Bibliothèque et Archives Canada (Re), 2023 CI 18
Date : 2023-07-14
Numéro de dossier du Commissariat : 3215-00932
Numéro de dossier de l’institution : A-2014-00069/MR
Sommaire
La partie plaignante allègue que Bibliothèque et Archives Canada (BAC) a erronément refusé de communiquer des renseignements en vertu du paragraphe 13(1) (renseignements confidentiels d’organismes gouvernementaux) et du paragraphe 15(1) (sécurité nationale, défense) de la Loi sur l’accès à l’information. La demande d’accès vise à obtenir des renseignements concernant des opérations sous-marines dans la région de l’Arctique. La plainte s’inscrit dans le cadre de l’alinéa 30(1)a) de la Loi. BAC n’a pas pu démontrer qu’elle satisfaisait à tous les critères des paragraphes 13(1) et 15(1), notamment la manière dont les renseignements contenus dans le document ont été obtenus à titre confidentiel et en quoi une communication supplémentaire des renseignements non divulgués risquerait vraisemblablement de nuire à la sécurité nationale et/ou à la défense du Canada. La Commissaire à l’information a recommandé à BAC de communiquer les documents dans leur intégralité. Cette dernière a avisé la Commissaire qu’elle ne donnerait pas suite à la recommandation.
La plainte est fondée.
Plainte
[1] La partie plaignante allègue que Bibliothèque et Archives Canada (BAC) a erronément refusé de communiquer des renseignements en vertu du paragraphe 13(1) (renseignements confidentiels d’organismes gouvernementaux) et du paragraphe 15(1) (affaires internationales, sécurité nationale et défense) de la Loi sur l’accès à l’information. La demande d’accès vise à obtenir des renseignements concernant des opérations sous-marines dans la région de l’Arctique. La plainte s’inscrit dans le cadre de l’alinéa 30(1)a) de la Loi.
Enquête
[2] Lorsqu’une institution refuse de communiquer des renseignements en vertu d’une exception, il lui incombe de démontrer que ce refus est justifié.
[3] Le 11 mars 2022, BAC a fait une communication supplémentaire à la partie plaignante en lui transmettant quelques renseignements qu’elle avait auparavant refusé de communiquer. Elle soutient que son refus de communiquer les autres renseignements en vertu des paragraphes 13(1) et 15(1) est justifié.
[4] Cependant, je ne suis pas d’avis que BAC ait justifié son recours aux paragraphes 13(1) et 15(1) quant aux renseignements qui continuent de faire l’objet d’un refus de communication. Vous trouverez ci-après mes conclusions relatives à ces autres exceptions.
Paragraphe 13(1) : renseignements confidentiels d’organismes gouvernementaux
[5] Le paragraphe 13(1) exige que les institutions refusent de communiquer des renseignements obtenus à titre confidentiel d’organismes gouvernementaux.
[6] Pour invoquer cette exception, les institutions doivent démontrer ce qui suit :
- Les renseignements ont été obtenus de l’un des organismes gouvernementaux suivants :
- un gouvernement ou un organisme d’un État étranger;
- une organisation internationale d’États ou un de ses organismes;
- un gouvernement ou un organisme provincial;
- une administration ou un organisme municipal ou régional;
- un gouvernement ou un conseil autochtone mentionné au paragraphe 13(3).
- Les renseignements ont été obtenus de l’organisme gouvernemental à titre confidentiel, c’est-à-dire qu’il était entendu qu’ils seraient traités comme étant confidentiels.
[7] Lorsque ces critères sont satisfaits, les institutions doivent alors se demander si les circonstances suivantes existent :
- l’organisme gouvernemental d’où les renseignements ont été obtenus consent à leur communication;
- l’organisme gouvernemental les a déjà rendus publics.
[8] Lorsque l’une ou l’autre de ces circonstances ou les deux existent, le paragraphe 13(2) exige que les institutions exercent raisonnablement leur pouvoir discrétionnaire pour décider de communiquer ou non les renseignements.
L’information satisfait-elle aux critères de l’exception?
[9] BAC a invoqué le paragraphe 13(1) pour refuser de communiquer, dans son intégralité, la page 241 des documents. Elle soutient que les critères du paragraphe 13(1) ont été satisfaits parce que l’organisme gouvernemental qui a créé ce document n’a pas rendu publics les renseignements contenus dans la correspondance. Dans ses observations, BAC a mentionné que des consultations sont en cours pour décider si l’organisme gouvernemental consentira à leur communication.
[10] BAC n’a fourni aucun élément de preuve concernant une attente de confidentialité, qu’elle soit explicite ou implicite (par exemple, en ce qui concerne les moyens par lesquels les renseignements ont été transmis, les restrictions relatives à la diffusion des renseignements ou le type de renseignements contenus dans le document).
[11] En l’absence de tout autre élément de preuve, les renseignements contenus dans le document ne permettent pas d’établir qu’ils sont confidentiels. Il n’y a aucune mention sur le document visant à limiter sa diffusion. L’enquête a fait ressortir plusieurs arguments démontrant que le document n’aurait probablement pas été obtenu à titre confidentiel. Afin de satisfaire à ce critère, il faut disposer d’éléments de preuve supplémentaires par rapport à ce qui figure actuellement dans le document.
[12] Compte tenu de ce qui précède, j’estime que les renseignements ne satisfont pas aux critères du paragraphe 13(1).
L’institution a-t-elle exercé raisonnablement son pouvoir discrétionnaire quant à sa décision de communiquer ou non l’information?
[13] L’enquête a permis d’établir que BAC n’a pas satisfait pas aux critères du paragraphe 13(1). Par conséquent, il n’est pas nécessaire d’examiner l’exercice de son pouvoir discrétionnaire.
Paragraphe 15(1) : défense
[14] Le paragraphe 15(1) permet aux institutions de refuser de communiquer des renseignements dont la divulgation risquerait vraisemblablement de nuire à la conduite des affaires internationales, à la défense ou à la sécurité nationale (par exemple, des renseignements relatifs aux tactiques militaires, aux capacités d’armement ou à la correspondance diplomatique, comme le prévoient les alinéas 15(1)a) à i)).
[15] Pour invoquer cette exception, les institutions doivent démontrer ce qui suit :
- la divulgation des renseignements pourrait nuire à l’un ou l’autre des éléments suivants :
- la conduite des affaires internationales;
- la défense du Canada ou de tout État avec lequel le Canada a conclu une alliance ou un traité, ou de tout État avec lequel le Canada est lié, au sens du paragraphe 15(2);
- la détection, la prévention ou la répression d’activités subversives ou hostiles spécifiques, au sens du paragraphe 15(2).
- il y a une attente raisonnable que ce préjudice puisse être causé; l’attente doit être bien au-delà d’une simple possibilité.
[16] Lorsque ces critères sont satisfaits, les institutions doivent alors exercer raisonnablement leur pouvoir discrétionnaire pour décider de communiquer ou non les renseignements.
L’information satisfait-elle aux critères de l’exception?
[17] Au cours de l’enquête, BAC a accepté de communiquer une quantité infime de renseignements qui n’avaient pas été communiqués auparavant en vertu du paragraphe 15(1). Elle a fait une communication supplémentaire à la partie plaignante le 11 mars 2022.
[18] BAC a continué de refuser de communiquer les autres renseignements au motif que leur communication aurait une incidence sur la sécurité nationale. Après avoir minutieusement examiné les documents ainsi que les observations de BAC en faveur des autres parties caviardées, je ne suis pas convaincue qu’il soit justifié de maintenir l’application du paragraphe 15(1).
[19] BAC a aussi précisé que, compte tenu de la nature délicate des politiques et technologies canadiennes en vigueur dans l’Arctique ou liées à sa défense, la communication des renseignements en cause pourrait quand même causer un préjudice, peu importe le temps qui s’est écoulé.
[20] Après avoir examiné les observations de BAC, je ne suis pas convaincue que le critère de préjudice ait correctement été démontré. Outre le fait que les essais acoustiques fournissent des données sur les capteurs de sous-marins qui ont depuis été démantelés, il existe beaucoup d’informations relevant du domaine public sur les instruments d’analyse et d’enregistrement de basses fréquences ainsi que sur les sons de fréquence (voir « Low-frequency acoustic propagation loss in the Arctic Ocean », Gavrilov, 2006).
[21] En ce qui concerne les systèmes d’alarme pour l’Arctique canadien, BAC a une fois de plus omis de démontrer comment le critère de préjudice probable, qui est nécessaire pour invoquer l’exception, a été satisfait. Le fait que les documents datent de plus de 60 ans permet de penser que leur valeur a une dimension plus historique et académique que tactique et militaire.
[22] De plus, des documents en lien avec ce sujet ont été communiqués dans leur intégralité (dossier de BAC A-2014-00419). La communication en question avait trait aux exigences et aux considérations relatives aux systèmes de détection sous-marine ainsi qu’aux vulnérabilités du Canada dans l’Arctique.
[23] De même, les renseignements concernant les opérations dans l’Arctique canadien ont fait l’objet de publications. Par exemple, Adam Lajeunesse a publié en 2012 un article intitulé « A very practical requirement: under-ice operations in the Canadian Arctic, 1960-1986 » [en anglais seulement]. Celui-ci renferme bon nombre de renseignements se trouvant dans les documents pertinents dont la communication est actuellement refusée.
[24] De plus, je constate que le Service des recherches du STO Center for Maritime Research and Experimentation de l’OTAN publie de manière proactive des documents concernant les systèmes acoustiques actifs et passifs ainsi que les menaces sous-marines, pour ne citer que ces sujets (Sensors | Free Full-Text | Sensors to Increase the Security of Underwater Communication Cables: A Review of Underwater Monitoring Sensors (mdpi.com)) [en anglais seulement]. Affaires mondiales Canada publie aussi de manière proactive des documents historiques sur l’Arctique (E2-39-Ar-2016.pdf (lac-bac.gc.ca)).
[25] Même s’il est possible que les exigences et les recommandations contenues dans les documents pertinents soient en quelque sorte toujours valables, il n’est pas raisonnable de supposer qu’un système d’alerte actuel reposerait uniquement sur des données provenant de ces documents historiques. J’en conclus que l’allégation de préjudice en lien avec la communication est spéculative.
[26] Après avoir attentivement examiné les observations de BAC, je ne suis pas d’avis que les critères nécessaires pour refuser la communication des renseignements en vertu du paragraphe 15(1) ont été satisfaits. Bien que BAC ait réitéré le fait que les renseignements caviardés sont de nature délicate en raison du contexte actuel, j’estime qu’elle n’a pas présenté d’éléments de preuve convaincants démontrant en quoi une communication supplémentaire des renseignements non divulgués risquerait vraisemblablement de nuire à la sécurité nationale et/ou à la défense du Canada.
L’institution a-t-elle exercé raisonnablement son pouvoir discrétionnaire quant à sa décision de communiquer ou non l’information?
[27] L’enquête a permis de conclure que BAC n’a pas satisfait au critère de préjudice prévu au paragraphe 15(1). Par conséquent, il n’est pas nécessaire d’examiner l’exercice de son pouvoir discrétionnaire.
Résultat
[28] La plainte est fondée.
Recommandation
Je recommande au ministre du Patrimoine canadien de communiquer les documents pertinents dans leur intégralité au plus tard le 36e jour ouvrable après la date du compte rendu.
Le ministre doit se conformer aux dispositions du paragraphe 37(4) lorsqu’il communique des documents en réponse à ma recommandation.
Le 30 mai 2023, j’ai transmis au ministre du Patrimoine canadien mon rapport dans lequel je présentais ma recommandation prévue.
Le 23 juin 2023, le ministre du Patrimoine canadien m’a avisée que BAC ne donnerait pas suite à ma recommandation et qu’elle maintiendrait, en vertu des paragraphes 13(1) et 15(1), le caviardage des renseignements qui continuent de faire l’objet d’un refus de communication.
Lorsque la plainte s’inscrit dans le cadre de l’alinéa 30(1)a), b), c), d), d.1) ou e) de la Loi, la partie plaignante a le droit d’exercer un recours en révision devant la Cour fédérale. La partie plaignante doit exercer ce recours en révision dans un délai de 35 jours ouvrables après la date du compte rendu et doit signifier une copie de sa demande de révision aux parties intéressées, conformément à l’article 43.