Emploi et Développement social Canada (Re), 2023 CI 02

Date : 2023-01-13
Numéro de dossier du Commissariat : 5819-00296
Numéro de dossier de l’institution : A-2017-00273

Sommaire

La partie plaignante allègue qu’Emploi et Développement social Canada (EDSC) a erronément refusé de communiquer des renseignements, en vertu du paragraphe 19(1) (renseignements personnels), de l’alinéa 20(1)b) (renseignements financiers, commerciaux, scientifiques ou techniques confidentiels de tiers) et du paragraphe 24(1) (communication restreinte par une autre loi) de la Loi sur l’accès à l’information, en réponse à une demande d’accès. Celle-ci vise des documents se rapportant à la participation d’universités canadiennes au Programme de contrats fédéraux. La plainte s’inscrit dans le cadre de l’alinéa 30(1)a) de la Loi.

Les numéros d’entreprise ont été retranchés de la portée de la plainte; ce sont les seuls renseignements faisant l’objet d’un refus de communication en vertu du paragraphe 24(1).

L’institution n’a pas démontré que la totalité des renseignements non communiqués en vertu du paragraphe 19(1) était des renseignements personnels concernant des individus identifiables ni qu’elle a correctement exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu de l’alinéa 19(2)b).

L’institution et le tiers n’ont pas démontré que les critères de l’alinéa 20(1)b) avaient été satisfaits lorsqu’EDSC a refusé de communiquer un formulaire de mise en candidature rempli pour les Prix de réalisation pour l’équité en emploi.

La plainte est fondée.

La Commissaire à l’information a ordonné à la ministre de l’Emploi et du Développement social de communiquer tous les renseignements en cause.

EDSC a avisé la Commissaire qu’il donnerait suite à l’ordonnance.

Plainte

[1]      La partie plaignante allègue qu’Emploi et Développement social Canada (EDSC) a erronément refusé de communiquer des renseignements, en vertu du paragraphe 19(1) (renseignements personnels), de l’alinéa 20(1)b) (renseignements financiers, commerciaux, scientifiques ou techniques confidentiels de tiers) et du paragraphe 24(1) (communication restreinte par une autre loi) de la Loi sur l’accès à l’information, en réponse à une demande d’accès. Celle-ci vise des documents se rapportant à la participation d’universités canadiennes au Programme de contrats fédéraux. La plainte s’inscrit dans le cadre de l’alinéa 30(1)a) de la Loi.

[2]      Au cours de l’enquête, la partie plaignante a décidé qu’il n’était plus nécessaire pour le Commissariat à l’information de mener une enquête sur le refus d’EDSC de communiquer les signatures, les détails sur les congés personnels et les vacances ainsi que les numéros d’entreprise. Étant donné que les numéros d’entreprise étaient les seuls renseignements faisant l’objet d’un refus de communication en vertu du paragraphe 24(1), aucun autre renseignement n’était visé par ce même paragraphe dans le cadre de la plainte; il n’était donc plus nécessaire d’examiner cette exception.

Enquête

[3]      Lorsqu’une institution refuse de communiquer des renseignements, y compris les renseignements des tiers, il incombe à ces tiers et/ou à l’institution de démontrer que ce refus est justifié.

Paragraphe 19(1) : renseignements personnels

[4]      Le paragraphe 19(1) exige que les institutions refusent de communiquer des renseignements personnels.

[5]      Pour invoquer cette exception, les institutions doivent démontrer ce qui suit :

  • les renseignements concernent une personne, c’est-à-dire un être humain, et non une société;
  • il y a de fortes possibilités que la divulgation de ces renseignements permette d’identifier cette personne;
  • les renseignements ne sont pas assujettis à une des exceptions prévues aux alinéas 3j) à 3m) de la Loi sur la protection des renseignements personnels applicables à la définition de « renseignements personnels » (p. ex. les coordonnées professionnelles des fonctionnaires).

[6]      Lorsque ces critères sont satisfaits, les institutions doivent alors se demander si les circonstances suivantes existent :

  • la personne concernée par les renseignements consent à leur divulgation;
  • les renseignements sont accessibles au public;
  • la communication des renseignements serait conforme à l’article 8 de la Loi sur la protection des renseignements personnels.

[7]      Lorsqu’une ou plusieurs de ces circonstances existent, le paragraphe 19(2) de la Loi sur l’accès à l’information exige que les institutions exercent raisonnablement leur pouvoir discrétionnaire pour décider si elles doivent communiquer ou non les renseignements.

L’information satisfait-elle aux critères de l’exception?

[8]      L’examen des renseignements en cause montre de façon évidente que les renseignements subséquents satisfont aux critères du paragraphe 19(1), dans le sens où ils concernent des personnes nommées qui sont clairement identifiables et où ils ne sont pas visés par l’une des exceptions prévues aux alinéas 3j) à m) de la Loi sur la protection des renseignements personnels applicables à la définition de « renseignements personnels », y compris, sans toutefois s’y limiter, les noms, les noms d’utilisateur, les mots de passe, les adresses de courriel et les numéros de téléphone cellulaire des employés d’universités.

[9]      La plupart des autres renseignements caviardés en vertu du paragraphe 19(1) sont des statistiques d’universités sur la représentation des groupes visés par l’équité en matière d’emploi (les femmes, les autochtones, les minorités visibles et les personnes handicapées) dans des catégories d’emploi précises, selon la déclaration volontaire des employés. À première vue, ces statistiques portent sur des groupes d’individus; il est donc difficile de voir en quoi ces renseignements concernent des individus identifiables.

[10]    Dans l’affaire Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Bureau canadien d’enquête sur les accidents de transport et de la sécurité des transports), 2006 CAF 157, la Cour d’appel fédérale a mentionné « [qu’un] individu "identifiable" est une personne dont il est raisonnable de croire qu’elle pourra être identifiée à l’aide des renseignements en cause s’ils sont combinés avec des renseignements d’autres sources ». La Cour fédérale a depuis formulé le critère de manière à exiger qu’il y ait de fortes possibilités ou une attente raisonnable qu’une personne puisse être identifiée au moyen des renseignements disponibles [voir Gordon c. Canada (Santé), 2008 CF 258, para 32 à 34; Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2019 CF 1279, (« Ministre de la Sécurité publique »), para 53].

[11]    L’expression « fortes possibilités » signifie plus qu’une chance frivole, mais moins que la prépondérance des probabilités, et l’expression « autres renseignements disponibles » ne se limite pas aux renseignements accessibles au grand public, mais peuvent être accessibles uniquement à un sous-groupe plus restreint du public (Ministre de la Sécurité publique, supra, para 65).

[12]    Après avoir examiné la question, je suis d’avis que le critère des fortes possibilités a été satisfait en ce qui concerne les statistiques faisant l’objet d’un refus de communication. Celles-ci se rapportent à de petits groupes de personnes (c.-à-d. moins de 10) qui occupent des emplois précis au sein d’universités nommément désignées et qui se sont identifiées comme faisant partie d’un groupe visé par l’équité en matière d’emploi. J’accepte le fait qu’il y ait de fortes possibilités que la communication de ces renseignements, lorsqu’ils sont combinés à des renseignements provenant d’autres sources, permette d’identifier les individus auxquels ils concernent.

[13]    J’estime qu’il y a de fortes possibilités que la communication des statistiques relatives à de tels petits groupes permettrait de révéler dans chaque cas des renseignements supplémentaires (qui ne sont pas déjà du domaine public) sur certains individus identifiables. Cette conclusion est étayée par une analyse détaillée menée par le Commissariat à la protection de la vie privée, auprès duquel le Commissariat à l’information a demandé des observations au cours de cette enquête.

[14]    À mon avis, la communication précédente de renseignements similaires, qui a été faite en novembre 2020 par EDSC, en réponse à une motion présentée par le Comité permanent des opérations gouvernementales et des prévisions budgétaires (OGGO) [la « communication découlant de la motion présentée par OGGO »], n’invalide pas l’application du paragraphe 19(1) aux statistiques contenues dans les documents pertinents. Comme l’a fait remarquer le Commissariat à la protection de la vie privée, [traduction] « dans [ce] cas, il est difficile de savoir si des évaluations en matière d’identifiabilité ont été effectuées avant de communiquer ces données ». Si la communication de renseignements personnels a eu lieu dans un contexte différent, cela ne signifie pas que les renseignements personnels contenus dans les documents en cause doivent l’être aussi. Par conséquent, j’estime que toutes les statistiques faisant l’objet d’un refus de communication satisfont aux critères du paragraphe 19(1).

[15]    Les autres renseignements dont la communication a été refusée en vertu du paragraphe 19(1) sont des courriels se trouvant aux pages 72-73, 176 et 1827-1828 des documents pertinents. En examinant ces courriels, je suis d’avis que le contenu des courriels se trouvant aux pages 1827-1828 ne constitue pas des renseignements concernant un individu identifiable, de sorte qu’ils soient visés au paragraphe 19(1). Il convient de noter qu’EDSC a reconnu ce fait au cours de l’enquête et qu’il va dans le même sens que les observations du Commissariat à la protection de la vie privée.

[16]    En ce qui concerne les courriels se trouvant aux pages 72-73 et 176, bien que je reconnaisse qu’ils contiennent des renseignements personnels, ils contiennent aussi d’autres renseignements qui peuvent raisonnablement être prélevés et communiqués conformément à l’article 25 de la Loi sur l’accès à l’information. À mon avis, il y a des renseignements précis sur ces pages qui ne peuvent pas raisonnablement faire l’objet d’un refus de communication en vertu du paragraphe 19(1), comme il a été expliqué dans mon rapport à la ministre de l’Emploi et du Développement social.

[17]    EDSC a convenu qu’il était possible de procéder à d’autres prélèvements, et le Commissariat à la protection à la vie privée a convenu que les renseignements précisés dans mon rapport peuvent être prélevés et communiqués.

[18]    Je conclus que ce ne sont pas tous les renseignements faisant l’objet d’un refus de communication en vertu du paragraphe 19(1) qui satisfont aux critères de l’exception, en particulier :

  • lorsque les renseignements ne concernent pas un individu identifiable, comme c’est le cas aux pages 1827-1828;
  • lorsqu’EDSC n’a pas correctement prélevé les renseignements autres que personnels de ceux qui le sont, aux pages 72-73 et 176.

L’institution a-t-elle exercé raisonnablement son pouvoir discrétionnaire quant à sa décision de communiquer ou non l’information?

[19]    Étant donné qu’une bonne partie des renseignements satisfont aux critères du paragraphe 19(1), EDSC était tenu d’exercer raisonnablement son pouvoir discrétionnaire en vertu du paragraphe 19(2) afin de décider de communiquer ou non les renseignements lorsqu’au moins l’une des circonstances décrites au paragraphe 19(2) existait au moment de la réponse.

[20]    En l’espèce, j’accepte le fait qu’il ait été déraisonnable pour EDSC de demander le consentement des nombreux tiers (c.-à-d. employés) concernés. Par conséquent, aucun pouvoir discrétionnaire n’a été exercé pour communiquer les renseignements en vertu de l’alinéa 19(2)a).

[21]    J’accepte aussi le fait que rien ne permette d’indiquer que la communication serait conforme à l’article 8 de la Loi sur la protection des renseignements personnels, de manière à autoriser la communication des renseignements en vertu de l’alinéa 19(2)c).

[22]    En ce qui concerne l’alinéa 19(2)b), le Commissariat a constaté au cours de l’enquête que certaines des statistiques caviardées sont accessibles, car il est facile de les discerner d’après les renseignements qu’EDSC a communiqués. En outre, la communication découlant de la motion présentée par OGGO contient aussi des renseignements semblables. Je reconnais que la communication des statistiques a pu être faite par inadvertance et que les renseignements similaires qui proviennent de la communication découlant de la motion présentée par OGGO n’étaient pas accessibles au public au moment où EDSC a répondu à la demande d’accès. Quoi qu’il en soit, il n’a pas présenté suffisamment d’observations pour démontrer qu’il avait examiné l’existence ou non des circonstances énoncées à l’alinéa 19(2)b) au moment de la réponse. Je conclus donc qu’EDSC n’a pas démontré qu’il avait établi l’existence ou non de ces circonstances, ce qui l’a empêché d’exercer son pouvoir discrétionnaire, le cas échéant.

Alinéa 20(1)b) : renseignements financiers, commerciaux, scientifiques ou techniques confidentiels de tiers

[23]    L’alinéa 20(1)b) exige que les institutions refusent de communiquer des renseignements financiers, commerciaux, scientifiques ou techniques confidentiels fournis à une institution fédérale par un tiers (c’est-à-dire une entreprise privée ou une personne, et non pas le demandeur d’accès).

[24]    Pour invoquer cette exception, les institutions doivent démontrer ce qui suit :

  • les renseignements sont financiers, commerciaux, scientifiques ou techniques;
  • les renseignements sont de nature confidentielle;
  • le tiers a fourni les renseignements à une institution fédérale;
  • le tiers a toujours traité les renseignements comme étant confidentiels.

[25]    Lorsque ces critères sont satisfaits et que le tiers auquel les renseignements se rapportent consent à leur divulgation, le paragraphe 20(5) exige que les institutions exercent raisonnablement leur pouvoir discrétionnaire pour décider si elles doivent communiquer ou non les renseignements.

[26]    De plus, lorsque ces critères sont satisfaits, le paragraphe 20(6) exige que les institutions exercent raisonnablement leur pouvoir discrétionnaire pour décider de communiquer les renseignements pour des raisons de santé publique ou de sécurité publique, ou pour protéger l’environnement, lorsque les deux circonstances suivantes existent :

  • la divulgation des renseignements serait dans l’intérêt public;
  • l’intérêt public dans la divulgation est nettement supérieur à toute répercussion financière sur le tiers, à toute atteinte à la sécurité de ses ouvrages, réseaux ou systèmes, à sa compétitivité ou à toute entrave aux négociations contractuelles ou autres qu’il mène.

[27]    Toutefois, les paragraphes 20(2) et 20(4) interdisent expressément aux institutions d’invoquer l’alinéa 20(1)b) pour refuser de communiquer des renseignements qui contiennent les résultats d’essais de produits ou d’essais d’environnement effectués par une institution fédérale ou en son nom, sauf si ces essais ont été effectués moyennant paiement pour un particulier ou un organisme autre qu’une institution fédérale.

L’information satisfait-elle aux critères de l’exception?

[28]    Se fondant sur l’alinéa 20(1)b), EDSC a refusé de communiquer un formulaire de mise en candidature de 10 pages pour les Prix de réalisation pour l’équité en matière d’emploi que l’Université de Waterloo lui avait soumis.

[29]    Au cours de l’enquête, EDSC et l’Université de Waterloo ont tous les deux reconnu que ce document n’est pas visé à l’alinéa 20(1)b) et qu’il peut être communiqué. Je suis d’accord. Bien que l’Université de Waterloo ait fourni le document à une institution fédérale, de manière à satisfaire le troisième critère de l’alinéa 20(1)b), les autres critères de cette exception n’ont pas été satisfaits. Plus précisément, le document ne contient pas de renseignements financiers, commerciaux, scientifiques ou techniques. De plus, il est manifeste que le document n’est pas objectivement confidentiel et qu’il n’a pas toujours été traité comme tel par l’Université de Waterloo. L’inclusion d’une clause dans le formulaire de mise en candidature signé qui autorise la [traduction] « publication, par le gouvernement, de tous les renseignements et éléments inclus dans le présent formulaire » en est la preuve.

[30]    Par conséquent, je conclus que les renseignements ne satisfont pas aux critères de l’alinéa 20(1)b).

Résultat

[31]    La plainte est fondée.

Ordonnance

Conformément au paragraphe 36.1(1) de la Loi, j’ordonne à la ministre de l’Emploi et du Développement social ce qui suit :

  1. Prélever et communiquer les renseignements se trouvant aux pages 72-73 et 176 qui ne satisfont pas aux critères du paragraphe 19(1), tel qu’il est décrit dans mon rapport;
  2. Communiquer, en vertu du paragraphe 19(1), les renseignements non divulgués se trouvant aux pages 1827-1828;
  3. Communiquer, en vertu de l’alinéa 20(1)b), les renseignements non divulgués;
  4. Examiner la mesure dans laquelle les renseignements caviardés sont accessibles au public et, par la suite, exercer raisonnablement son pouvoir discrétionnaire pour décider de communiquer ou non ces renseignements en vertu de l’alinéa 19(2)b).

La ministre doit se conformer aux dispositions du paragraphe 37(4) lorsqu’elle communique des documents en réponse à mon ordonnance.

Le 3 janvier 2023, j’ai transmis à la ministre mon rapport dans lequel je présentais mon ordonnance.

Le 10 janvier 2023, la gestionnaire par intérim du Secrétariat de l’accès à l’information et de la protection des renseignements personnels m’a avisée qu’EDSC donnerait suite à mon ordonnance.

J’ai aussi fait parvenir le présent compte rendu à l’Université de Waterloo et au commissaire à la protection de la vie privée du Canada.

Lorsque la plainte s’inscrit dans le cadre de l’alinéa 30(1)a), b), c), d), d.1) ou e) de la Loi, la partie plaignante et l’institution ont le droit d’exercer un recours en révision devant la Cour fédérale. Celles-ci doivent exercer leur recours en révision dans un délai de 35 jours ouvrables après la date du compte rendu. Si elles n’exercent pas de recours, les tiers et le commissaire à la protection de la vie privée peuvent exercer un recours en révision dans les 10 jours ouvrables suivants. La personne qui exerce un recours en révision doit signifier une copie de sa demande de révision aux parties intéressées, conformément à l’article 43. Si personne n’exerce de recours en révision dans ces délais, l’ordonnance prend effet le 46e jour ouvrable suivant la date du présent compte rendu.

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