Ministère de la Justice Canada (Re), 2024 CI 53

Date : 2024-08-06
Numéro de dossier du Commissariat : 5822-03179
Numéro de la demande d’accès : A-2021-00580

Sommaire

La partie plaignante allègue que le ministère de la Justice Canada (Justice) n’a pas répondu à une demande d’accès dans le délai de 30 jours prévu à l’article 7 de la Loi sur l’accès à l’information, entre autres allégations. La demande d’accès vise des documents relatifs à la vaccination contre la COVID-19 des fonctionnaires fédéraux et des voyageurs. La partie plaignante allègue aussi que Justice a pris une prorogation de délai invalide, puis y a renoncé. Les allégations s’inscrivent dans le cadre de l’alinéa 30(1)a) de la Loi.

La partie plaignante allègue également que Justice a erronément suspendu la demande d’accès, erronément communiqué par téléphone et ne s’est pas acquitté de ses responsabilités en vertu du paragraphe 4(2,1). Les allégations s’inscrivent dans le cadre de l’alinéa 30(1)f) de la Loi.

Justice a renoncé à la prorogation de délai et il n’était donc plus nécessaire d’enquêter sur la validité de celle-ci. Justice n’a pas démontré qu’il était justifié de suspendre la demande. Aucun élément de preuve n’a été reçu pour illustrer la pression indue pour communiquer par téléphone ou le fait que Justice a communiqué par téléphone sans le consentement exprès de la partie plaignante.  

Justice n’a pas démontré qu’il s’était acquitté de son obligation de prêter assistance à la partie plaignante en vertu du paragraphe 4(2,1). Justice n’avait pas répondu à la demande à l’échéance du délai de réponse. Par conséquent, Justice est réputé avoir refusé de communiquer les documents demandés en vertu du paragraphe 10(3).

La Commissaire n’a pas trouvé de preuve relative à la perpétration d’une infraction à la Loi dans le cadre de l’enquête.

La Commissaire a ordonné à Justice d’annuler toute suspension du traitement de la demande, de fournir une réponse complète à la demande d’accès au plus tard le 17 mai 2029, de fournir des mises à jour à la partie plaignante tous les six mois et de faire des communications provisoires à la partie plaignante à intervalles réguliers, si possible.

Justice a avisé la Commissaire qu’il donnerait suite à son ordonnance.

La plainte est fondée.

Plainte

[1]      La partie plaignante allègue que le ministère de la Justice Canada (Justice) n’a pas répondu à une demande d’accès dans le délai de 30 jours prévu à l’article 7 de la Loi sur l’accès à l’information. La demande vise des documents, du 1er décembre 2020 au 6 octobre 2021, relatifs à la légalité ou à l’orientation juridique des annonces faites par le premier ministre le 13 août 2021 ainsi que la mise en œuvre subséquente des obligations relatives à la vaccination contre la COVID-19 visant les fonctionnaires fédéraux et les voyageurs.

[2]      L’allégation s’inscrit dans le cadre de l’alinéa 30(1)a) de la Loi.

[3]      La partie plaignante allègue également ce qui suit :

  • Justice a pris une prorogation de délai invalide, puis y a renoncé. L’allégation s’inscrit dans le cadre de l’alinéa 30(1)a).
  • Justice a erronément suspendu la demande d’accès. L’allégation s’inscrit dans le cadre de l’alinéa 30(1)f).
  • Justice a communiqué par téléphone, même si la partie plaignante lui avait demandé de communiquer par écrit. L’allégation s’inscrit dans le cadre de l’alinéa 30(1)f).
  • Justice ne s’est pas acquitté de ses responsabilités en vertu du paragraphe 4(2,1), à savoir de faire tous les efforts raisonnables pour prêter assistance à la personne qui a fait la ou les demande(s) d’accès susmentionnée(s). L’allégation s’inscrit dans le cadre de l’alinéa 30(1)f).

Enquête

Prolongation de délai

[4]      Justice a reçu la demande d’accès le 23 septembre 2021. Le 1er décembre 2021, Justice a pris une prorogation de 1 825 jours en vertu des alinéas 9(1)a) et 9(1)b). Le 15 décembre 2021, Justice a envoyé un courriel à la partie plaignante pour confirmer qu’il renonçait officiellement à la prorogation et qu’il suspendait le dossier en date du 1er décembre 2021. Également le 15 décembre 2021, Justice a informé le Commissariat à l’information qu’il renoncerait à la prorogation, et que Justice continuerait de travailler de concert avec la partie plaignante pour préciser la demande et y répondre en temps opportun. Le 20 décembre 2021, Justice a envoyé à la partie plaignante une lettre confirmant officiellement la rétractation de la lettre de prorogation transmise le 1er décembre 2021.

[5]      Comme Justice a renoncé à la prorogation, je conclus que la question est théorique et qu’il n’y a plus lieu d’enquêter sur sa validité.

Suspension du délai de réponse

[6]      Justice a déclaré que le dossier avait été suspendu indéfiniment en date du 1er décembre 2021, afin d’obtenir davantage de précisions sur la portée.

[7]      L’article 6 exige que la demande soit rédigée en des termes suffisamment précis pour permettre à un fonctionnaire expérimenté de l’institution de trouver le document sans problèmes sérieux. Justice n’a pas affirmé que la demande d’accès ne satisfaisait pas aux critères de l’article 6. Les tentatives de Justice d’obtenir des précisions visaient plutôt à réduire la portée du sujet de la demande afin de l’aider à gérer la quantité prévue de documents pertinents.

[8]      Il n’y a aucune disposition dans la Loi prévoyant la suspension d’une demande d’accès, sauf lorsque le délai est suspendu en attendant la décision de la Commissaire concernant une demande d’autorisation en vertu du paragraphe 6.1(1), même avec le consentement de la partie plaignante.

[9]      Je conclus donc que Justice a erronément suspendu la demande d’accès.

Communication par téléphone

[10]    Le 1er décembre 2021, Justice a été avisé que la partie plaignante préférait communiquer par écrit et l’a noté dans le dossier. Plus tard dans la journée, la partie plaignante a indiqué qu’elle accepterait un appel, qu’elle souhaitait un appel de la part d’un superviseur et elle a fourni un numéro de téléphone. Le 2 décembre 2021, la partie plaignante a organisé un appel téléphonique avec Justice le 3 décembre 2021. L’appel a eu lieu comme convenu.

[11]    Bien que la partie plaignante soutienne que cet appel était le résultat d’une pression excessive, je n’ai reçu aucune preuve à cet effet. Je n’ai pas non plus reçu de preuve indiquant que Justice avait communiqué par téléphone à d’autres occasions ou sans le consentement de la partie plaignante. Je conclus donc que l’allégation n’est pas fondée.

Paragraphe 4(2,1) : responsabilité de l’institution fédérale

[12]    En vertu du paragraphe 4(2,1), le responsable d’une institution fédérale doit faire tous les efforts raisonnables, sans égard à l’identité de la personne qui fait une demande, pour lui prêter toute l’assistance indiquée, donner suite à sa demande de façon précise et complète et, sous réserve des règlements, lui communiquer le document en temps utile sur le support demandé.

L’institution s’est-elle acquittée de ses obligations en vertu de la Loi?

[13]    Justice a déclaré avoir fait tous les efforts raisonnables pour prêter assistance à la partie plaignante en lui offrant plusieurs options, en précisant la demande et en guidant la partie plaignante dans le processus de demande d’accès. Elle a notamment fait de multiples efforts pour aider la partie plaignante à préciser la portée de la demande durant les mois de septembre et d’octobre 2021.

[14]    Les communications ont cependant diminué ou cessé à un point tel que la partie plaignante soutenait que la demande d’accès semblait avoir été abandonnée par Justice ou n’avoir délibérément pas été transmise à une nouvelle personne-ressource. La partie plaignante a déclaré qu’il n’y avait pas eu de communication ou de mise à jour concernant le dossier depuis janvier 2023. Justice a informé le Commissariat que la partie plaignante avait envoyé deux courriels le 31 août 2023, mais que ceux-ci étaient adressés à des personnes qui ne travaillaient plus au ministère. Même si, le 19 mars 2024, Justice a affirmé qu’il communiquerait avec la partie plaignante pour faire le point, celle-ci a déclaré que cette communication n’a pas eu lieu.

[15]    Manifestement, aucune mise à jour concernant la personne-ressource ou le traitement de la demande n’a été faite; je conclus donc que Justice ne s’est pas acquitté de son obligation en vertu du paragraphe 4(2,1), à savoir prêter assistance à la partie plaignante. Je trouve que c’est particulièrement inacceptable, puisque Justice a affirmé que le dossier avait été suspendu en décembre 2021 afin de permettre d’autres communications avec la partie plaignante pour préciser la portée de la demande.  

Délais pour répondre aux demandes d’accès

[16]    L’article 7 exige que les institutions répondent aux demandes d’accès dans un délai de 30 jours, à moins qu’elles aient transmis la demande à une autre institution ou pris une prorogation de délai valide parce qu’elle satisfait aux critères de l’article 9. Lorsqu’une institution ne répond pas à une demande dans le délai de 30 jours ou dans le délai prorogé, elle est réputée avoir refusé de communiquer les documents en vertu du paragraphe 10(3).

[17]    L’institution est néanmoins tenue de fournir une réponse à la demande.

Qu’est-ce qu’une réponse?

[18]    La réponse à une demande d’accès doit être écrite et elle doit indiquer si l’institution communique les documents demandés, en tout ou en partie.

  • Lorsque la réponse de l’institution indique qu’elle communique les documents, en tout ou en partie, l’institution doit les communiquer.
  • Lorsque la réponse de l’institution indique qu’elle refuse de communiquer les documents, en tout ou en partie, l’institution doit expliquer que les documents n’existent pas ou qu’elle refuse de les communiquer, en tout ou en partie, en vertu d’une exception précise, et elle doit identifier cette disposition.

[19]    Dans des circonstances précises, l’institution peut refuser de confirmer ou de nier l’existence des documents, en vertu du paragraphe 10(2).

L’institution a-t-elle répondu dans les délais?

[20]    Justice a reçu la demande d’accès le 23 septembre 2021. Le 1er décembre 2021, Justice a pris une prorogation de 1 825 jours en vertu des alinéas 9(1)a) et 9(1)b). Cependant, le 20 décembre 2021, Justice a envoyé à la partie plaignante une lettre officielle pour l’aviser qu’il avait renoncé à la prorogation. La date d’échéance pour répondre à la demande demeure le 29 octobre 2021. Justice n’avait pas répondu à la demande à cette date. Par conséquent, Justice est réputé avoir refusé de communiquer les documents demandés en vertu du paragraphe 10(3).

[21]    L’unité de l’accès à l’information et de la protection des renseignements personnels de Justice a confirmé que tous les documents avaient été réunis en date du 10 mai 2022. Cependant, deux ans plus tard, l’examen des documents n’est pas encore commencé. Justice a indiqué qu’une fois l’examen commencé, l’analyste devra indexer chaque document ainsi que repérer les doubles et les documents qui ne sont pas pertinents ou qui ne sont pas visés par la portée de la demande. Justice a indiqué que des consultations internes et externes pourraient être requises, ce qui pourrait causer des retards importants.

[22]    Justice que le traitement de la demande prendrait 14 ans. Ce calcul se fonde sur le nombre préliminaire de pages, soit 168 537, traitées à un rythme de 1 000 pages par mois par un seul analyste.  

[23]    Je ne considère pas l’estimation de Justice, à savoir 14 ans, comme raisonnable. Les documents ayant été récupérés auprès de huit bureaux de première responsabilité (BPR) différents à l’échelle de Justice, il est fort probable qu’il y ait des doubles, ce qui réduira le nombre de documents pertinents. De plus, cinq des huit BPR sont des unités de services juridiques et il est donc probable qu’un grand nombre des documents provenant de ceux-ci soient visés par l’exception relative au secret professionnel de l’avocat, et il ne serait donc pas nécessaire de les examiner ligne par ligne.

[24]    Enfin, une institution de la taille de Justice devrait être en mesure d’affecter plus d’une ressource à cette demande. Bien que je comprenne que Justice tente de concilier le traitement d’une grosse demande et le service aux autres personnes qui font des demandes, il n’en demeure pas moins que Justice n’a affecté aucune ressource au traitement de cette demande depuis que les documents ont été récupérés.

[25]    La partie plaignante attend maintenant une réponse à sa demande d’accès depuis plus de deux ans et demi. Cette absence de réponse de la part du BCP est inacceptable. Il contrevient clairement aux obligations de Justice de fournir des réponses en temps opportun en vertu de la Loi.

[26]    Compte tenu de tout ce qui précède, je conclus que Justice doit répondre à la demande dans un délai de cinq (5) ans, en tenant compte des points suivants :

  • L’équipe de l’accès à l’information et de la protection des renseignements personnels de Justice compte plusieurs analystes qui pourront se partager la tâche tout en travaillant à d’autres dossiers – il est possible d’effectuer plusieurs tâches en même temps;
  • Le nombre final de pages sera probablement moins élevé que l’estimation actuelle;
  • Les consultations devraient se limiter aux circonstances dans lesquelles elles sont nécessaires et viser des renseignements précis, afin de réduire les délais.

[27]    Je conclus également que Justice doit tenir la partie plaignante au courant des progrès accomplis et qu’il doit envisager de communiquer les documents au fur et à mesure qu’ils sont traités, si possible.

[28]    Advenant que la partie plaignante décide de modifier la portée de sa demande afin de réduire le délai de réponse, je l’invite à discuter de cet aspect directement avec Justice.

Intention de refuser la communication

[29]    Au cours de l’enquête, la partie plaignante a allégué que des documents avaient été manipulés et de fausses informations utilisées pour contourner la Loi.

[30]    En vertu de l’article 67.1, détruire, tronquer ou modifier un document, ou ordonner, proposer, conseiller ou amener de n’importe quelle façon une autre personne à le faire dans le but d’entraver le droit d’accès en vertu de la Loi constitue une infraction.

[31]    Mon mandat est de mener des enquêtes administratives sur la conformité des institutions fédérales à la Loi et de tirer des conclusions à partir des faits. Je ne peux pas mener d’enquête criminelle ni attribuer de responsabilité civile ou criminelle. Bien que je puisse tirer des conclusions à partir des faits, je ne suis pas habilité à enquêter sur la question de savoir si des mesures ont été prises dans l’intention d’entraver le droit d’accès en vertu de la Loi.

[32]    Si, au cours de l’enquête, je suis d’avis qu’il existe des éléments de preuve touchant la perpétration d’une infraction fédérale ou provinciale par un administrateur, un dirigeant ou un employé d’une institution fédérale, je peux faire part au procureur général du Canada des renseignements que je détiens à cet égard, tel que prévu par le paragraphe 63(2).

[33]    Bien que Justice n’ait manifestement pas traité cette demande comme il se doit, je n’ai pas trouvé de preuve relative à la perpétration d’une infraction à la Loi dans le cadre de l’enquête.

Résultat

[34]    La plainte est fondée parce que :

  • Justice a erronément suspendu la demande d’accès;
  • Justice ne s’est pas acquitté de son obligation de prêter assistance, comme le prévoit le paragraphe 4(2,1);
  • Justice est réputé avoir refusé de communiquer les documents demandés en vertu du paragraphe 10(3).

Ordonnances

J’ordonne au ministre de la Justice ce qui suit :

  1. Annuler toute suspension du traitement de la demande;
  2. Fournir une réponse complète à la demande d’accès au plus tard le 17 mai 2029;
  3. Fournir tous les six mois à la partie plaignante des mises à jour sur l’état d’avancement du traitement de la demande d’accès;
  4. Fournir des communications intérimaires à la partie plaignante à intervalles réguliers, si possible.

Rapport et avis de l’institution

Le 13 juin 2024, j’ai transmis au ministre de la Justice mon rapport dans lequel je présentais mes ordonnances.

Le 2 août 2024, le directeur par intérim de l’Accès à l’information et de la protection des renseignements personnels de Justice m’a avisée que Justice donnerait suite à mon ordonnance. Justice a indiqué qu’afin de se conformer aux ordonnances, il a affecté cinq membres à l’indexation des documents, et le dossier sera transféré à un parajuriste qui examinera les exclusions et à un analyste principal qui s’occupera de l’examen des documents en raison de leur nombre et de leur complexité.

Révision devant la Cour fédérale

Lorsqu’une allégation dans une plainte s’inscrit dans le cadre de l’alinéa 30(1)a), b), c), d), d.1) ou e) de la Loi, la partie plaignante a le droit d’exercer un recours en révision devant la Cour fédérale. Lorsque la Commissaire à l’information rend une ordonnance, l’institution a également le droit d’exercer un recours en révision. Quiconque exerce un recours en révision doit le faire dans un délai de 35 jours ouvrables suivant la date du présent compte rendu et doit signifier une copie de sa demande de révision aux parties intéressées, conformément à l’article 43. Si personne n’exerce de recours en révision dans ce délai, toute ordonnance rendue prend effet le 36e jour ouvrable suivant la date du présent compte rendu.

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