Service correctionnel Canada (Re), 2025 CI 2

Date : 2025-01-22
Numéro de dossier du Commissariat : 5821-01013
Numéro de dossier de l’institution : A-2017-00167/CCM 336867

Sommaire

La partie plaignante allègue que Service correctionnel Canada (SCC) a erronément refusé de communiquer des renseignements, en vertu du paragraphe 19(1) (renseignements personnels) et d’autres dispositions de la Loi sur l’accès à l’information, en réponse à une demande d’accès. Cette dernière vise à obtenir tous les dossiers de SCC et de la Commission des libérations conditionnelles du Canada concernant un détenu dont le nom a été précisé. L’allégation s’inscrit dans le cadre de l’alinéa 30(1)a) de la Loi.

Les documents contiennent des renseignements personnels hautement détaillés et sensibles concernant ce détenu et d’autres personnes. SCC a démontré qu’il satisfaisait à tous les critères du paragraphe 19(1) lorsqu’il a refusé de communiquer les renseignements. Il a entre autres démontré qu’il n’avait pas obtenu le consentement des personnes que les renseignements personnels concernent pour les communiquer ou qu’il avait décidé qu’il n’était pas approprié de le leur demander. De plus, il a démontré que les raisons d’intérêt public ne justifiaient pas une éventuelle violation de la vie privée. Par conséquent, SCC n’a pas eu besoin d’exercer son pouvoir discrétionnaire pour décider de communiquer ou non les renseignements. La plainte est non fondée.

Plainte

[1]      La partie plaignante allègue que Service correctionnel Canada (SCC) a erronément refusé de communiquer des renseignements en vertu des dispositions suivantes de la Loi sur l’accès à l’information, en réponse à une demande d’accès :

  • l’alinéa 13(1)c) (renseignements confidentiels d’organismes gouvernementaux);
  • l’alinéa 14a) (affaires fédérales-provinciales);
  • l’alinéa 16(1)c) (application des lois ou déroulement d’enquêtes);
  • l’alinéa 16(1)d) (sécurité des établissements pénitentiaires);
  • le paragraphe 19(1) (renseignements personnels);
  • l’alinéa 20(1)b) (renseignements financiers, commerciaux, scientifiques ou techniques confidentiels de tiers);
  • l’alinéa 21(1)a) (avis ou recommandations);
  • l’alinéa 21(1)b) (comptes rendus de consultations ou de délibérations);
  • l’article 23 (secret professionnel de l’avocat et privilège relatif à un litige);
  • l’alinéa 68a) (documents publiés ou mis en vente).  

[2]      La demande d’accès vise à obtenir tous les dossiers de SCC et de la Commission des libérations conditionnelles du Canada (CLCC) concernant un détenu dont le nom a été précisé.  

[3]      L’allégation s’inscrit dans le cadre de l’alinéa 30(1)a) de la Loi.

Enquête

[4]      En réponse à la demande d’accès, SCC a informé la partie plaignante que plus de 11 000 pages de documents ont été récupérées, puis examinées. Parmi celles-ci, 149 pages de documents lui ont été communiquées dans leur intégralité. SCC a informé la partie plaignante que les autres pages n’ont pas été communiquées en vertu du paragraphe 19(1). Des sections des autres pages ont aussi fait l’objet d’un refus de communication en vertu des alinéas 14a), 68a), 13(1)c), 16(1)c), 16(1)d), 20(1)b), 21(1)a) et 21(1)b) ainsi que de l’article 23 de la Loi.

[5]      Lorsqu’une institution refuse de communiquer des renseignements en vertu d’une exception, il lui incombe de démontrer que ce refus est justifié.

Paragraphe 19(1) : renseignements personnels

[6]      Le paragraphe 19(1) exige que les institutions refusent de communiquer des renseignements personnels.

[7]      Pour invoquer cette exception, les institutions doivent démontrer ce qui suit :

  • les renseignements concernent une personne, c’est-à-dire un être humain, et non une société;
  • il y a de fortes possibilités que la divulgation de ces renseignements permette d’identifier cette personne;
  • les renseignements ne sont pas assujettis à une des exceptions prévues aux alinéas 3j) à 3m) de la Loi sur la protection des renseignements personnels applicables à la définition de « renseignements personnels » (p. ex. les coordonnées professionnelles des fonctionnaires).

[8]      Lorsque ces critères sont satisfaits, les institutions doivent alors se demander si les circonstances suivantes (énumérées au paragraphe 19(2)) existent :

  • la personne concernée par les renseignements consent à leur divulgation;
  • les renseignements sont accessibles au public;
  • la communication des renseignements serait conforme à l’article 8 de la Loi sur la protection des renseignements personnels.

[9]      Lorsqu’une ou plusieurs de ces circonstances existent, le paragraphe 19(2) de la Loi sur l’accès à l’information exige que les institutions exercent raisonnablement leur pouvoir discrétionnaire pour décider si elles doivent communiquer ou non les renseignements.

L’information satisfait-elle aux critères de l’exception?

[10]    Les documents en cause forment le dossier personnel de ce détenu. Il s’agit de rapports, de déclarations, de documentation, d’évaluations et de communications concernant ce détenu et d’autres personnes. Les documents contiennent des renseignements personnels hautement détaillés et sensibles.

[11]    Les observations de SCC ont démontré que les renseignements non communiqués en vertu du paragraphe 19(1) satisfont aux critères de l’exception, c’est-à-dire que les renseignements concernent des personnes, que leur divulgation pourrait permettre d’identifier ces personnes et qu’ils ne sont pas assujettis à l’une des exceptions prévues par la Loi sur la protection des renseignements personnels.

[12]    Je conclus que les renseignements non communiqués en vertu du paragraphe 19(1) satisfont aux critères de l’exception.

L’institution a-t-elle exercé raisonnablement son pouvoir discrétionnaire quant à sa décision de communiquer ou non l’information?

[13]    Étant donné que les renseignements satisfont aux critères du paragraphe 19(1), SCC devait exercer raisonnablement son pouvoir discrétionnaire en vertu du paragraphe 19(2) afin de décider de communiquer ou non les renseignements lorsqu’au moins l’une des circonstances décrites au paragraphe 19(2) existait au moment de la réponse.

[14]    SCC était tenu, en vertu de l’alinéa 19(2)a), de faire des efforts raisonnables pour demander le consentement des personnes dont les renseignements personnels figurent dans les documents. Si aucun effort n’a été fait en ce sens, SCC doit en expliquer les raisons, tout en démontrant qu’il était raisonnable de ne pas demander le consentement dans ces circonstances.

[15]    Au cours de l’enquête, SCC a confirmé qu’il a demandé le consentement du détenu dont le nom a été précisé dans la demande, mais qu’il ne l’a pas obtenu. Il a aussi donné des motifs concrets expliquant pourquoi il n’aurait pas été approprié de demander le consentement des autres personnes que les renseignements personnels concernent. Compte tenu de l’information dont le Commissariat dispose, il était raisonnable pour SCC de ne pas demander le consentement des autres personnes. Je conclus que les circonstances décrites à l’alinéa 19(2)a) n’existaient pas lorsque SCC a répondu à la demande d’accès.

[16]    En ce qui concerne l’alinéa 19(2)b), une institution doit prendre des mesures raisonnables pour décider si les renseignements personnels sont accessibles au public. Cependant, rien n’oblige l’institution à vérifier chaque source possible. (Commissaire à l’information c. Canada (Ressources naturelles), 2014 CF 917, au para 55).

[17]    En l’espèce, je suis d’avis qu’il était raisonnable pour SCC de ne pas avoir pris de mesures supplémentaires pour évaluer si l’un ou l’autre des renseignements en cause étaient accessibles au public, de manière à en permettre la communication. Cette conclusion repose sur la nature et la quantité de renseignements en cause ainsi que sur la complexité de toute recherche potentielle qu’il aurait été nécessaire d’effectuer. Par conséquent, je conclus que les circonstances décrites à l’alinéa 19(2)b) n’existaient pas lorsque SCC a répondu à la demande d’accès.

[18]    Finalement, le pouvoir discrétionnaire est aussi déclenché au titre de l’alinéa 19(2)c) lorsque la communication est conforme à l’article 8 de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Le paragraphe 8(2) de la Loi sur la protection des renseignements personnels prévoit les circonstances dans lesquelles les renseignements personnels qui relèvent d’une institution fédérale peuvent être communiqués, notamment lorsque, de l’avis du responsable de l’institution, des raisons d’intérêt public justifient nettement une éventuelle violation de la vie privée.

[19]    Le sous-alinéa 8(2)m)(i) de la Loi sur la protection des renseignements personnels permet la communication des renseignements lorsque les deux conditions suivantes sont remplies :

  • il existe un intérêt public quant à la communication des renseignements (c’est-à-dire que cet intérêt est supérieur à l’intérêt en matière de vie privée du demandeur quant à la communication des renseignements);
  • des raisons d’intérêt public justifieraient nettement une éventuelle violation de la vie privée.

[20]    La partie plaignante estimait que l’intérêt public était supérieur à tout intérêt en matière de vie privée qui pourrait exister. Les observations de SCC ont démontré qu’une autorité déléguée a tenu compte de l’intérêt public pour décider si elle doit communiquer ou non les renseignements personnels. SCC a fourni des motifs concrets — notamment les attentes en matière de vie privée des personnes, le caractère sensible des renseignements et les préjudices qui pourraient découler de leur communication — pour expliquer pourquoi il a finalement décidé que les raisons d’intérêt public dans la communication ne justifiaient pas nettement une éventuelle violation de la vie privée du détenu ou des autres personnes mentionnées dans les documents.

[21]    Le Commissariat a examiné la nature des renseignements en cause ainsi que les observations de SCC et de la partie plaignante. Je suis d’avis que SCC a fourni une explication suffisamment transparente et intelligible de sa décision, tel qu’il est indiqué dans l’affaire Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2019 CF 1279, para 92.

[22]    Qui plus est, dans l’affaire Fraser v. Canada (Public Safety and Emergency Preparedness), 2023 FCA 167, où il est question d’obtenir les documents de deux détenus, la Cour d’appel fédérale a reconnu que, lorsque l’étendue des renseignements personnels demandés par les appelants était évaluée par rapport à l’intérêt public dans la communication, [traduction] « il ne ressortait aucun intérêt public suffisamment important » pour justifier nettement une éventuelle violation de la vie privée (para 93).

[23]    Dans le cadre de sa demande d’accès, la partie plaignante a mentionné ce qui suit :

          [traduction]

Les principes constitutionnels relatifs à la transparence et à la publicité des débats judiciaires guident les décideurs dans l’exercice de leur pouvoir discrétionnaire en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels et de la Loi sur l’accès à l’information. Les documents demandés présentent un intérêt public impérieux et les principes constitutionnels énoncés ci-dessous sont particulièrement pertinents pour établir que l’intérêt public dans la communication est nettement supérieur à tout intérêt avancé en matière de vie privée […] Il n’existe aucun principe qui permette d’établir une distinction juridique entre une instance judiciaire devant un tribunal et une instance judiciaire devant la CLCC, peu importe la façon dont ces instances sont caractérisées […] Selon le droit constitutionnel et le droit législatif, toutes les instructions judiciaires doivent être accessibles au public […] Toute restriction en matière d’accès aux renseignements demandés a pour effet de restreindre la liberté d’expression de nos clients, qui est protégée et garantie en vertu de l’alinéa 2b) de la Charte.  

[24]    Dans l’affaire Fraser v. Canada (Public Safety and Emergency Preparedness), 2023 FCA 167, la Cour d’appel fédérale a reconnu que le principe de la publicité des débats ne s’applique pas à SCC ou à la CLCC parce que ces derniers ne sont pas des tribunaux administratifs (paras 55, 61 et 62). Elle a aussi conclu que les demandeurs n’ont pas été privés de la possibilité d’exprimer leur point de vue en vertu de l’alinéa 2b) de la Charte, étant donné qu’ils avaient eu accès aux audiences de la CLCC, aux enregistrements audio de ces audiences et aux décisions de la CLCC (para 93).

[25]    Je conclus que les circonstances décrites à l’alinéa 19(2)c) n’existaient pas lorsque SCC a répondu à la demande d’accès.

[26]    Il n’est pas nécessaire d’examiner la question du pouvoir discrétionnaire, car aucune des circonstances décrites aux alinéas 19(2)a), b) et c) n’existait lorsque SCC a répondu à la demande d’accès.

[27]    Puisque les renseignements en cause satisfont aux critères du paragraphe 19(1), le Commissariat n’a pas examiné l’application, par SCC, des alinéas 14a), 68a), 13(1)c), 16(1)c), 16(1)d), 20(1)b), 21(1)a) et 21(1)b) ainsi que de l’article 23 pour refuser la communication des mêmes renseignements.

Résultat

[28]    La plainte est non fondée.

Lorsqu’une allégation dans une plainte s’inscrit dans le cadre de l’alinéa 30(1)a), b), c), d), d.1) ou e) de la Loi, la partie plaignante a le droit d’exercer un recours en révision devant la Cour fédérale. La partie plaignante doit exercer ce recours en révision dans un délai de 35 jours ouvrables après la date du compte rendu et doit signifier une copie du recours en révision aux parties intéressées, conformément à l’article 43.

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