Environnement et Changement climatique Canada (Re), 2021 CI 36
Date : 2021-12-08
Numéro de dossier du Commissariat : 3218-00063
Numéro de dossier de l’institution : A-2017-01727/VC
Sommaire
La partie plaignante allègue qu’Environnement et Changement climatique Canada (ECCC) n’a pas effectué une recherche raisonnable de documents en réponse à une demande d’accès en vertu de la Loi sur l’accès à l’information. Cette demande visait tous les rapports ou toutes les évaluations, y compris les versions provisoires, effectués par le Northgate Group, étant en la possession de tout employé de la Direction générale de l’application de la loi d’ECCC.
L’enquête a révélé qu’ECCC a apporté des modifications dans la version du rapport provisoire ayant été fourni par l’entrepreneur (le Northgate Group). Cela a eu pour effet de modifier de façon permanente le contenu du document, à savoir un livrable du contrat, qui aurait dû être sauvegardé dans un dépôt ministériel.
Au cours de l’enquête, il a été confirmé que le rapport provisoire original fourni par le Northgate Group n’existe plus, car ni ECCC ni le Northgate Group n’ont conservé une copie.
La sauvegarde des modifications dans la version reçue a eu pour conséquences directes de modifier de façon permanente le rapport provisoire original et de porter atteinte de façon irréversible au droit d’accès.
La plainte est fondée.
Plainte
[1] La partie plaignante allègue qu’Environnement et Changement climatique Canada (ECCC) n’a pas effectué une recherche raisonnable de documents en réponse à une demande d’accès en vertu de la Loi sur l’accès à l’information. Cette demande visait tous les rapports ou toutes les évaluations, y compris les versions provisoires, effectués par le Northgate Group, étant en la possession de tout employé de la Direction générale de l’application de la loi d’ECCC.
Enquête
Recherche raisonnable
[2] ECCC est tenu d’effectuer une recherche raisonnable pour les documents visés par la demande d’accès, c’est-à-dire qu’un ou des employés expérimentés de l’institution ayant une connaissance du sujet de la demande d’accès doivent avoir fait des efforts raisonnables pour repérer et localiser tous les documents raisonnablement liés à la demande.
[3] Une recherche raisonnable correspond au niveau d’effort attendu de toute personne sensée et juste à qui l’on demande de chercher les documents pertinents à l’endroit où ils sont susceptibles d’être conservés.
[4] Il n’est pas nécessaire que cette recherche soit parfaite. Une institution n’est donc pas tenue de prouver hors de tout doute qu’il n’existe pas d’autres documents. Les institutions doivent toutefois être en mesure de démontrer qu’elles ont fait des démarches raisonnables pour repérer et localiser les documents pertinents.
L’institution a-t-elle effectué une recherche raisonnable de documents?
[5] Au cours de l’enquête, le Commissariat à l’information a examiné la documentation relative à la recherche de documents pertinents effectuée par ECCC.
[6] Le Commissariat a examiné les réponses du bureau de première responsabilité (BPR) pour vérifier si celui-ci s’était acquitté de ses obligations en vertu de la Loi sur l’accès à l’information, à savoir repérer les documents répondant à la demande d’accès qui relevaient de lui.
[7] En réponse aux demandes de renseignements du Commissariat, ECCC a repéré et traité 122 pages supplémentaires de documents qui, l’institution le reconnaît, auraient dû l’être au moment de répondre à la demande.
[8] Malgré cette communication supplémentaire, la partie plaignante a soutenu que, à l’issue d’une recherche raisonnable, ECCC aurait dû repérer et récupérer un autre document pertinent, soit un rapport provisoire original soumis par le Northgate Group à un cadre supérieur du Ministère conformément à un livrable prévu dans un contrat. Selon la partie plaignante, le rapport communiqué ne contenait pas l’une des conclusions principales du Northgate Group, c’est-à-dire si les agents d’application de la loi travaillant à ECCC devaient être armés. De plus, elle a affirmé qu’il devrait y avoir une copie du rapport provisoire quelque part et, si ce n’est pas le cas, elle voulait savoir si ce dernier a été modifié ou supprimé.
[9] L’enquête a confirmé que, en janvier 2017, ECCC a conclu un contrat d’une valeur de plus de 300 000 $ pour effectuer de la recherche et produire un rapport sur les activités de ses agents d’application de la loi de même que sur les politiques, l’équipement et la formation concernant leur utilisation de la force et leur sécurité.
[10] Le 7 novembre 2019, à la suite d’une ordonnance de production de documents émise par le Commissariat, ECCC a donné un aperçu des circonstances de la cueillette de documents en réponse à la demande d’accès.
[11] L’enquête a révélé que l’un des livrables du contrat, à savoir le rapport provisoire, a été fourni à ECCC sur une clé USB. Lorsqu’elle a reçu celle-ci, une cadre supérieure du Ministère a apporté les changements qu’elle estimait nécessaires et les a sauvegardés directement dans la version sur la clé USB, ce qui a écrasé la version provisoire du rapport produit par le Northgate Group. La cadre supérieure considérait le document comme une simple ébauche, de nature éphémère, que le Ministère pouvait modifier au besoin, et non une version qu’il avait approuvée officiellement aux fins de publication ou de communication.
[12] Bibliothèque et Archives Canada (BAC) définit ainsi les documents éphémères :
Les documents éphémères ne sont pas des documents à valeur opérationnelle. Ils peuvent inclure des copies ou des exemplaires de documents conservés dans le dépôt d’une institution gouvernementale, mais ne comprennent pas les documents requis pour surveiller, soutenir ou documenter l’exécution des programmes, mener à bien les opérations, prendre des décisions, ou fournir des preuves à l’appui de la reddition de comptes et du rapport sur les activités du gouvernement. [Voir https://www.bac-lac.gc.ca/fra/services/gestion-ressources-documentaires-gouvernement/disposition/Pages/faq.aspx]
[13] La Politique sur les services et le numérique du Secrétariat du Conseil du Trésor exige que les administrateurs généraux veillent à ce que les décisions et les processus décisionnels soient consignés.
[14] La Directive sur les services et le numérique exige que le dirigeant principal de l’information d’ECCC « [veille] à ce qu’une solution intégrée de gestion de l’information approuvée par le gouvernement du Canada soit utilisée afin de consigner les activités, les décisions et les processus de prise de décisions opérationnels ». Tous les employés sont responsables de consigner leurs activités et leurs décisions ayant une valeur opérationnelle, et il incombe à leurs gestionnaires de les informer de cette obligation.
[15] Conformément à la définition que donne BAC d’un document éphémère, il est évident que le rapport provisoire fourni par le Northgate Group, lequel était l’un des livrables prévus dans un contrat de plus de 300 000 $, n’aurait pas dû être considéré comme éphémère. Le rapport provisoire aurait dû être correctement sauvegardé et conservé par ECCC dans un dépôt ministériel.
[16] Au cours de l’enquête, il a été confirmé que le rapport provisoire original fourni par le Northgate Group n’existe plus, car ni ECCC ni le Northgate Group n’ont conservé une copie. Il n’a pas été possible de confirmer si le rapport provisoire contenait une conclusion clé qui aurait été supprimée ou modifiée par la suite, comme l’allègue la partie plaignante.
[17] La conservation du rapport provisoire dans sa forme originale, lequel était un livrable fourni par le Northgate Group, de même que les modifications subséquentes que l’ancienne responsable de la mise en application de la loi d’ECCC estimait nécessaires, aurait permis à la partie plaignante et à la population canadienne de comprendre le processus décisionnel relatif à cette question importante. Malheureusement, la sauvegarde des modifications dans la version sur la clé USB a eu pour conséquences directes de modifier de façon permanente le rapport provisoire original et de porter atteinte de façon irréversible au droit d’accès.
[18] Le droit d’accès prévu par la Loi sur l’accès à l’information s’applique généralement seulement aux documents existants qui relèvent d’une institution (sous réserve des circonstances décrites au paragraphe 4(3), qui permettent de produire des documents à partir de documents lisibles par machine). Étant donné que le rapport provisoire n’existait plus au moment de la demande et qu’il ne pouvait pas être produit de nouveau, le Commissariat a épuisé les moyens à sa disposition pour ce qui est d’enquêter sur la plainte liée à la recherche raisonnable.
[19] Comme je l’ai souligné dans mes observations et recommandations au président du Conseil du Trésor dans le cadre de l’examen du système d’accès à l’information lancé l’an dernier, sans document, le droit d’accès n’existe pas. La documentation adéquate des mesures et décisions clés prises par les institutions est fondamentale pour le droit d’accès, car elle renforce la responsabilité, la transparence et la bonne gouvernance du gouvernement ainsi que la confiance du public à son égard.
[20] Puisqu’ECCC a repéré 122 pages supplémentaires qui, il en convient, auraient dû être repérées et traitées en réponse à la demande, l’enquête du Commissariat au sujet de cette plainte liée à la recherche raisonnable est fondée. Je dois ajouter qu’il est troublant, et c’est le moins qu’on puisse dire, qu’un document à valeur opérationnelle, qui aurait dû exister au moment de la demande, n’ait pas été conservé, ce qui a eu des conséquences sur le droit d’accès de la partie plaignante.
Résultat
[21] La plainte est fondée.
Recommandation
Je recommande à la sous-ministre d’Environnement et Changement climatique Canada ce qui suit :
- Donner de la formation aux employés de tous les échelons de l’organisation au sujet de leurs obligations en matière d’accès à l’information, de tenue de documents et de gestion de l’information, y compris les exigences de la Politique sur les services et le numérique et de la Directive sur les services et le numérique.
Le 20 octobre 2021, j’ai transmis à la sous-ministre d’ECCC mon rapport dans lequel je présentais l’ordonnance que j’avais l’intention de rendre.
Le 19 novembre 2021, la sous-ministre d’ECCC m’a avisée qu’elle donnerait suite à mes recommandations. Plus précisément, elle a déclaré que, depuis le dépôt de la plainte, le Ministère a renforcé ses processus de formation, d’apprentissage et de perfectionnement afin d’adapter ses pratiques de gestion de l’information en prenant les mesures suivantes :
- ECCC a permis à tous ses employés d’accéder aux cours sur la gestion des documents offerts par l’École de la fonction publique du Canada de même qu’à des séances virtuelles et en salle de classe à l’interne;
- ECCC a élaboré un cours d’orientation « Environnement et Changement climatique Canada 101 » à l’intention des nouveaux employés, qui comprend un volet sur la gestion de l’information;
- ECCC a réalisé plusieurs campagnes de communication éclair durant l’année portant sur les meilleures pratiques de gestion de l’information durant la pandémie de COVID-19, la bonne tenue de documents dans un milieu de travail numérique en évolution et la promotion des occasions de formation à venir;
- ECCC a relancé le groupe de travail sur la gestion de l’information afin de fournir un soutien continu en matière de pratiques de gestion de l’information, d’élaborer de la formation par les pairs et de promouvoir les nouvelles occasions d’apprentissage au fur et à mesure que la formation évolue.
Elle m’a également assuré qu’ECCC demeure déterminé à améliorer continuellement ses pratiques de gestion des documents et qu’il continuera d’élaborer son approche en matière d’apprentissage; pour ce faire, il misera sur l’amélioration de son espace de travail numérique, que les employés utilisent dans le cadre de leur travail, pour offrir de l’apprentissage guidé et des microcours afin de s’assurer que les employés retiennent ce qu’ils ont appris.
Enfin, ECCC rappellera à ses cadres supérieurs leur obligation de veiller à ce que les décisions et les processus décisionnels soient bien documentés.
L’article 41 de la Loi sur l’accès à l’information confère à la partie plaignante qui reçoit le présent compte rendu le droit d’exercer un recours en révision devant la Cour fédérale. La partie plaignante doit exercer ce recours en révision dans un délai de 35 jours ouvrables après la date du compte rendu et doit signifier une copie de sa demande de révision aux parties intéressées, conformément à l’article 43.