Défense nationale (Re), 2024 CI 46

Date : 2024-07-22
Numéro de dossier du Commissariat : 5822-06573
Numéro de la demande d’accès : A-2022-01549

Sommaire

La partie plaignante allègue que la prorogation de délai que la Défense nationale a prise en vertu du paragraphe 9(1) de la Loi sur l’accès à l’information pour répondre à une demande d’accès était déraisonnable. La demande vise des renseignements relatifs à l’équipement militaire, aux armes et aux munitions envoyés en Ukraine de 2019 à 2022. L’allégation s’inscrit dans le cadre de l’alinéa 30(1)c) de la Loi.

Au cours de l’enquête, le Commissariat à l’information a conclu que la Défense nationale n’avait pas démontré qu’elle satisfaisait à tous les critères de l’alinéa 9(1)a). La Défense nationale est donc réputée avoir refusé de communiquer les documents demandés en vertu du paragraphe 10(3).

Afin d’aider la partie plaignante et la Défense nationale à gérer les attentes quant au traitement de la demande dans un délai raisonnable, durant l’enquête, le Commissariat a communiqué avec la partie plaignante au sujet de la possibilité de réduire la portée de la demande. La partie plaignante a décidé d’exclure toutes les communications par courriel de la portée de la demande, ce qui a réduit le nombre de documents pertinents d’environ 20 000 pages.

Compte tenu de cette modification de la portée, la Défense nationale a indiqué qu’elle pourrait répondre à la demande dans un délai de six mois. La Commissaire à l’information a ordonné à la Défense nationale de fournir une réponse complète à la demande d’accès le 25 novembre 2024 ou avant cette date.

La Défense nationale a avisé la Commissaire qu’elle donnerait suite à son ordonnance.

La plainte est fondée.

Plainte

[1]       La partie plaignante allègue que la prorogation de délai que la Défense nationale a prise en vertu du paragraphe 9(1) de la Loi sur l’accès à l’information pour répondre à une demande d’accès était déraisonnable. La demande vise la correspondance, les notes de service, les courriels, les notes de breffage, les notes de groupe des ordres, les présentations PowerPoint, indiquant l’équipement militaire envoyé en Ukraine; l’organisation au sein de l’Ukraine qui a reçu l’équipement militaire de la Défense nationale; la quantité de munitions envoyées en Ukraine, catégorisées par type et calibre; les documents indiquant la provenance de l’équipement militaire au sein de la Défense nationale; les documents indiquant la quantité de munitions et d’armes restant à la Défense nationale, le tout du 1er janvier 2019 au 15 décembre 2022.

[2]       L’allégation s’inscrit dans le cadre de l’alinéa 30(1)c) de la Loi.

Enquête

Prorogations de délai

[3]       L’article 7 exige que les institutions répondent aux demandes d’accès dans un délai de 30 jours, à moins qu’elles aient transmis la demande à une autre institution ou pris une prorogation de délai valide parce qu’elle satisfait aux critères de l’article 9.

[4]       La partie plaignante a présenté sa demande initiale à la Défense nationale le 14 décembre 2022. La demande était cependant présentée sous forme de série de questions et la Défense nationale estimait qu’elle ne satisfaisait pas aux critères de l’article 6 de la Loi. En vertu de cet article, pour être valides, les demandes doivent être rédigées en des termes suffisamment précis pour permettre à un fonctionnaire expérimenté de l’institution de trouver le document sans problèmes sérieux.

[5]       Par conséquent, la Défense nationale a communiqué avec la partie plaignante pour obtenir des précisions et la partie plaignante a présenté une demande modifiée le 20 décembre 2022. Le jour même, la Défense nationale a chargé ses bureaux de première responsabilité (BPR) de récupérer les documents pertinents dans le cadre de la demande.

[6]       Lors de l’attribution des tâches liées à la demande, la Défense nationale a suspendu cette dernière à deux occasions : la première pour confirmer que la partie plaignante souhaitait une liste définitive de l’équipement et, la seconde, pour lui demander si elle voulait une liste d’inventaire pour chaque période de six (6) mois.

[7]       La Défense nationale semble être d’avis que la demande était considérée comme étant recevable le 4 janvier 2023, date à laquelle la partie plaignante a indiqué qu’elle voulait que la Défense nationale traite la demande modifiée du 20 décembre 2022.

[8]       Toutefois, la documentation fournie par la Défense nationale indique que la demande était assez claire pour être recevable le 20 décembre 2022. Les préoccupations et les questions des BPR concernaient plutôt la portée de la demande et le temps qu’il faudrait pour y répondre.

[9]       Je conclus que la Défense nationale a reçu la demande le 20 décembre 2022, date à laquelle la partie plaignante a fourni assez de renseignements pour satisfaire aux critères de l’article 6.

[10]       Le 23 janvier 2023, la Défense nationale a prorogé le délai de réponse de 3 210 jours en vertu des alinéas 9(1)a) et b). Si cette prorogation était valide, l’échéance du délai de réponse serait le 7 novembre 2031.

Alinéa 9(1)a) : prorogation du délai en raison de la quantité de documents

[11]       L’alinéa 9(1)a) permet aux institutions de proroger le délai de 30 jours dont elles disposent pour répondre à une demande d’accès lorsqu’elles peuvent démontrer ce qui suit :

  • la demande vise un grand nombre de documents ou nécessite que l’institution fasse des recherches parmi un grand nombre de documents;
  • l’observation du délai entraverait de façon sérieuse leur fonctionnement;
  • la prorogation de délai doit être d’une période que justifient les circonstances.

L’institution a-t-elle démontré qu’elle satisfaisait aux critères de l’alinéa 9(1)a)?

La demande d’accès vise-t-elle un grand nombre de documents?

[12]       Au début de l’enquête, la Défense nationale a déclaré que, jusqu’à maintenant, elle avait récupéré 52 500 pages de documents visés par la portée de la demande d’accès, mais que cinq BPR devaient encore fournir des documents, ce qui signifie que le nombre de documents pertinents pouvait augmenter. La Défense nationale a indiqué que la recherche de documents pertinents a été effectuée sur plusieurs réseaux. Selon ses observations, la vaste portée du texte de la demande d’accès ne permettait pas de faire des recherches par mots-clés; il faudra donc examiner chaque document ligne par ligne afin d’évaluer s’il est pertinent dans le cadre de la demande.  

[13]       La Défense nationale a donc démontré que la demande vise un grand nombre de documents et/ou nécessite de faire des recherches parmi un grand nombre de documents.

L’observation du délai entraverait-elle de façon sérieuse le fonctionnement de l’institution?

[14]       La Défense nationale a démontré que le fait de rechercher et de traiter autant de documents, à savoir environ 52 500 pages, en plus de répondre à la demande d’accès dans un délai de 30 jours—pour autant que cela soit possible—aurait monopolisé les ressources, y compris celles du secteur de programme. L’exécution du travail nécessaire entraverait donc de façon sérieuse le fonctionnement de l’institution.

[15]       La Défense nationale a également indiqué que le BPR, l’État-major interarmées stratégique, compte trois employés à temps plein et ceux-ci ne peuvent se consacrer à temps plein à cette demande sans entraver le fonctionnement de l’unité; ils doivent donc trouver l’équilibre entre leurs obligations en matière d’accès à l’information et leur rôle consistant à soutenir les opérations du Canada en Ukraine. La Défense nationale a déclaré qu’il faudrait que les trois employés à temps plein de ce BPR se consacrent tous à la recherche de documents, ce qui prendrait environ un an. La Défense nationale estime qu’il faudra quatre ans pour terminer la recherche et que deux autres années seront nécessaires pour traiter le nombre prévu de documents.

[16]       La Défense nationale a démontré que l’observation du délai de 30 jours entraverait de façon sérieuse son fonctionnement.

La prorogation de délai est-elle d’une période que justifient les circonstances?

[17]      La Défense nationale a déclaré que plusieurs facteurs ont été pris en considération pour calculer la durée de la prorogation en vertu de l’alinéa 9(1)a), à savoir 3 150 jours :

  • Cinq BPR devaient encore fournir des documents, ce qui signifie que le nombre de documents pertinents pouvait augmenter.
  • Il était nécessaire de faire une recherche sur plusieurs réseaux afin de repérer les documents pertinents.
  • La vaste portée de la demande d’accès ne permettait pas de faire des recherches par mots-clés; il faudra donc examiner chaque document ligne par ligne afin d’évaluer s’il est pertinent dans le cadre de la demande.
  • Le traitement de cette demande monopoliserait des ressources, y compris celles du secteur de programme (l’État-major interarmées stratégique).

[18]       Pour déterminer les délais susmentionnés, la Défense nationale affirme avoir pris son nombre original de pages, soit 52 500, et calculé qu’il faudrait 30 jours pour travailler sur des sections de 500 pages.

[19]       La Défense nationale n’a pas fait preuve d’une rigueur et d’une logique suffisantes pour déterminer de manière sérieuse la durée de la prorogation du délai. Elle n’a fourni aucune observation quant à la question de savoir si elle avait pris en considération les documents en double, la complexité des documents, leur classification, s’ils étaient en format papier ou électronique, quelles exceptions étaient prévues, etc., dans le calcul de la prorogation de délai. La Défense nationale a également indiqué que les étapes du traitement de la demande seront faites l’une après l’autre, plutôt qu’en même temps. Par exemple, selon ses observations, l’examen des documents ne commencera pas tant que tous les documents n’auront pas été reçus de la part des BPR.

[20]       Je conclus donc que la Défense nationale n’a pas démontré qu’elle satisfaisait à tous les critères de l’alinéa 9(1)a). Par conséquent, il n’est pas nécessaire d’examiner si les critères de l’alinéa 9(1)b) sont satisfaits, car même s’ils l’étaient, la prorogation de 60 jours en vertu de l’alinéa 9(1)b) serait déjà échue.

Paragraphe 10(3) : présomption de refus

[21]       Suivant le paragraphe 10(3), lorsque les institutions ne répondent pas à une demande d’accès dans le délai de 30 jours prescrit ou à la fin d’une prorogation de délai valide, elles sont réputées avoir refusé de communiquer les documents demandés.

[22]       La Défense nationale n’avait pas répondu à la demande d’accès à l’échéance du délai prorogé en vertu de l’alinéa 9(1)b). Je conclus donc qu’elle n’a pas respecté son obligation de répondre à la demande dans le délai prorogé. La Défense nationale est donc réputée avoir refusé de communiquer les documents demandés en vertu du paragraphe 10(3). Il n’est donc pas nécessaire d’établir si la prorogation de délai en vertu de l’alinéa 9(1)b) était raisonnable.

[23]       Afin d’aider la partie plaignante et la Défense nationale à gérer les attentes quant au traitement de la demande dans un délai raisonnable, durant l’enquête, le Commissariat a communiqué avec la partie plaignante au sujet de la possibilité de réduire la portée de la demande. La partie plaignante a alors décidé d’exclure toutes les communications par courriel de la portée de la demande, ce qui a réduit le nombre de documents pertinents d’environ 20 000 pages.

[24]       La partie plaignante a également accepté d’exclure de la portée tous les renseignements qui n’ont pas trait à la quantité de munitions et d’équipement restant à la Défense nationale. La partie plaignante a confirmé qu’un seul registre d’inventaire à jour de l’ensemble de l’équipement et des munitions, pour chaque année de 2019 à 2024, est acceptable.

[25]       Compte tenu de cette modification de la portée, le 24 mai, la Défense nationale a indiqué qu’elle pourrait répondre à la demande dans un délai de six mois. Elle estime qu’il faudra 60 jours au BPR (l’État-major interarmées stratégique) pour récupérer les documents et quatre mois pour mener des consultations avec les autres ministères.

[26]       La partie plaignante a indiqué qu’elle considérait la date proposée comme acceptable.

[27]       Compte tenu du travail qu’il reste à accomplir, je considère l’échéancier révisé comme raisonnable.

Résultat

La plainte est fondée.

Ordonnance

J’ordonne au ministre de la Défense nationale de fournir une réponse complète à la demande d’accès le 25 novembre 2024 ou avant cette date.

Rapport et avis de l’institution

Le 17 juin 2024, j’ai transmis à la ministre mon rapport dans lequel je présentais mon ordonnance.

Le 17 juillet 2024, le/la chef intérimaire des opérations de la Direction de l’accès à l’information et de la protection des renseignements personnels m’a avisée que la Défense nationale donnerait suite à mon ordonnance.

Révision devant la Cour fédérale

Lorsqu’une allégation dans une plainte s’inscrit dans le cadre de l’alinéa 30(1)a), b), c), d), d.1) ou e) de la Loi, la partie plaignante a le droit d’exercer un recours en révision devant la Cour fédérale. Lorsque la Commissaire à l’information rend une ordonnance, l’institution a également le droit d’exercer un recours en révision. Quiconque exerce un recours en révision doit le faire dans un délai de 35 jours ouvrables suivant la date du présent compte rendu et doit signifier une copie de sa demande de révision aux parties intéressées, conformément à l’article 43. Si personne n’exerce de recours en révision dans ce délai, l’ordonnance prend effet le 36e jour ouvrable suivant la date du présent compte rendu.

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