Agence d’évaluation d’impact du Canada (Re), 2024 CI 44
Date : 2024-07-17
Numéro de dossier du Commissariat : 5823-01723
Numéro de la demande d’accès : A-2023-00003
Sommaire
La partie plaignante allègue que la prorogation de délai que l’Agence d’évaluation d’impact du Canada (AEIC) a prise en vertu du paragraphe 9(1) de la Loi sur l’accès à l’information pour répondre à une demande d’accès était déraisonnable. La demande vise des communications durant une période précise concernant des projets désignés dans l’Ouest canadien impliquant le développement d’une mine de minerai critique ou d’une mine de charbon métallurgique destiné à l’élaboration de l’acier. L’allégation s’inscrit dans le cadre de l’alinéa 30(1)c) de la Loi.
L’AEIC a pris une prorogation de 880 jours en vertu des alinéas 9(1)a), b) et c). Si cette prorogation était valide, l’échéance du délai de réponse serait le 15 décembre 2025.
L’AEIC n’a pas démontré qu’elle satisfaisait à tous les critères de l’alinéa 9(1)a), notamment qu’elle a fait preuve d’une rigueur et d’une logique suffisantes pour déterminer de manière sérieuse la durée de la prorogation du délai.
Comme l’AEIC n’a pas établi que la prorogation était raisonnable, celle-ci est invalide et l’AEIC est réputée avoir refusé la communication en vertu du paragraphe 10(3).
La Commissaire à l’information a ordonné à l’AEIC de fournir une réponse complète à la demande d’accès au plus tard le 23 avril 2025. Le président de l’AEIC a avisé la Commissaire que l’AEIC donnerait suite à son ordonnance et a indiqué les mesures particulières qu’il prend pour s’assurer qu’elle soit respectée, notamment augmenter la capacité de l’AEIC de traiter la demande et embaucher un consultant pour optimiser l’ensemble des processus d’AIPRP tout en exploitant les outils numériques pour accroître l’efficacité.
La plainte est fondée.
Plainte
[1] La partie plaignante allègue que la prorogation de délai que l’Agence d’évaluation d’impact du Canada (AEIC) a prise en vertu du paragraphe 9(1) de la Loi sur l’accès à l’information pour répondre à une demande d’accès était déraisonnable. La demande vise des communications durant une période précise concernant des projets désignés dans l’Ouest canadien impliquant le développement d’une mine de minerai critique ou d’une mine de charbon métallurgique destiné à l’élaboration de l’acier. L’allégation s’inscrit dans le cadre de l’alinéa 30(1)c) de la Loi.
Enquête
Délais pour répondre aux demandes d’accès
[2] L’article 7 exige que les institutions répondent aux demandes d’accès dans un délai de 30 jours, à moins qu’elles aient transmis la demande à une autre institution ou pris une prorogation de délai valide parce qu’elle satisfait aux critères de l’article 9.
[3] L’AEIC a reçu la demande d’accès le 4 mai 2023 et a avisé la partie plaignante qu’il lui faudrait 880 jours supplémentaires, en vertu des alinéas 9(1)a), 9(1)b) et 9(1)c), pour finir de traiter la demande. L’AEIC a pris une prorogation de 820 jours en vertu de l’alinéa 9(1)a) et une de 60 jours en vertu des alinéas 9(1)b) et 9(1)c). Si cette prorogation était valide, l’échéance du délai de réponse serait le 15 décembre 2025.
Prorogations de délai
Alinéa 9(1)a) : prorogation du délai en raison de la quantité de documents
[4] L’alinéa 9(1)a) permet aux institutions de proroger le délai de 30 jours dont elles disposent pour répondre à une demande d’accès lorsqu’elles peuvent démontrer ce qui suit :
- la demande vise un grand nombre de documents ou nécessite que l’institution fasse des recherches parmi un grand nombre de documents;
- l’observation du délai entraverait de façon sérieuse leur fonctionnement;
- la prorogation de délai doit être d’une période que justifient les circonstances.
L’institution a-t-elle démontré qu’elle satisfaisait aux critères de l’alinéa 9(1)a)?
La demande d’accès vise-t-elle un grand nombre de documents?
[5] Selon les estimations de l’AEIC, plus de 12 000 pages de documents étaient potentiellement pertinentes. L’AEIC a démontré qu’un grand nombre de ces pages étaient visées par la demande.
L’observation du délai entraverait-elle de façon sérieuse le fonctionnement de l’institution?
[6] L’AEIC a déclaré qu’elle dispose d’une petite équipe de l’accès à l’information et de la protection des renseignements personnels (AIPRP), composée de trois analystes principaux et de deux analystes subalternes, et que, compte tenu de la vaste portée de la demande, il est essentiel de trouver l’équilibre entre le traitement de celle-ci et le traitement efficace des demandes d’AIPRP d’autres personnes.
[7] L’AEIC a également déclaré que le téléchargement de documents dans le logiciel de caviardage Access Pro Redaction (APR) est un processus qui prend beaucoup de temps, car il nécessite d’ouvrir chaque document et de remplir les métadonnées pour chacun. L’AEIC a mentionné que, une fois les documents téléchargés, il faut les analyser méticuleusement, ligne par ligne, pour repérer les doubles et établir s’il est nécessaire de tenir des consultations.
[8] L’AEIC a démontré que le fait de rechercher et de traiter autant de documents en plus de répondre à la demande d’accès dans un délai de 30 jours—pour autant que cela soit possible—aurait monopolisé les ressources. L’exécution du travail nécessaire entraverait donc de façon sérieuse le fonctionnement de l’institution.
La prorogation de délai est-elle d’une période que justifient les circonstances?
[9] L’AEIC a expliqué qu’elle a pris en considération plusieurs facteurs pour s’assurer que la prorogation 820 jours en vertu de l’alinéa 9(1)a) soit la plus courte possible, dont les suivants :
- les milliers de pages de documents à traiter;
- la complexité de l’examen requis avant de fournir une réponse;
- le temps nécessaire pour importer les documents dans APR :
- la charge de travail du bureau de l’AIPRP.
[10] Pour établir le délai, en plus des facteurs susmentionnés, l’AEIC a estimé qu’il serait possible d’examiner seulement quelques centaines de pages par mois. Je considère que l’AEIC n’a pas fourni d’explication convaincante pour justifier en quoi ce taux mensuel était approprié ou raisonnable dans ce cas en particulier. L’AEIC n’a pas fait preuve d’une rigueur et d’une logique suffisantes pour déterminer de manière sérieuse la durée de la prorogation du délai.
[11] Bien que la demande vise un grand nombre de documents, je conclus que l’AEIC n’a pas démontré le caractère raisonnable d’une prorogation de délai aussi longue que 820 jours en vertu de l’alinéa 9(1)a).
[12] Comme l’AEIC n’a pas démontré que la prorogation de délai prise en vertu de l’alinéa 9(1)a) était raisonnable, il n’est pas nécessaire que le Commissariat fasse enquête sur la prorogation de délai que l’AEIC a prise en vertu des alinéas 9(1)b) et 9(1)c).
Paragraphe 10(3) : présomption de refus
[13] Suivant le paragraphe 10(3), lorsque les institutions ne répondent pas à une demande d’accès dans le délai de 30 jours prescrit ou à la fin d’une prorogation de délai valide, elles sont réputées avoir refusé de communiquer les documents demandés.
[14] Comme l’AEIC n’a pas démontré que la prorogation de délai était raisonnable, je conclus qu’elle est réputée avoir refusé de communiquer les documents demandés, suivant le paragraphe 10(3).
[15] L’AEIC dit avoir informé la partie plaignante du nombre de documents pertinents dans le cadre de sa demande et avoir tenté de collaborer avec elle pour réduire et séparer la demande en différents projets, ce que la partie plaignante a refusé. L’AEIC a aussi mentionné que la modification du texte de la demande proposée par la partie plaignante le 30 juin 2023 ne changeait pas beaucoup le nombre de documents pertinents. En outre, l’AEIC a indiqué que, alors que l’importation des documents se poursuivait, elle prévoyait que le nombre de pages pertinentes dans le cadre de la demande augmenterait au-delà de son estimation initiale.
[16] L’AEIC a également informé le Commissariat que des consultations auprès d’autres ministères et de tiers étaient nécessaires, compte tenu du contexte entourant le sujet de la demande. L’AEIC n’était cependant pas en mesure de confirmer exactement quelles consultations étaient nécessaires et n’a pas indiqué à quelle date elle estimait que celles-ci seraient terminées. Elle n’a pas non plus indiqué à quelle date elle estimait répondre à la demande.
[17] L’AEIC a l’obligation de s’assurer que les demandes d’accès sont traitées conformément aux exigences de la Loi sur les documents qui relèvent d’elle. Bien que je reconnaisse que, dans certaines circonstances, il peut être approprié qu’une institution en consulte une autre en vue de répondre à une demande, c’est à l’institution qui a reçu la demande qu’il incombe de veiller à ce que le processus de consultation ne retarde pas indûment l’accès.
[18] La partie plaignante attend maintenant une réponse à sa demande d’accès depuis plus d’un an. Chaque jour supplémentaire pris pour répondre à cette demande représente un jour de plus où les droits d’accès de la partie plaignante lui sont refusés. Cette absence de réponse contrevient clairement aux obligations de l’AEIC en vertu de la Loi et mine la crédibilité du système d’accès.
[19] Compte tenu de ce qui précède et du temps qui s’est écoulé depuis la réception de la demande, je conclus que l’AEIC doit y répondre sans tarder. En supposant que la demande soit traitée à un rythme d’environ 1 000 pages par mois et en ajoutant 60 jours pour les consultations avec les tiers, je conclus que l’AEIC doit répondre au plus tard le 23 avril 2025.
Résultat
[20] La plainte est fondée.
Ordonnance
J’ordonne au président de l’Agence d’évaluation d’impact du Canada de fournir une réponse complète à la demande d’accès au plus tard le 23 avril 2025.
Rapport et avis de l’institution
Le 12 juin 2024, j’ai transmis au président mon rapport dans lequel je présentais mon ordonnance.
Le 9 juillet 2024, le président m’a avisée que l’AEIC donnerait suite à mon ordonnance et a indiqué les mesures particulières qu’il prend pour s’assurer qu’elle soit respectée, notamment augmenter la capacité de l’AEIC de traiter la demande et embaucher un consultant pour optimiser l’ensemble des processus d’AIPRP tout en exploitant les outils numériques pour accroître l’efficacité.
Révision devant la Cour fédérale
Lorsqu’une allégation dans une plainte s’inscrit dans le cadre de l’alinéa 30(1)a), b), c), d), d.1) ou e) de la Loi, la partie plaignante a le droit d’exercer un recours en révision devant la Cour fédérale. Lorsque la Commissaire à l’information rend une ordonnance, l’institution a également le droit d’exercer un recours en révision. Quiconque exerce un recours en révision doit le faire dans un délai de 35 jours ouvrables suivant la date du présent compte rendu et doit signifier une copie de sa demande de révision aux parties intéressées, conformément à l’article 43. Si personne n’exerce de recours en révision dans ce délai, l’ordonnance prend effet le 36e jour ouvrable suivant la date du présent compte rendu.