuvent être pris en considération selon les circonstances propres à chaque cas. Il faut donc évaluer chaque demande d’accès au cas par cas pour établir s’il s’agit ou non d’un abus du droit de faire une demande de communication.
L’institution soutient que la demande d’accès en cause constitue un abus du droit de faire une demande de communication parce qu’y répondre entraverait les opérations du bureau de première responsabilité (BPR), les opérations du bureau de l’accès à l’information et de la protection des renseignements personnels (AIPRP), ainsi que le droit d’accès des autres demandeurs d’accès.
Volumes et complexité des documents
Pour appuyer ses allégations, l’institution explique que la demande d’accès devrait générer environ 5 millions de pages. Pour en arriver à ce nombre, elle a additionné les éléments suivants :
- 3,4 millions de pages provenant des demandes présentées à l’institution (Les néonicotinoïdes comprennent au moins un ingrédient parmi les 6 ingrédients actifs suivants : la clothianidine, le dinotéfurane, l’imidaclopride, l’acétamipride, le thiaclopride, le thiaméthoxame. En effectuant une recherche pour ces ingrédients, l’institution a trouvé 15 407 numéros de demandes associées aux pesticides liées à au moins l’un de ces ingrédients, pour un total de 102 106 documents ou 227 375 Méga Octets (Mo). L’institution considère que 1 Mo devrait contenir 15 pages; on parvient donc à un total de 3,4 millions de pages.)
- 357 000 pages de documents connexes (28 600 Mo de documents connexes ont été trouvés pendant une recherche initiale, pour un total de 357 000 pages.)
- 765 600 pages de courriels (L’estimation est de 191 400 courriels comportant 4 pages chacun. Ces courriels sont ceux d’une seule des Directions affectées par la demande d’accès.)
- 765 000 pages de documents papier (L’institution estime que 300 boîtes de dossiers papier contiendront des documents pertinents, pour un total de 765 000 pages. Cette estimation est basée sur le calcul suivant : 200 pages par pouce, et 12,75 pouces par boîte, ce qui fait 765 000 pages pour les 300 boîtes. Par contre, l’institution spécifie que ces pages ne seront probablement pas toutes pertinentes, mais que la majorité le sera.)
De plus, l’institution remarque que les documents sont de nature complexe, puisque le traitement de ces documents exigera de nombreuses consultations avec les tiers (plus de 106 tiers), des organismes gouvernementaux et des organismes internationaux.
Efforts pour circonscrire la demande d’accès
L’institution explique qu’avant de présenter sa demande d’autorisation, elle a tenté d’aider le demandeur d’accès à formuler une demande plus précise et moins lourde, mais sans succès.
Une première tentative est faite lors de laquelle l’institution a suggéré que, pour accélérer le processus de la demande d’accès, celle-ci pourrait porter sur :
- obtenir tous les documents (courriel, lettres, compte rendu de réunion) en lien avec la demande d’un tiers de l’industrie qui a provoqué les consultations sur le glyphosate, sur limites maximales de résidus proposées par l’institution;
- tous les renseignements liés à la proposition d’augmenter les droits limites de glyphosate sur les produits alimentaires et couvre la période allant du 1er janvier 2019 à la date de la présentation de la demande d’accès.
Le demandeur d’accès a refusé le jour même cette suggestion. Il a indiqué ne pas être intéressé qu’aux changements récents, ni uniquement à ce tiers et réitère que la demande concerne des documents générés depuis 1991.
L’institution a, par l’entremise d’un enquêteur du Commissariat à l’information, fourni au demandeur d’accès une liste d’information issue du domaine public et une liste de demandes d’accès qui ont été traitées auparavant concernant le même sujet. L’institution a aussi proposé au demandeur d’accès de consulter des documents dans la « salle de lecture » et a fourni un lien vers le site internet. Ce lien explique que cette « salle de lecture » est disponible à Ottawa ou en mode virtuel et qu’elle permet aux membres du public de « consulter les données d'essai confidentielles (c'est-à-dire les données d'essai auxquelles l'accès peut être refusé en vertu de la Loi sur l'accès à l'information) à la base de décisions d'homologation de pesticides ou de projets de décision dans le cas des examens postérieurs à la commercialisation, à savoir les réévaluations et les examens spéciaux ».
Le demandeur d’accès a répondu aux suggestions de l’institution par l’entremise de l’enquêteur du Commissariat. Il a affirmé qu’il ne peut consulter la « salle de lecture » à cause de la distance géographique, mais ne reconnaît pas la possibilité de consulter les documents en mode virtuel. Le demandeur a néanmoins accepté d’exclure de sa demande d’accès les produits non homologués au Canada et les étiquettes. Il a précisé qu’il pourrait circonscrire davantage sa demande si on lui fournit un descriptif sommaire des documents administratifs autres que ceux contenant les données de soumissions pour des demandes associées aux pesticides et les données de spécifications de la revue scientifique interne ou un index Vaughn de ces documents. (L'index Vaughn est un document préparé par les agences aux États-Unis dans le cadre d'un litige relatif à l’accès à l’information pour justifier les refus de communiquer des informations en vertu d'une exemption prévue à la loi.) L’institution n’a pas fourni l’index demandé parce que, à son avis, cela représenterait quand même une charge de travail considérable.
Selon l’institution, les modifications apportées par le demandeur d’accès n’ont pas un effet significatif sur le nombre de pages générées par la demande d’accès. Le retrait des étiquettes représente environ 40 000 pages : chacune des 10 000 étiquettes comporte environ 4 pages. Le retrait des produits non homologués n’a pas non plus d’incidence significative sur le volume de documents, car une grande partie de la documentation peut être associée à des produits qui ont été ultérieurement autorisés ou réévalués par l’un des BPR.
Toujours par l’entremise de l’enquêteur du Commissariat, l’institution a proposé que les confidences du cabinet soient exclues et a aussi demandé si le demandeur d’accès avait l’intention, en mentionnant les décisions qu’il cite, d’exclure l’information de tiers. L’institution précise que l’exclusion d’information de tiers permettrait de réduire considérablement le volume de documents.
Le demandeur a indiqué ne vouloir que les confidences du cabinet qui font l’objet d’une exception au paragraphe 69(3). De plus, le demandeur d’accès n’a pas renoncé à obtenir l’information de tiers.
Finalement, l’institution a fourni une liste des 213 néonicotinoïdes homologués au Canada par l’entremise de l’enquêteur et a demandé au demandeur d’accès d’établir une liste de priorité pour le traitement de ces pesticides. Le demandeur d’accès a indiqué qu’il s’intéressait à tous les néonicotinoïdes de façon égale, et qu’il ne voulait pas établir un ordre de priorité.
Entrave avec les opérations du BPR
L’institution mentionne qu’un BPR sera particulièrement affecté par cette demande d’accès. Ce BPR est responsable de la réglementation des pesticides, et donc de la santé des Canadiens et de la protection de l’environnement. Il autorise la vente et l’utilisation des pesticides en se basant sur la Loi sur les produits antiparasitaires, et mène des examens scientifiques grâce à des équipes multidisciplinaires expertes en chimie, toxicologie, exposition professionnelle, environnement et valeur.
Selon l’institution, les néonicotinoïdes constituent la classe d’insecticides la plus populaire, ce qui leur donne une place prépondérante dans les travaux de ce BPR. Ainsi, la demande d’accès, qui vise tous les documents associés aux néonicotinoïdes, aurait une incidence sur les dossiers de la majorité des employés de ce BPR (environ 550 employés). La demande d’accès affecterait les six directions du BPR, mais plus particulièrement les quatre directions scientifiques (environ 370 employés).
L’institution estime que chaque employé du BPR devra faire une recherche par mots-clés dans son compte de courriel, et que 16 000 mots-clés devront être utilisés. Pour en arriver à ce nombre de mots-clés, l’institution a pris en compte le nombre de demandes associées aux néonicotinoïdes, soit 15 407. Ainsi, les employés du BPR devront entrer tous les numéros de demande afin d’extraire l’information pertinente. De plus, ces employés devront utiliser, notamment, des codes et du texte associés aux ingrédients actifs, et le nom et le numéro d’enregistrement des produits.
En plus de cette recherche de courriels, l’institution précise que les 15 407 demandes associées aux néonicotinoïdes devront être téléchargées de la base de données, ce qui créera une contrainte sur le système de TI et viendra empêcher, obstruer ou restreindre l’accès des employés.
Finalement, l’institution précise que l’examen des documents devra être effectué par les conseillers scientifiques du BPR, et cela, pendant une période importante de temps. Cet examen comprendra une analyse ligne par ligne de l’information et aura pour but de déterminer le contexte, trier les renseignements sensibles et signaler les risques associés à la divulgation.
L’institution soutient que l’extraction et l’examen des documents imposeront au BPR de réaffecter une partie importante de son personnel, y compris une partie importante de ses conseillers scientifiques expérimentés, ce qui l’empêchera de remplir son mandat réglementaire qui est de traiter les demandes relatives aux pesticides et ainsi de protéger la santé des Canadiens et l’environnement. De plus, l’arrivée de nouveaux produits sur le marché et le retrait d’autres produits pourraient être retardés, ce qui aura aussi une incidence négative sur l’industrie agricole.
Par ailleurs, l’institution mentionne que de répondre à cette demande d’accès aurait aussi un effet négatif sur les opérations de l’équipe du BPR qui s’occupe du contrôle de la qualité. Cette équipe, qui comprend 8 employés, est responsable de coordonner la réponse des demandes d’accès à l’information, d’assembler les documents, de colliger les recommandations relatives à la divulgation, de faire un contrôle de la qualité et d’obtenir les autorisations. La demande d’accès en cause monopoliserait ainsi le travail de ces 8 employés, ce qui empêcherait le BPR de répondre à d’autres demandes d’accès à l’information et brimerait le droit d’accès d’autres personnes.
Finalement, la réaffectation du personnel aurait, selon l’institution, un effet négatif sur le budget du BPR en retardant le traitement des soumissions qu’elle reçoit. Le BPR est sujet aux exigences de la Loi sur les frais de service. Si l’examen des soumissions reçues par ce BPR ne respecte pas les normes de service établies pour lesquels des frais ont été payés, le BPR doit remettre une portion des frais perçus, ce qui peut mener à une insuffisance budgétaire. Plus précisément, le BPR est tenu de rembourser au demandeur un montant allant de 10 à 25% des frais totaux payés. À titre d’exemple, en 2022-2023, le BPR a perçu un total de 1,7 million de dollars pour les demandes de précommercialisation. S‘il devait remettre une partie importante de ces frais, le BPR se retrouverait avec une insuffisance budgétaire, ce qui pourrait aussi avoir un effet négatif sur sa capacité d’embaucher, de former et de retenir le personnel.
Entrave avec le bureau de l’AIPRP
L’institution mentionne que le bureau de l’AIPRP sera négativement affecté par la demande d’accès en cause, ce qui aura aussi une incidence négative sur le droit d’accès des autres demandeurs.
Ce bureau compte 104,84 employés à temps plein. Au cours de l’exercice 2022-2023, le bureau a fermé 2 432 demandes (2 132 demandes d’accès à l’information et 300 demandes de protection des renseignements personnels) et a examiné 519 014 pages (500 362 pages de demande d’accès à l’information et 18 652 pages de demande de protection des renseignements personnels).
L’institution continue par ailleurs de renforcer ses capacités, en tentant d’embaucher plus d’employés. En 2023, elle a embauché 10 recrues de niveau postsecondaire. Elle a aussi tenu des processus de sélection pour pourvoir des postes de directeurs adjoints et de chefs d’équipe, mais ces processus ont permis de recruter très peu de candidats. La pénurie de ressources qualifiées dans le domaine de l’AIPRP est bien connue et répandue à l’échelle du gouvernement, ce qui cause des difficultés à maintenir les ressources suffisantes pour répondre à la demande.
Le bureau de l’AIPRP de l’institution comprend deux équipes dédiées au traitement des demandes d’information liées aux médicaments et produits, l’une d’elles étant l’Équipe de l’AIPRP des drogues. Cette équipe serait responsable de la demande en cause.
L’Équipe de l’AIPRP des drogues traite présentement 551 demandes d’accès à l’information, et a extrait plus de 1,17 million de pages. Cette équipe compte actuellement 13 employés à temps plein. Compte tenu des 1,17 million de pages qui doivent être examinées, chaque employé aurait une charge de travail d’environ 90 000 pages. En se basant sur un ratio de 1000 pages par mois par employé, l’institution en vient à la conclusion que la charge de travail actuelle représente 7,5 ans de travail par employé. Si cette équipe devait traiter la demande d’accès en cause, qui comprend 5 millions de pages, il faudrait aux 13 employés environ 32 ans supplémentaires.
Selon l’institution, il serait déraisonnable d’affecter une équipe complète au traitement d’une seule demande d’accès et de consacrer 32 ans au traitement de cette demande. Cela constituerait un abus du système d’accès à l’information et aurait une incidence négative sur le droit des autres demandeurs. Il serait aussi déraisonnable d’affecter un ou deux employés à temps plein à cette seule demande, étant donné que ces employés ne pourraient répondre à la demande durant leur vie (il faudrait environ 208 ans à deux employés à temps plein pour répondre à la demande).
Discussion
En réponse à la demande d’autorisation, le demandeur d’accès affirme que l’estimation de 5 millions de pages de l’institution est irrationnelle. Le demandeur d’accès précise qu’il a été informé, le 6 juin 2023, que la demande ne générerait que 75 000 pages et qu’aucune preuve relative au volume de documents n’a été fournie par l’institution au soutien de la demande d’autorisation. De plus, il soutient que l’institution n’a jamais exprimé de doléances concernant ce nombre de pages avant de présenter sa demande d’autorisation.
La Commissaire note que le document « Évaluation approfondie de la demande A-2021-000915 » (ci-après « l’évaluation ») a été transmis au demandeur d’accès le 6 juin 2023 par l’entremise d’un enquêteur du Commissariat à l’information. Ce document préparé par l’institution contient une estimation du nombre de documents répondant à la demande d’accès. Selon cette évaluation faite par l’institution, la demande devrait générer un total de 153 373 documents. La Commissaire remarque que cette évaluation est basée sur le nombre de documents, et non sur le nombre de pages. De plus, l’institution précise, dans cette évaluation, que l’estimation de certains de ces documents a été basé sur un échantillon qui date des 5 dernières années. Elle estime donc qu’il y aurait encore plus de documents.
Compte tenu de ce qui précède, la Commissaire a du mal à s’expliquer comment le demandeur d’accès en est arrivé à la conclusion que sa demande ne générerait que 75 000 pages. La Commissaire constate aussi que le nombre de documents présenté dans l’évaluation est cohérent avec l’estimation de 5 millions de pages présentée par l’institution dans sa demande d’autorisation.
Par ailleurs, l’institution affirme, dans l’évaluation, que la récupération des documents à elle seule requerrait plus de 6000 heures de travail, et que plus de 148 employés devraient se mettre à la tâche. L’institution indique aussi que le traitement de la demande d’accès générerait une « immense charge de travail » et que le BPR « subirait un impact considérable sur ses opérations, si la demande reste en l’état ». Contrairement à ce que soutient le demandeur d’accès, la Commissaire considère que ce dernier a été informé du fait que le volume de pages générerait un fardeau important pour l’institution, et ce, bien avant le dépôt de la demande d’autorisation.
Comme il est indiqué ci-dessus, il y a abus du droit de présenter une demande de communication lorsqu’une personne utilise son droit d’accès de façon abusive ou inappropriée. Cela peut être le cas lorsqu’une demande impose un fardeau excessif à une institution, nuit de façon déraisonnable aux activités d’une institution ou nuit au droit d’accès d’autres demandeurs.
Dans le cas présent, le demandeur d’accès veut obtenir tous les documents produits au cours des 30 dernières années au sujet de tous les néonicotinoïdes (selon l’institution, 216 néonicotinoïdes figureraient dans ses dossiers). Bien que le sujet identifié (néonicotinoïdes) soit précis, la demande d’accès vise, en plus de toute représentation de l’industrie, plusieurs types de documents qui émanent directement ou indirectement de ces représentations (memoranda, études, courriel, correspondance, directives, notes de réunion, avis publics, etc.) sur une période qui s’étend sur 30 ans.
La Commissaire est d’avis que la demande d’accès, telle qu’elle est formulée, est excessivement vaste. Les institutions ne sont pas obligées de faire un calcul précis, mais les estimations du volume d’information que peut générer une demande d’accès doivent être raisonnables et réalistes. L’institution a fourni des explications détaillées à l’appui du calcul du nombre de pages estimé que la demande d’accès générerait. Ce calcul n’est pas parfait, et comporte une marge d’erreur appréciable. Néanmoins, l’estimation et les explications fournies permettent à la Commissaire de conclure que la demande d’accès générerait quand même des millions de pages.
Les tentatives de l’institution pour limiter la demande d'accès à l'information ont été infructueuses. Par ailleurs, la Commissaire remarque que le demandeur d’accès a refusé les suggestions faites par l’institution qui permettrait de réduire de manière significative le nombre de pages générées par la demande, y compris la suggestion de consulter certains documents dans une salle de lecture virtuelle. Or, l’utilisation de la salle de lecture virtuelle aurait pu être une bonne manière de réduire les ressources requises pour donner accès à l’information demandée.
Le demandeur d’accès indique que l’institution n’a fait aucun effort pour lui fournir un descriptif des documents visés par la demande d’accès. L’institution a estimé que les documents pour lesquels une liste de documents avec une description sommaire est demandée comprennent à eux seuls 17 570 documents tirés du système électronique de réglementation des pesticides (SERP) et de l’entrepôt de stockage physique, et la majeure partie des 84 622 documents tirés des autres dépôts d’information. Il est à noter que l’estimation du nombre de documents tirés des autres dépôts d’information est basée sur un échantillon de 5 ans. La Commissaire conçoit que le nombre total de documents pour lesquels un descriptif est requis peut être élevé considérant qu’il y aura des documents provenant des autres dépôts d’information pour 25 années additionnelles. Le travail nécessaire pour fournir une telle liste lui semble déraisonnable.
Lorsqu’une demande d’accès peut générer des millions de pages, l’institution doit collaborer avec la personne qui a fait la demande d’accès pour l’aider à circonscrire la demande afin qu’elle soit plus précise et moins lourde. Circonscrire la demande d’accès peut comporter d’aider cette personne à mieux définir l'objet de la demande, les types de documents spécifiques qui l’intéressent, et la période pour laquelle les documents sont demandés. Dans ce cas, la personne qui a fait la demande d’accès a intérêt à collaborer avec l’institution afin d’éviter que sa demande demeure excessivement vaste.
Dans le présent cas, le demandeur d’accès aurait pu accepter dans un premier temps la proposition initiale de l’institution décrite plus haut d’obtenir accès à tous les documents (courriels, lettres, comptes rendus de réunion) en lien avec la demande d’un tiers de l’industrie et un pesticide particulier. Cela aurait peut-être permis au demandeur d’évaluer la pertinence de ces documents et de déterminer s’il devrait en demander l’accès pour les autres tiers.
Dans certains cas, répondre à une demande d’accès est si lourd pour une institution en termes de ressources et de temps que cela interfère de façon déraisonnable avec ses opérations. Ce qui constitue une interférence déraisonnable avec les opérations d’une institution repose sur une évaluation objective des faits. Cela dépend de la nature de la demande d’accès, de la taille et du type d’opérations, du travail requis pour donner suite à la demande d’accès et de l’incidence sur les opérations.
Le demandeur d’accès ne conteste pas les arguments de l’institution selon lesquels la demande d’accès créerait une interférence avec les opérations de l’institution et brimerait le droit d’accès des autres demandeurs.
Les observations de l’institution convainquent la Commissaire que la demande d’accès nuirait de façon déraisonnable aux activités du BPR. Elle peut comprendre comment la vaste portée de la demande d’accès requiert un travail de longue haleine pour les employés, et comment cela pourrait perturber excessivement leurs activités normales en les obligeant à mettre de côté leurs obligations opérationnelles et leurs obligations à l’égard des autres demandeurs d’accès qui cherchent de l’information sur les pesticides et autres produits réglementés.
L’institution explique également de façon convaincante comment le temps et les efforts nécessaires pour rechercher, identifier, extraire et traiter les documents pertinents nuiraient de façon déraisonnable au fonctionnement du bureau de l’AIPRP. Selon l’institution, cette interférence toucherait également le droit d’accès des autres demandeurs. Pendant le traitement de ce dossier, le bureau de l’AIPRP ne serait pas en mesure de donner suite aux autres demandes d’accès. La Commissaire considère que le fait de consacrer autant d’efforts et de temps à une seule demande d’accès nuirait de façon déraisonnable aux opérations de ce bureau.
La Commissaire est également consciente que le temps et les ressources disponibles pour répondre aux demandes d’accès ne sont pas illimités et que le demandeur n’est pas le seul à attendre une réponse à sa demande d’accès. Elle estime que le temps et les efforts nécessaires pour rechercher, identifier, extraire et traiter les dossiers pertinents auraient une incidence négative sur le droit d’accès d’autres personnes.
Pour toutes les raisons mentionnées ci-dessus, la Commissaire conclut que la demande d’accès constitue un abus du droit de présenter une demande de communication parce que le traitement de cette demande nuirait de façon déraisonnable aux activités de l’institution et nuirait au droit d’accès des autres demandeurs.
Est-ce que les circonstances justifient que la Commissaire accorde l’autorisation à l’institution?
L’institution ayant démontré que l’un des critères du paragraphe 6.1(1) s’applique, la Commissaire doit maintenant exercer son pouvoir discrétionnaire pour accorder ou non l’autorisation.
Dans l’exercice de ce pouvoir, elle a considéré toutes les circonstances et tous les facteurs pertinents, dont les facteurs suivants.
Obligation de prêter assistance
Le paragraphe 4(2.1) énonce l'obligation générale d’assistance. La portée de cette obligation est large, puisqu'elle exige qu'une institution fasse « tous les efforts raisonnables » pour prêter assistance au demandeur. Cette obligation va aussi loin qu'il serait raisonnable pour l'institution de fournir une assistance. L'obligation d'assistance peut consister à aider le demandeur à clarifier sa demande d'accès, à restreindre son champ d'application afin de faciliter une réponse plus rapide aux documents demandés et à fournir les informations nécessaires pour permettre à l'institution d'identifier le(s) document(s) demandé(s).
Ce qui constitue « tous les efforts raisonnables » pour prêter assistance au demandeur dans un cas donné dépend des faits et circonstances pertinents. Par conséquent, la question de savoir si une institution a rempli ses obligations au titre du paragraphe 4(2.1) dépend des faits et doit être évaluée au cas par cas.
L’institution a prêté assistance au demandeur d’accès à deux moments principaux : au cours du mois de septembre 2021 et durant la période allant du mois de juin 2023 au mois d’octobre 2023. L’institution explique qu’elle a contacté directement le demandeur d’accès en 2021, mais que « les communications avaient atteint une impasse ». L’institution indique ne pas s’être attendue à ce que le demandeur coopère, comme cela a été le cas pour d’autres de ses demandes d’accès.
En novembre 2021, le demandeur d’accès a déposé une plainte de retard auprès du Commissariat. L’institution a alors décidé d’attendre que la plainte soit attribuée à un enquêteur pour poursuivre les discussions avec le demandeur d’accès, lesquelles ont repris en juin 2023.
Contrairement à ce que l’institution affirme, la Commissaire n’est pas convaincue que les discussions aient atteint une impasse au mois de septembre 2021. Bien que l’institution ait rapidement contacté le demandeur d’accès pour lui prêter assistance, la Commissaire remarque que seulement un courriel lui a été envoyé en 2021, et que le demandeur d’accès a répondu qu’il lui fera plaisir de préciser davantage sa demande si l’institution le requérait. L’institution aurait dû continuer à fournir son assistance à ce moment, et cela, sans attendre que la plainte soit attribuée à un enquêteur du Commissariat.
Par ailleurs, la Commissaire déplore le fait que l’institution ait compté sur l’aide du Commissariat pour continuer de prêter assistance au demandeur. L’obligation de prêter assistance repose sur l’institution; celle-ci ne doit pas compter sur le Commissariat pour assister les demandeurs d’accès.
Ceci étant dit, la Commissaire remarque aussi que l’institution a fait de nombreux efforts pour aider le demandeur d’accès à circonscrire sa demande. Comme mentionné plus haut, l’institution a notamment proposé les solutions de rechange suivantes :
- que la demande d’accès porte sur le glyphosate et couvre la période allant du 1er janvier 2019 à la date de la présentation de la demande d’accès
- une liste d’information issue du domaine public et une liste de demandes d’accès qui ont été traitées auparavant concernant le même sujet
- que le demandeur d’accès consulte des documents dans la salle de lecture
- que la demande d’accès exclut les confidences du cabinet et l’information de tiers.
Le demandeur d’accès a refusé toutes les suggestions faites par l’institution qui permettrait de réduire de manière significative le nombre de pages générées par la demande d’accès, y compris la suggestion de consulter certains documents dans une salle de lecture virtuelle.
Le demandeur d’accès indique que l’institution ne s’est pas acquittée de son obligation d’assistance en ne lui fournissant pas un descriptif des documents visés par la demande d’accès. Or, l'obligation de prêter assistance s'étend à tout ce qu'il est raisonnable de faire et ce qui est raisonnable est généralement déterminé par les caractéristiques spécifiques de la demande d’accès. Comme indiqué plus haut, le travail nécessaire pour fournir le descriptif lui semble déraisonnable. La Commissaire en conclut que, dans les circonstances, le défaut de fournir un descriptif ne fait pas en sorte que l’institution ait failli à son obligation de prêter assistance.
La Commissaire estime qu’en offrant plusieurs options pour circonscrire la demande d’accès, l’institution a fait tous les efforts raisonnables dans les circonstances pour aider le demandeur. Elle conclut que l’institution a établi qu’elle s’était acquittée de son obligation d’aider le demandeur avant de demander son approbation pour ne pas donner suite à cette demande d’accès.
Le temps écoulé entre la réception de la demande d’accès et la demande d’autorisation
L’institution a reçu la demande d’accès le 7 septembre 2021, mais n’a présenté sa demande d’autorisation que le 18 janvier 2024, soit environ 2 ans et 4 mois après avoir reçu la demande d’accès. Pour expliquer ce délai, l’institution fournit les explications suivantes.
D’abord, l’institution précise qu’elle a tenté de collaborer avec le demandeur d’accès dès la réception de la demande, mais que, très tôt, les communications ont atteint une impasse. Deux mois après avoir soumis sa demande d’accès, n’ayant pas reçu de réponse à sa demande, le demandeur a déposé une plainte de retard auprès du Commissariat. L’institution a alors décidé d’attendre que la plainte soit attribuée à un enquêteur pour demander son aide, croyant que l’aide de l’enquêteur permettrait de limiter la portée de la demande d’accès. Puisque la plainte n’a été attribuée qu’en décembre 2022, plus d’un an s’est écoulé avant que la collaboration ne reprenne.
L’institution mentionne aussi qu’elle n’a pas pris de prorogation de délai pour répondre à la demande d’accès parce qu’il était impossible de donner un échéancier raisonnable. Le temps de traitement de la demande est estimé à 400 ans (5 millions de pages traitées à raison de 1000 pages par mois par analyste).
La Commissaire est d’avis que le délai d’environ 2 ans et 4 mois avant que l’institution ne demande son autorisation n’est pas justifiable. L’institution n’aurait pas dû attendre l’intervention de l’enquêteur du Commissariat. Ceci dit, les faits ne démontrent pas que l’institution a, pendant cette période, délibérément négligé de prêter assistance au demandeur d’accès.
Les raisons et les circonstances qui amènent la Commissaire à conclure, en l’espèce, à un abus du droit de faire une demande de communication font en sorte qu’elle ne peut rejeter la demande d’autorisation parce qu’elle n’a pas été présentée en temps utile. L’abus lui apparaît trop important.
Les institutions ne doivent toutefois pas tenir pour acquis que cette décision ouvre la porte à la possibilité de présenter des demandes d’autorisation n'importe quand. Les demandes doivent être présentées en temps utile.
Intérêt public
Le demandeur d’accès fait valoir que les effets secondaires des néonicotinoïdes sont une question d’intérêt public.
La Commissaire convient que certains des documents demandés sont d’intérêt public, et elle ne conteste pas l’importance des renseignements sur les pesticides. Toutefois, l'intérêt public à obtenir des informations n'agit pas à tout coup comme un catalyseur pouvant annuler les effets abusifs d’une demande d’accès et obliger l’institution à y répondre.
L’objectif de l’article 6.1 est de préserver l’intention et le fonctionnement appropriés de la Loi et de protéger contre l’abus du droit de présenter une demande d’accès afin que d’autres puissent également exercer leur droit quasi constitutionnel d’accès à l’information. Le droit d’accès à l’information n’est pas absolu, de sorte que les demandeurs devraient éviter de présenter des demandes d’accès vastes, comme celle en l’espèce. De plus, il doit y avoir une limite raisonnable au temps et aux efforts que les institutions consacrent à répondre à une demande, ce qui n’est pas le cas pour la demande d’accès en cause.
Décision
L’institution a établi que la demande d’accès constitue un abus du droit de faire une demande de communication et satisfait aux exigences du paragraphe 6.1(1) :
- La demande d’accès initiale est trop vaste. Malgré les efforts de l’institution et du demandeur d’accès pour restreindre la portée de la demande, elle demeure très vaste. Le demandeur requiert toujours tous les documents produits dans les 30 dernières années au sujet de tous les néonicotinoïdes.
- Le demandeur n’a pas accepté les suggestions de l’institution qui réduiraient considérablement le nombre de pages que la demande générerait. Le volume prévu de documents aurait pu être diminué si le demandeur avait accepté de mettre l’accent sur un pesticide ou un tiers de l’industrie en particulier, ou en utilisant la salle de lecture.
- Le traitement de la demande d’accès, avec le volume estimé de documents, surchargerait les activités du BPR et, par conséquent, nuirait de façon déraisonnable à ses activités.
- L’interférence avec les activités résulterait principalement du fait que les employés du BPR seraient obligés de mettre de côté leurs fonctions habituelles, y compris celles liées à l’examen des demandes d’autorisation de pesticides, pendant une longue période de temps pour consacrer tous leurs efforts à répondre à la demande d’accès.
- Si le bureau de l’AIPRP devait répondre à cette demande d’accès, il serait empêché de répondre à d’autres demandes d’accès, compromettant ainsi le droit d’accès des autres demandeurs.
Les circonstances justifient que la Commissaire accorde son autorisation à l’institution de refuser de donner suite à la demande d’accès en cause.
La demande d’autorisation est accordée.