Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (Re), 2023 CI 23
Date : 2023-08-
Numéro de dossier du Commissariat : 5820-04513
Numéro de dossier de l’institution : A-2020-00036
Sommaire
La partie plaignante allègue que le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (CRSH) a erronément refusé de communiquer des renseignements en vertu de l’alinéa 20(1)b) (renseignements financiers, commerciaux, scientifiques ou techniques confidentiels de tiers) de la Loi sur l’accès à l’information. La demande d’accès visait des documents relatifs à une rencontre de discussion virtuelle avec le président du CRSH et la présidente de l’Université Memorial de Terre-Neuve-et-Labrador, ainsi qu’à d’autres réunions et contacts entre des employés et représentants du CRSH et de l’Université du 11 décembre 2020 à la date de la demande. La plainte s’inscrit dans le cadre de l’alinéa 30(1)a) de la Loi.
L’institution et le tiers n’ont pas démontré que tous les critères de l’alinéa 20(1)b) étaient satisfaits.
La Commissaire à l’information a ordonné au CRSH de communiquer dont la communication avait été refusée en vertu de l’alinéa 20(1)b).
Le CRSH a avisé la Commissaire qu’il donnerait suite à l’ordonnance.
La plainte est fondée.
Plainte
[1] La partie plaignante allègue que le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (CRSH) a erronément refusé de communiquer des renseignements en vertu de l’alinéa 20(1)b) (renseignements financiers, commerciaux, scientifiques ou techniques confidentiels de tiers) de la Loi sur l’accès à l’information. La demande d’accès visait des documents relatifs à une rencontre de discussion virtuelle avec le président du CRSH et la présidente de l’Université Memorial de Terre-Neuve-et-Labrador, ainsi qu’à d’autres réunions et contacts entre des employés et représentants du CRSH et de l’Université du 11 décembre 2020 à la date de la demande. La plainte s’inscrit dans le cadre de l’alinéa 30(1)a) de la Loi.
Enquête
[2] Lorsqu’une institution refuse de communiquer les renseignements d’un ou des tiers, il incombe à ces tiers et/ou à l’institution de démontrer que ce refus est justifié.
Alinéa 20(1)b) : renseignements financiers, commerciaux, scientifiques ou techniques confidentiels de tiers
[3] L’alinéa 20(1)b) exige que les institutions refusent de communiquer des renseignements financiers, commerciaux, scientifiques ou techniques confidentiels fournis à une institution fédérale par un tiers (c’est-à-dire une entreprise privée ou une personne, et non pas le demandeur d’accès).
[4] Pour invoquer cette exception, les institutions doivent démontrer ce qui suit :
- les renseignements sont financiers, commerciaux, scientifiques ou techniques;
- les renseignements sont de nature confidentielle;
- le tiers a fourni les renseignements à une institution fédérale;
- le tiers a toujours traité les renseignements comme étant confidentiels.
[5] Lorsque ces critères sont satisfaits et que le tiers auquel les renseignements se rapportent consent à leur divulgation, le paragraphe 20(5) exige que les institutions exercent raisonnablement leur pouvoir discrétionnaire pour décider si elles doivent communiquer ou non les renseignements.
[6] De plus, lorsque ces critères sont satisfaits, le paragraphe 20(6) exige que les institutions exercent raisonnablement leur pouvoir discrétionnaire pour décider de communiquer les renseignements pour des raisons de santé publique ou de sécurité publique, ou pour protéger l’environnement, lorsque les deux circonstances suivantes (énumérées au paragraphe 20(6)) existent :
- la divulgation des renseignements serait dans l’intérêt public;
- l’intérêt public dans la divulgation est nettement supérieur à toute répercussion financière sur le tiers, à toute atteinte à la sécurité de ses ouvrages, réseaux ou systèmes, à sa compétitivité ou à toute entrave aux négociations contractuelles ou autres qu’il mène.
L’information satisfait-elle aux critères de l’exception?
[7] Le 15 décembre 2002, le Commissariat à l’information a demandé des observations à l’Université concernant l’application de l’alinéa 20(1)b) pour refuser de communiquer les renseignements en cause. Le 27 janvier 2023, l’Université a fourni sa réponse, qui était identique à la réponse fournie par le CRSH durant le traitement de la demande.
[8] Le 23 février 2023, le Commissariat a demandé des observations au CRSH. Celui-ci a répondu qu’il était disposé à communiquer les renseignements aux pages 107-108, qui se rapportent aux taux de réussite des demandes de l’Université auprès du CRSH, car ces renseignements sont accessibles au public.
[9] Le 9 mai 2023, le Commissariat a donné avis à l’Université, en vertu de l’article 36.3, de son intention d’ordonner la communication des renseignements dont la communication a été refusée en vertu de l’alinéa 20(1)b). L’Université n’a pas répondu.
[10] Le CRSH a appliqué l’alinéa 20(1)b) pour refuser de communiquer des renseignements techniques relatifs à des réunions WebEx, de même que des renseignements relatifs aux nombres de demandes de l’Université et aux taux de réussite relativement à divers programmes de bourses et de subventions.
[11] Au cours de l’enquête, l’Université a déclaré qu’elle considérait les renseignements WebEx comme confidentiels. Elle a suggéré qu’on peut raisonnablement s’attendre à ce que la divulgation de renseignements sur les vidéoconférences révèle les mesures de sécurité de WebEx et permettent à des personnes futées de réutiliser et d’exploiter les renseignements plus tard pour accéder à des réunions virtuelles. L’Université n’a pas présenté d’observations concernant son nombre de demandes et ses taux de réussite relativement aux programmes de financement du CRSH.
[12] En ce qui concerne le premier critère, à savoir que les renseignements doivent être « financiers », « commerciaux », « scientifiques » ou « techniques », la Cour suprême du Canada, dans l’arrêt Merck Frosst Canada Ltée c. Canada (Santé), 2012 CSC 3, au para 139, a déclaré qu’il « convient de donner aux termes “financiers, commerciaux, scientifiques ou techniques” leur sens lexicographique ordinaire ».
[13] Je suis d’avis que les renseignements pour accéder à l’événement virtuel sur WebEx, y compris les liens Web, les numéros de séances, les codes d’accès et les mots de passe, correspondent à la définition de « renseignements techniques ».
[14] Je ne suis toutefois pas convaincue que le nombre de demandes et les taux de réussite de l’Université relativement aux programmes de financement du CRSH satisfont à ce critère. Bien que l’octroi de bourses puisse avoir des répercussions financières en raison de l’aide financière qu’elle représente pour les chercheurs de l’Université, les renseignements caviardés ne sont pas en soi de nature financière. Ils révèlent plutôt le nombre de demandes présentées par l’Université et les résultats de celle-ci dans des concours pour différentes années. Il ne suffit pas que le document en question ait été créé dans le cadre d’une instance susceptible d’avoir des répercussions financières ou commerciales pour établir que les renseignements sont de nature financière ou commerciale aux fins de l’application de l’alinéa 20(1)b) de la Loi [Appleton & Associates c. Bureau du Conseil privé, 2007 CF 640, para 26] .
[15] Pour satisfaire au deuxième critère, à savoir que les renseignements sont confidentiels, les renseignements doivent répondre aux trois conditions suivantes :
- les renseignements ne peuvent être obtenus de sources auxquelles le public a autrement accès;
- les renseignements doivent avoir été transmis confidentiellement avec l’assurance raisonnable qu’ils ne seront pas divulgués;
- les renseignements doivent être communiqués, que ce soit parce que la loi l’exige ou autrement, dans le cadre d’une relation de confiance entre l’administration et la personne qui les fournit ou dans le cadre d’une relation qui n’est pas contraire à l’intérêt public, et que la communication des renseignements confidentiels doit favoriser cette relation dans l’intérêt public. [Voir : Air Atonabee Ltd. (f.a.s. City Express) c. Canada (Ministre des Transports), [1989] A.C.F. no 453.]
[16] Pour ce qui est des renseignements WebEx, il ne semble pas que les renseignements permettant d’accéder à la rencontre virtuelle étaient accessibles au grand public. Les courriels contenant les renseignements WebEx ont été échangés par des employés de l’Université et du CRSH.
[17] Toutefois, il semble que ces renseignements, ou du moins le lien pour accéder à l’événement, étaient accessibles à un grand nombre de personnes, à savoir toute personne ayant des données d’accès de l’Université, ce qui permet de douter du caractère raisonnable de l’attente de confidentialité de l’Université à l’égard de ces renseignements.
[18] Un article en ligne faisant la promotion de l’événement [Virtual visit (mun.ca) – en anglais seulement] mentionne que les personnes qui souhaitent participer devaient se connecter à la plateforme Brightspace de l’Université à l’aide de leur identifiant et de leur mot de passe de l’Université pour s’inscrire et accéder au lien WebEx à la date et à l’heure de l’événement. Selon la description, l’événement vise les chercheurs, le personnel administratif de la recherche et les boursiers de recherches postdoctorales. L’invitation précise également que l’événement WebEx est limité à 1 000 participants et que, si la limite était atteinte, les participants intéressés seraient dirigés vers une diffusion en direct pour visionnement seulement sur YouTube.
[19] L’Université n’a fourni aucune observation indiquant comment elle a communiqué les renseignements sur l’événement virtuel au CRSH ou aux participants de sorte à avoir une attente raisonnable que ceux-ci demeurent confidentiels. Il semblerait raisonnable que l’attente de confidentialité soit moindre, vu le grand nombre de participants. Tel que mentionné ci-dessus, l’Université était prête à organiser une diffusion en direct sur YouTube si le nombre de participants dépassait la capacité de WebEx. Il ne semble pas non plus y avoir eu de mesures pour empêcher les participants de communiquer les renseignements, particulièrement le lien WebEx, à d’autres personnes. Il est difficile de savoir si les liens Web et mots de passe dans les documents en cause sont les mêmes qui ont été fournis aux participants en général dans la plateforme de l’Université. Toutefois, la diffusion de certains renseignements pour accéder à WebEx à un grand nombre potentiel de participants permet de douter de la confidentialité des liens WebEx et des risques de sécurité potentiels associés à leur divulgation.
[20] Pour ce qui est de la dernière condition de confidentialité, ni le CRSH ni l’Université n’ont fourni d’observations suggérant que la confidentialité des renseignements WebEx favorise leur relation dans l’intérêt public.
[21] En ce qui concerne les statistiques sur les concours, dans ses observations initiales, le CRSH avait déclaré qu’il ne publiait pas les renseignements propres aux institutions en particulier. Toutefois, le CRSH a depuis indiqué que ces renseignements sont accessibles au public.
[22] Aucune observation n’a été fournie quant à l’attente de confidentialité de l’Université à l’égard des renseignements concernant ses demandes. De même, aucune observation n’a été présentée démontrant que la confidentialité des statistiques favorise la relation entre le CRSH et l’Université dans l’intérêt public.
[23] Compte tenu de ce qui précède, je ne suis pas d’avis que les renseignements en cause satisfont au critère de confidentialité. Il n’est donc pas nécessaire que j’évalue si les renseignements satisfont aux autres critères de l’alinéa 20(1)b).
[24] Je conclus que les renseignements ne satisfont pas aux critères de l’exception prévue à l’alinéa 20(1)b).
Résultat
[25] La plainte est fondée.
Ordonnance
Conformément au paragraphe 36.1(1) de la Loi, j’ordonne au président du CRSH de communiquer tous les renseignements dont la communication avait été refusée en vertu de l’alinéa 20(1)b).
Le 28 juin 2023, j’ai transmis au président du CRSH mon rapport dans lequel je présentais mon ordonnance.
Le 11 juillet 2023, le président du CRSH m’a avisée qu’il donnerait suite à mon ordonnance.
J’ai aussi fait parvenir le présent compte rendu à l’Université Memorial de Terre-Neuve-et-Labrador.
Lorsque la plainte s’inscrit dans le cadre de l’alinéa 30(1)a), b), c), d), d.1) ou e) de la Loi, la partie plaignante et l’institution ont le droit d’exercer un recours en révision devant la Cour fédérale. Celles-ci doivent exercer leur recours en révision dans un délai de 35 jours ouvrables après la date du compte rendu. Si elles n’exercent pas de recours, les tiers peuvent exercer un recours en révision dans les 10 jours ouvrables suivants. La personne qui exerce un recours en révision doit signifier une copie de sa demande de révision aux parties intéressées, conformément à l’article 43. Si personne n’exerce de recours en révision dans ces délais, l’ordonnance prend effet le 46e jour ouvrable suivant la date du présent compte rendu.