Pêches et Océans Canada (Re), 2021 CI 37
Date : 2022-01-06
Numéro de dossier du Commissariat : 3218-01365
Numéro de dossier de l’institution : A-2017-01222 /DSP
Sommaire
La partie plaignante allègue que le ministère des Pêches et des Océans (MPO) a erronément refusé de communiquer, en vertu de l’alinéa 20(1)b) (renseignements financiers, commerciaux, scientifiques ou techniques confidentiels de tiers), de l’alinéa 20(1)c) (pertes ou profits financiers d’un tiers) et de l’alinéa 18c) (renseignements scientifiques ou techniques obtenus de la recherche gouvernementale) de la Loi sur l’accès à l’information, des renseignements en réponse à une demande d’accès. Ceux-ci concernent le réovirus pisciaire, l’inflammation des muscles squelettiques et cardiaques, l’entreprise Creative Salmon Company Ltd. ou le syndrome de la jaunisse.
Le MPO n’a pu démontrer qu’il satisfaisait à la totalité des critères de ces exceptions. En ce qui concerne l’alinéa 18c), le MPO n’a pu démontrer que la divulgation des renseignements pourrait raisonnablement menacer les droits exclusifs des chercheurs du gouvernement d’être les premiers à publier les résultats de leur recherche.
En ce qui concerne l’alinéa 20(1)b), ni le MPO ni le tiers n’ont établi que les renseignements étaient des renseignements confidentiels fournis par le tiers. Ils n’ont pas non plus établi que, dans une mesure raisonnable, la communication des renseignements en cause pourrait entraîner des pertes ou des profits financiers appréciables pour le tiers ou nuirait à sa compétitivité, suivant l’alinéa 20(1)c).
La Commissaire à l’information a recommandé au MPO de communiquer les renseignements en cause dans leur intégralité, sauf les renseignements personnels n’ayant pas été divulgués en vertu du paragraphe 19(1).
Le MPO a avisé la Commissaire qu’il donnerait suite aux recommandations.
La plainte est fondée.
Plainte
[1] La partie plaignante conteste la décision du ministère des Pêches et des Océans (MPO) de refuser de communiquer, en vertu de la Loi, des renseignements en réponse à une demande d’accès. Cette dernière visait à obtenir des copies de toutes les communications, durant une période donnée, entre certains employés nommés du MPO et la Fondation du saumon du Pacifique et/ou des communications envoyées ou reçues par un employé nommé du MPO concernant le réovirus pisciaire, l’inflammation des muscles squelettiques et cardiaques, l’entreprise Creative Salmon Company Ltd. ou le syndrome de la jaunisse. Le MPO a refusé de communiquer des parties des documents demandés suivant l’article 14 (affaires fédérales-provinciales), le paragraphe 16(2) (faciliter la perpétration d’une infraction), le paragraphe 19(1) (renseignements personnels), l’alinéa 20(1)b) (renseignements financiers, commerciaux, scientifiques ou techniques confidentiels de tiers), l’alinéa 20(1)c) (pertes ou profits financiers d’un tiers), l’alinéa 21(1)a) (avis ou recommandations), l’alinéa 21(1)b) (comptes rendus de consultations ou délibérations), l’article 23 (secret professionnel de l’avocat et privilège relatif à un litige) et l’article 68 (documents publiés).
[2] Au cours de l’enquête, la partie plaignante a informé le Commissariat à l’information que l’enquête devrait se limiter au refus du MPO de communiquer les renseignements contenus dans une ébauche de rapport et une ébauche de manuscrit, aux pages 63 à 66, 69 à 71, 73 à 130, 264 à 266 et 268 à 292 des documents pertinents (« les renseignements en cause »), suivant les alinéas 20(1)b) et 20(1)c) de la Loi. Toutefois, à la suite d’une déclaration supplémentaire faite par le MPO selon laquelle ces renseignements devaient également être caviardés en vertu de l’alinéa 18c) (renseignements scientifiques ou techniques obtenus de la recherche gouvernementale), le Commissariat a aussi inclus dans son enquête le refus du MPO de donner accès aux documents suivant cette exception supplémentaire. Dans le cadre de l’enquête, le Commissariat ne s’est pas penché sur le refus du MPO de communiquer des renseignements personnels en vertu du paragraphe 19(1).
Enquête
Alinéa 18c) : renseignements scientifiques ou techniques obtenus de la recherche gouvernementale
[3] L’alinéa 18c) permet aux institutions de refuser de communiquer des renseignements scientifiques ou techniques provenant de la recherche gouvernementale qui, s’ils étaient divulgués, pourraient compromettre la possibilité pour les chercheurs du gouvernement de publier leurs résultats en premier.
[4] Pour invoquer cette exception, les institutions doivent démontrer ce qui suit :
- les renseignements sont scientifiques ou techniques;
- les renseignements ont été obtenus grâce à la recherche d’un employé ou d’un cadre du gouvernement;
- la divulgation des renseignements pourrait menacer les droits exclusifs des chercheurs du gouvernement d’être les premiers à publier les résultats de leur recherche;
- il y a une attente raisonnable que ce préjudice puisse être causé; l’attente doit être bien au-delà d’une simple possibilité.
[5] Lorsque ces critères sont satisfaits, les institutions doivent alors exercer raisonnablement leur pouvoir discrétionnaire pour décider de communiquer ou non les renseignements.
L’information satisfait-elle aux critères de l’exception?
[6] Le MPO s’est basé sur l’alinéa 18c), ainsi que les alinéas 20(1)b) et 20(1)c), pour refuser de communiquer :
- des parties d’une ébauche de rapport final (« ébauche du rapport de projet final »);
- la quasi-totalité d’une ébauche de manuscrit (« ébauche du manuscrit ») et une copie supplémentaire de certains tableaux et chiffres qui y sont liés.
[7] Ces documents ont été préparés dans le cadre d’une entente datant de juillet 2011 entre l’État et un tiers, Creative Salmon Ltd., pour un projet de recherche collaboratif sur la « Caractérisation génomique de la mortalité liée à la jaunisse chez le saumon quinnat d’élevage » (« l’entente »).
[8] En examinant les renseignements en cause et en tenant compte des observations reçues, je suis d’avis qu’au moins la majorité des renseignements sont à la fois de nature scientifique et obtenus grâce à la recherche d’un employé du gouvernement, ce qui satisfait aux deux premiers critères de l’alinéa 18c). Je ne suis toutefois pas d’avis que les autres critères de l’alinéa 18c) sont satisfaits.
[9] Bien que l’entente et d’autres documents rassemblés au cours de l’enquête du Commissariat établissent que des versions définitives du rapport de projet final et du manuscrit devaient initialement être publiées, ces mêmes documents laissent entrevoir un doute sérieux quant à la question de savoir s'il existait une intention continue de les publier au moment où la demande d’accès a été envoyée au MPO. Ce doute semble être appuyé par le fait que, lorsqu’il a initialement répondu à la demande, le MPO n’a pas mentionné l’alinéa 18c) pour justifier son refus de communiquer les renseignements en cause.
[10] L’entente, qui devait expirer le 31 juillet 2012 ou avant, mentionne le rapport de projet final comme livrable et ajoute que [traduction] « le respect des échéances » est [traduction] « un facteur essentiel pour tous les livrables […] ». Un manuscrit devait ensuite être préparé à la fin du projet en fonction du rapport de projet final.
[11] Selon les renseignements que le MPO a fournis, les premières ébauches du rapport de projet final et du manuscrit ont été distribuées le 17 avril 2012 et le 4 avril 2014, respectivement. Néanmoins, au moment de la réception de la demande d’accès par le MPO, soit le 22 mars 2018, aucune version définitive de ces documents n’avait été approuvée.
[12] Dans l’entente, y compris dans les modalités concernant la propriété intellectuelle, la confidentialité et la publication, aucune restriction apparente n’est appliquée à la communication et/ou à la publication du rapport de projet final, du manuscrit ou de leurs ébauches, sans l’accord ou le consentement de Creative Salmon Ltd. Toutefois, plus de neuf ans après la distribution de la première ébauche du rapport de projet final et plus de sept ans après celle du manuscrit, rien ne porte à croire que le travail en vue de leur approbation et/ou de leur publication a avancé.
[13] Le Commissariat n’a reçu aucun élément de preuve d’une intention continue de publier une version définitive du rapport de projet final ou du manuscrit. Il a encore moins reçu d’éléments de preuve étayant l’affirmation selon laquelle la communication des renseignements en cause pourrait raisonnablement menacer les droits exclusifs des chercheurs du gouvernement d’être les premiers à publier les résultats de leur recherche.
[14] Le Manuel de l’accès à l’information du Secrétariat du Conseil du Trésor mentionne que, pour que des renseignements puissent faire l’objet d’une exception suivant l’alinéa 18c), l’institution doit établir que « le cadre ou l’employé [travaille] activement à la recherche et [prévoit], dans une mesure raisonnable, la publication des résultats ». En l’espèce, je ne suis pas convaincue que ce soit le cas.
[15] En l’absence d’observations et d’éléments de preuve qui appuieraient l’idée que se poursuit le travail actif de recherche dont la communication, selon le MPO, pourrait priver le cadre ou l’employé de sa priorité de publication, le MPO n’a pas établi que le troisième critère de l’alinéa 18c) est satisfait. Il n’a pas non plus réussi à établir un lien clair et direct entre la communication des renseignements en cause et un risque de préjudice qui est bien au-delà d’une simple possibilité. [Merck Frosst Canada Ltée c. Canada (Santé), 2012 CSC 3, para 197, 206]
En supposant que les renseignements satisfont aux critères de l’exception, l’institution a-t-elle raisonnablement exercé son pouvoir discrétionnaire?
[16] Comme le MPO n’a pas établi que les renseignements en cause étaient visés à l’alinéa 18c), il n’était pas nécessaire pour moi d’approfondir la question de savoir s’il a raisonnablement exercé son pouvoir discrétionnaire au moment de refuser la communication. Je constate cependant que le MPO n’a présenté aucune observation concernant son pouvoir discrétionnaire relatif à la communication de renseignements visés à l’alinéa 18c). Il n’a pas non plus expliqué comment il a raisonnablement exercé son pouvoir discrétionnaire en tenant compte de tous les facteurs pertinents.
[17] Ainsi, même si le MPO avait établi que les renseignements en cause sont visés à l’alinéa 18c), ce qui n’est pas le cas, il n’aurait toujours pas établi que son refus de donner accès aux documents suivant cette exception était ou continuait d’être justifié.
Alinéa 20(1)b)
[18] L’alinéa 20(1)b) exige que les institutions refusent de communiquer des renseignements financiers, commerciaux, scientifiques ou techniques confidentiels fournis à une institution fédérale par un tiers (c’est-à-dire une entreprise privée ou une personne, et non pas le demandeur d’accès).
[19] Pour invoquer cette exception, les institutions doivent démontrer ce qui suit :
- les renseignements sont financiers, commerciaux, scientifiques ou techniques;
- les renseignements sont de nature confidentielle;
- le tiers a fourni les renseignements à une institution fédérale;
- le tiers a toujours traité les renseignements comme étant confidentiels.
[20] Lorsque ces critères sont satisfaits et que le tiers auquel les renseignements se rapportent consent à leur divulgation, les institutions doivent alors exercer raisonnablement leur pouvoir discrétionnaire pour décider si elles doivent communiquer ou non les renseignements.
[21] De plus, les institutions doivent exercer raisonnablement leur pouvoir discrétionnaire pour décider de communiquer les renseignements pour des raisons de santé publique ou de sécurité publique, ou pour protéger l’environnement, lorsque les deux circonstances suivantes existent :
- la divulgation des renseignements serait dans l’intérêt public;
- l’intérêt public dans la divulgation est nettement supérieur à toute répercussion financière sur le tiers, à toute atteinte à la sécurité de ses ouvrages, réseaux ou systèmes, à sa compétitivité ou à toute entrave aux négociations contractuelles ou autres qu’il mène.
L’information satisfait-elle aux critères de l’exception?
[22] Comme il a été mentionné précédemment, le MPO a invoqué l’alinéa 20(1)b) pour refuser de communiquer les mêmes renseignements qui, selon lui, sont visés par l’exception énoncée à l’alinéa 18c).
[23] Selon les observations reçues et les renseignements recueillis au cours de l’enquête du Commissariat, je ne suis pas d’avis que chacun des critères de l’alinéa 20(1)b) est satisfait.
[24] Bien que j’accepte que les renseignements caviardés soient en majorité des « renseignements scientifiques », ce qui satisfait au premier critère de l’alinéa 20(1)b), ni le MPO ni Creative Salmon Ltd. n’ont établi que les autres critères nécessaires pour démontrer que cette exception est applicable étaient satisfaits.
[25] Le deuxième critère, à savoir que les renseignements sont « confidentiels », nécessite que ceux-ci :
- ne peuvent être obtenus de sources auxquelles le public a autrement accès;
- doivent avoir été transmis confidentiellement avec l’assurance raisonnable qu’ils ne seront pas divulgués;
- doivent être communiqués, que ce soit parce que la Loi l’exige ou parce qu’ils sont fournis gratuitement, dans le cadre d’une relation de confiance entre l’administration et la personne qui les fournit ou dans le cadre d’une relation qui n’est pas contraire à l’intérêt public, et que la communication des renseignements confidentiels doit favoriser cette relation dans l’intérêt public. [Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Bureau canadien d’enquête sur les accidents de transport et de la sécurité des transports), 2006 CAF 157, para 72].
[26] Bien qu’il n’y ait pas d’élément de preuve que les renseignements caviardés en vertu de l’alinéa 20(1)b) relèvent du domaine public, je ne suis pas d’avis que les renseignements en cause ont été transmis confidentiellement avec l’assurance raisonnable qu’ils ne seront pas divulgués.
[27] À cet égard, même si le MPO et Creative Salmon Ltd. ont affirmé que, en raison de l’entente, le rapport de projet final et le manuscrit doivent rester confidentiels jusqu’à ce qu’ils soient finalisés et publiés, aucun élément particulier de l’entente ne m’a été précisé à l’appui de cette affirmation.
[28] Par exemple, l’entente comprend bien une clause de confidentialité qui déclare que [traduction] « les données sur la technologie ou d’autres renseignements liés au projet sont considérés comme confidentiels », mais cette clause est assujettie à une clause conditionnelle qui affirme que :
[traduction]
[…] cette obligation de confidentialité ne s’applique pas à la partie qui possède la propriété intellectuelle de tels renseignements, et, dans le cas du MPO, cette obligation de confidentialité est assujettie à la législation régissant l’accès à l’information et la protection des renseignements personnels, y compris la Loi sur l’accès à l’information et la Loi sur la protection des renseignements personnels.
[29] En ce qui concerne la possession de la propriété intellectuelle (PI), l’entente prévoit, entre autres, que :
[traduction]
[…] les matériaux et les organismes biologiques qui découlent de la présente entente, qui sont acquis dans le cadre de celle-ci et qui sont produits en raison d’elle appartiennent au ministre;
[…] la PI découlant de la recherche [c.-à-d. la recherche et d’autres activités dans le cadre de l’entente et toute partie de cette PI] qui est créée, développée ou produite par des employés du MPO dans le cadre de leur emploi ou à laquelle des employés du MPO contribuent par leurs conseils ou leurs indications appartiennent au Canada, sous le contrôle et l’administration du ministre.
[30] Sans observations ni explications convaincantes portant à croire autrement, ces modalités suggèrent que la PI découlant de la recherche de l’État aux termes de l’entente est exceptionnellement vaste.
[31] Aucune modalité de l’entente concernant la publication ne semble restreindre la divulgation ou la publication de la PI découlant de la recherche d’une partie. En ce qui concerne les [traduction] « autres renseignements produits en raison de l’entente », les modalités de l’entente prévoient seulement que la partie voulant les divulguer et/ou les publier doit donner l’occasion à l’autre partie de les examiner et de demander qu’ils ne soient pas divulgués. Néanmoins, toute demande de refus de divulgation ne peut dépasser une durée d’un an.
[32] Les modalités de l’entente et les éléments de preuve fournis au Commissariat suggèrent donc seulement que :
- les ébauches du rapport de projet final et du manuscrit sont la PI du gouvernement du Canada;
- la clause de confidentialité ne s’applique pas à cette PI et n’empêche pas la Loi sur l’accès à l’information de s’appliquer;
- rien n’interdit au MPO de divulguer les renseignements en cause ou n’en restreint la divulgation.
[33] À la lumière de ce qui précède, il n’a pas été établi que les renseignements en cause ont été transmis confidentiellement avec l’assurance raisonnable qu’ils ne seront pas divulgués.
[34] Comme il a été mentionné précédemment, l’exigence finale nécessaire pour établir objectivement la confidentialité est que les renseignements doivent être communiqués dans le cadre d’une relation de confiance entre l’administration et la personne qui les fournit ou dans le cadre d’une relation qui n’est pas contraire à l’intérêt public, et que la communication des renseignements confidentiels doit favoriser cette relation dans l’intérêt public. Le MPO a seulement affirmé que ce critère était satisfait. Pour sa part, Creative Salmon Ltd. a déclaré que :
[traduction]
[…] les tiers seront dissuadés de participer à des projets de recherche du genre si leur PI peut être exploitée et dévoilée avant d’être publiée. Une telle situation découragerait d'autres projets de recherche, ce qui nuirait à l’innovation et au développement et contredirait l’un des objectifs de la Loi.
[35] Cette observation n’a toutefois pas été étayée par des explications convaincantes précisant lesquels des renseignements en cause étaient la PI de Creative Salmon Ltd. et/ou lesquels pouvaient faciliter l’« exploitation » de sa PI et dissuader ainsi d’autres organisations de participer à des projets du genre.
[36] Je ne suis pas d’avis que le MPO ou Creative Salmon Ltd. a établi que les renseignements en cause ont été communiqués dans le cadre d’une relation qui favorise l’intérêt public en maintenant la confidentialité.
[37] Pour ce qui est du troisième critère de l’alinéa 20(1)b), que le tiers a fourni les renseignements à une institution fédérale, la jurisprudence ayant trait à la Loi a régulièrement fait la distinction entre des renseignements fournis par un tiers et des observations indépendantes qui ont été faites selon des renseignements qui ont été fournis [voir, p. ex. : Merck Frosst Canada Ltée c. Canada (Santé), 2012 CSC 3, aux para 152 à 158; Hibernia Management and Development Company Ltd. c. Office Canada-Terre-Neuve-et-Labrador des hydrocarbures extracôtiers et Commissaire à l’information du Canada, 2012 CF 417].
[38] Conformément à la jurisprudence, bien que les ébauches du rapport de projet final et du manuscrit aient peut-être été préparées grâce aux échantillons de poisson et aux données de Creative Salmon Ltd., je ne suis pas d’avis que la teneur des ébauches du rapport de projet final et du manuscrit consiste en des renseignements que Creative Salmon Ltd. a fournis. En l’absence d’observations convaincantes et corroborées par des éléments de preuve solides qui désigneraient clairement dans le rapport de projet final et le manuscrit les renseignements directement fournis par Creative Salmon Ltd. au MPO et produits sans contribution de ce dernier, je conclus que le troisième critère nécessaire pour démontrer l’application de l’alinéa 20(1)b) n’est pas non plus satisfait.
[39] En ce qui concerne le dernier critère de l’alinéa 20(1)b), Creative Salmon Ltd. a affirmé dans ses observations que les renseignements ont toujours été traités comme confidentiels. Je n’ai pas de raison de remettre en question cette affirmation, mais le refus de communiquer les renseignements en vertu de l’alinéa 20(1)b) n’est possible que si tous les autres critères mentionnés précédemment ont été satisfaits.
[40] Il n’a pas été établi que les renseignements en cause satisfont à chacun des critères de l’alinéa 20(1)b). Je ne peux donc accepter que leur communication puisse être refusée suivant cette exception.
Alinéa 20(1)c) : pertes ou profits financiers d’un tiers
[41] L’alinéa 20(1)c) exige que les institutions refusent de communiquer des renseignements dont la communication risquerait vraisemblablement d’avoir une incidence financière importante sur un tiers (c’est-à-dire une entreprise privée ou un particulier, et non pas le demandeur d’accès) ou de nuire à sa compétitivité.
[42] Pour invoquer cette exception relativement aux pertes ou profits financiers d’un tiers, les institutions doivent démontrer ce qui suit :
- la divulgation des renseignements pourrait causer des pertes ou profits financiers appréciables pour le tiers;
- il y a une attente raisonnable que ce préjudice puisse être causé; l’attente doit être bien au-delà d’une simple possibilité.
[43] Pour invoquer cette exception relativement à la compétitivité, les institutions doivent démontrer ce qui suit :
- la divulgation des renseignements pourrait nuire à la compétitivité du tiers;
- il y a une attente raisonnable que ce préjudice puisse être causé; l’attente doit être bien au-delà d’une simple possibilité.
L’information satisfait-elle aux critères de l’exception?
[44] Comme il a été mentionné précédemment, l’alinéa 20(1)c) a aussi été invoqué pour refuser de communiquer tous les renseignements qui seraient visés par les exceptions énoncées aux alinéas 18c) et 20(1)b).
[45] Ni le MPO ni Creative Salmon Ltd. n’ont établi qu’il existait une attente raisonnable, bien au-delà d’une simple possibilité, que la communication des renseignements en cause puisse causer les prétendus préjudices.
[46] Les observations du MPO à l’appui de son refus de communiquer les renseignements en cause en vertu de l’alinéa 20(1)c) se sont limitées à de prétendus préjudices qui découleraient du fait de ne plus pouvoir publier la recherche. Selon le MPO, la publication bénéficierait aux créateurs de la recherche, notamment pour ce qui est de l’accès futur à du financement provenant de diverses sources et alloué en fonction des publications précédentes et de l’amélioration de la réputation professionnelle et du respect qu’entraînent les découvertes et les publications scientifiques. Ainsi, dans une mesure raisonnable, une communication avant la publication pourrait [traduction] « priver par la suite les créateurs de la recherche de financement [provenant de diverses sources] au profit de ceux qui obtiennent les renseignements et utilisent les résultats dans leur travail en ne mentionnant pas nécessairement leur source ».
[47] Ces observations sont loin d’être suffisantes pour établir le risque de préjudice décrit à l’alinéa 20(1)c). Comme il a été mentionné à la section portant sur l’alinéa 18c), le MPO n’a pas réussi à établir une intention toujours continue de publier la recherche et/ou un risque toujours existant de compromettre le droit de première publication des résultats scientifiques. Ainsi, il ne peut pas non plus établir de lien clair et direct entre la communication des renseignements en cause et des pertes ou des profits financiers appréciables pour Creative Salmon Ltd. entraînés par la perte des avantages liés à la publication de la recherche. C’est sans oublier qu’il n’a pas non plus établi le fait qu’un tel préjudice est attendu dans une mesure raisonnable et donc bien au-delà d’une simple possibilité.
[49] Tout comme les observations du MPO, celles-ci sont loin d’être suffisantes pour satisfaire aux critères de l’alinéa 20(1)c). Creative Salmon Ltd. n’a pas expliqué, et encore moins d’une manière convaincante étayée d’éléments de preuve, comment les prétendus préjudices pourraient raisonnablement se produire, dans une mesure raisonnable, au point d’être bien au-delà d’une simple possibilité.
[50] À la lumière de ce qui précède, ni le MPO ni Creative Salmon Ltd. n’ont établi, dans une mesure raisonnable, que la communication des renseignements en cause pourrait entraîner des pertes ou des profits financiers appréciables pour Creative Salmon Ltd. ou nuirait à sa compétitivité, ce qui est nécessaire pour invoquer l’exception énoncée à l’alinéa 20(1)c). Ils n’ont démontré aucun lien clair et direct entre la communication des renseignements en cause et un risque de préjudice qui est bien au-delà d’une simple possibilité. [Merck Frosst Canada Ltée c. Canada (Santé), 2012 CSC 3, para 197, 206].
En supposant que les renseignements étaient visés aux alinéas 20(1)b) ou 20(1)c), l’institution a-t-elle raisonnablement exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu du paragraphe 20(6)?
[51] Bien qu’il n’ait pas été établi que les renseignements en cause sont visés aux alinéas 20(1)b) ou 20(1)c), s’ils l’avaient été, à mon avis, le MPO aurait dû considérer les communiquer suivant le paragraphe 20(6).
[52] Au cours de l’enquête, le MPO a rejeté l’idée que cette disposition s’appliquait en affirmant ce qui suit :
[traduction]
[…] aucun des renseignements dont la communication a été refusée en vertu de l’article 20 ne pourrait raisonnablement concerner la santé ou la sécurité publique ou la protection de l’environnement. Les renseignements consistent en une étude scientifique et des mesures en laboratoire de la jaunisse au sein d’une population de saumons d’élevage en aquaculture. Ces poissons ont été élevés par [le tiers]; ils ne sont pas sauvages, n’ont jamais été vendus au public et ne représentent aucun risque pour l’environnement.
[53] Le MPO affirme que, comme les renseignements en cause portent sur l’étude et la mesure de la jaunisse au sein d’une population de saumons d’élevage, ils ne concernent pas la santé publique, la sécurité publique ou la protection de l’environnement. Cette affirmation est minée par des études scientifiques précédemment publiées, dont deux corédigées par le responsable du projet et auteur principal du rapport de projet final et du manuscrit. Ces études concluent, entre autres, que les niveaux élevés de réovirus pisciaire (RVP) détectés dans les élevages de saumons entraînent un risque plus que minimal d’exposition à la maladie pour le saumon quinnat migrateur (voir : https://www.psf.ca/news-media/prv-virus-may-cause-disease-chinook-salmon [en anglais seulement]). Elles indiquent également que, principalement en raison de la transmission en aquaculture, le RVP-1 est maintenant un agent infectieux important au sein des populations de saumons sauvages du Pacifique, qui sont en danger critique d’extinction (voir : https://advances.sciencemag.org/content/7/22/eabe2592 [en anglais seulement]).
[54] De même, plusieurs témoins ayant comparu récemment devant le Comité permanent des pêches et des océans ont mentionné les risques de maladie et de transfert d’organismes nuisibles que pose le saumon d’élevage pour le saumon sauvage. Le Comité a notamment recommandé, dans son rapport du 22 juin 2021 intitulé « Saumon du Pacifique : assurer la santé à long terme des populations sauvages et des pêches connexes », que :
[…] Pêches et Océans Canada améliore ses pratiques en matière de transparence des données, y compris en rendant l’information accessible au public sans devoir demander l’approbation de l’industrie ni des intervenants d’entreprise. (À la page 22 ici : https://www.noscommunes.ca/Content/Committee/432/FOPO/Reports/RP11345845/foporp05/foporp05-f.pdf)
[55] À la lumière de ce qui précède, si les renseignements en cause avaient été visés aux alinéas 20(1)b) et 20(1)c), le MPO aurait tout de même dû envisager la divulgation aux termes du paragraphe 20(6), en tenant compte de tous les facteurs pertinents.
Résultat
[56] La plainte est fondée.
Recommandations
Je recommande à la ministre des Pêches et des Océans ce qui suit :
- Communiquer les renseignements en cause dans leur intégralité, sauf les renseignements personnels que le MPO a refusé de communiquer en vertu du paragraphe 19(1) au moment de recevoir la demande;
- Envoyer une copie de la lettre de réponse au Greffe du Commissariat à l’information par courriel (Greffe‐Registry@oic‐ci.gc.ca).
Le 10 novembre 2021, j’ai transmis à la ministre des Pêches et des Océans mon rapport présentant mes recommandations.
Le 10 décembre 2021, le directeur du Secrétariat de l’accès à l’information et de la protection des renseignements personnels au MPO m’a avisée que l’institution donnerait suite à mes recommandations.
J’ai fait parvenir le présent compte rendu à Creative Salmon Ltd. Les institutions doivent se conformer aux dispositions du paragraphe 37(4) lorsqu’elles communiquent des documents en réponse à mes recommandations.
L’article 41 de la Loi confère à tous les destinataires du présent compte rendu, à l’exception de l’institution, le droit d’exercer un recours en révision devant la Cour fédérale. La partie plaignante doit exercer son recours en révision dans un délai de 35 jours ouvrables après la date du compte rendu. Si celle-ci n’exerce pas de recours, les tiers peuvent exercer un recours en révision dans les 10 jours ouvrables suivants. La personne qui exerce un recours en révision doit signifier une copie de sa demande de révision aux parties intéressées, conformément à l’article 43.