Services partagés Canada (Re), 2024 CI 72
Date : 2024-11-15
Numéro de dossier du Commissariat : 5824-00645
Numéro de la demande d’accès : A-2024-00014
Sommaire
La partie plaignante allègue que la prorogation de délai prise par Services partagés Canada (SPC), en vertu du paragraphe 9(1) de la Loi sur l’accès à l’information, pour répondre à une demande d’accès est déraisonnable. La demande vise tous les documents concernant la préparation de documents d’invitation à soumissionner, les approbations et les décisions de SPC pour la période du 1er janvier 2020 au 8 avril 2024. L’allégation s’inscrit dans le cadre de l’alinéa 30(1)c) de la Loi.
La Commissaire à l’information a conclu que le chiffre utilisé comme référence par SPC pour évaluer combien des 15 000 pages de documents pertinents prévues il était possible de traiter durant un mois (500 pages) était déraisonnable. Elle était également en désaccord avec la décision de prendre en considération les retards prévus en raison des problèmes avec ATIP Express, le nouveau logiciel d’accès de SPC, pour déterminer la durée de la prorogation. Bien qu’elle reconnaisse les difficultés de l’institution, la Commissaire a fait remarquer que la mise en œuvre d’un nouveau logiciel ne devrait pas affecter outre mesure les droits des personnes qui présentent des demandes d’accès. Les institutions doivent s’assurer que les logiciels font l’objet d’essais rigoureux et comprennent les caractéristiques nécessaires pour faciliter un accès rapide avant d’être mis en œuvre, puisqu’un mauvais fonctionnement de la technologie peut nuire à l’efficacité et, par conséquent, entraîner des retards. Comme le Secrétariat du Conseil du Trésor a approuvé l’utilisation d’ATIP Express par les institutions et ce logiciel a une incidence sur l’application de la Loi, la Commissaire entend surveiller étroitement son rendement afin de voir si les problèmes existants sont réglés ou si de nouveaux surviennent.
La Commissaire conclut que la prorogation de délai est déraisonnable. Elle a ordonné à SPC de fournir des communications provisoires tous les trois mois ainsi qu’une réponse complète à la demande d’accès au plus tard le 30 septembre 2025. Le président de Services partagés Canada a avisé la Commissaire qu’il donnerait suite aux ordonnances.
La plainte est fondée.
Plainte
[1] La partie plaignante allègue que la prorogation de délai prise par Services partagés Canada (SPC), en vertu du paragraphe 9(1) de la Loi sur l’accès à l’information, pour répondre à une demande d’accès est déraisonnable. La demande vise tous les documents que possède SPC ou qui relèvent de celui-ci concernant la préparation de documents d’invitation à soumissionner, les approbations et les décisions de SPC pour la période du 1er janvier 2020 au 8 avril 2024.
[2] L’allégation s’inscrit dans le cadre de l’alinéa 30(1)c) de la Loi.
Enquête
Délais pour répondre aux demandes d’accès
[3] L’article 7 exige que les institutions répondent aux demandes d’accès dans un délai de 30 jours, à moins qu’elles aient transmis la demande à une autre institution ou pris une prorogation de délai valide parce qu’elle satisfait aux critères de l’article 9.
[4] Le 8 avril 2024, SPC a reçu la demande d’accès. Le 7 mai 2024, SPC a avisé la partie plaignante qu’il lui faudrait 750 jours supplémentaires, en vertu des alinéas 9(1)a) et 9(1)c), pour finir de traiter la demande. Si cette prorogation était valide, la nouvelle échéance serait le 28 mai 2026.
Prorogations de délai
Alinéa 9(1)a) : prorogation du délai en raison de la quantité de documents
[5] L’alinéa 9(1)a) permet aux institutions de proroger le délai de 30 jours dont elles disposent pour répondre à une demande d’accès lorsqu’elles peuvent démontrer ce qui suit :
- la demande vise un grand nombre de documents ou nécessite que l’institution fasse des recherches parmi un grand nombre de documents;
- l’observation du délai entraverait de façon sérieuse leur fonctionnement;
- la prorogation de délai doit être d’une période que justifient les circonstances.
L’institution a-t-elle démontré qu’elle satisfaisait aux critères de l’alinéa 9(1)a)?
La demande d’accès vise-t-elle un grand nombre de documents?
[6] SPC a avisé le Commissariat à l’information qu’au moment où le délai a été prorogé, il avait conclu qu’il recevrait plus de 12 000 pages de documents pertinents dans le cadre de la demande.
[7] SPC a donc démontré que la demande vise un grand nombre de documents.
L’observation du délai entraverait-elle de façon sérieuse le fonctionnement de l’institution?
[8] Au cours de son enquête, le Commissariat a été informé que le nouveau logiciel de gestion et de traitement a eu une incidence sur l’examen des documents, particulièrement en ce qui concerne la détection de documents en double et les limites de la fonction de recherche. SPC a expliqué que ces problèmes ont eu des répercussions sur la capacité de déterminer le nombre de tiers qu’il faudrait potentiellement consulter. Dans ses observations, SPC a aussi indiqué que la capacité de déterminer l’état du processus d’examen n’est actuellement pas automatisée et, par conséquent, SPC a dû compter manuellement les pages examinées jusqu’à présent. SPC a organisé des rencontres avec le fournisseur du logiciel, à la suite desquelles de nombreuses pages en double ont été détectées et supprimées. SPC a indiqué que le nombre de documents devant être examinés a été réduit à 6 800 pages.
[9] De plus, lors du calcul de la prorogation de 750 jours, SPC a aussi tenu compte du temps requis pour que l’analyste, le chef d’équipe et le directeur adjoint examinent les documents.
[10] SPC a donc démontré que le fait de rechercher et de traiter autant de documents en plus de répondre à la demande d’accès dans un délai de 30 jours—pour autant que cela soit possible—aurait entravé de façon sérieuse son fonctionnement.
La prorogation de délai est-elle d’une période que justifient les circonstances?
[11] SPC a pris une prorogation de délai de 750 jours en vertu de l’alinéa 9(1)a). Il a pris en considération les facteurs suivants pour expliquer la durée de la prorogation :
- le nombre de documents pertinents dans le cadre de la demande a été initialement estimé à 12 000 pages, puis à 15 455 pages;
- le temps requis pour que trois niveaux hiérarchiques examinent les documents : analyste, chef d’équipe et directeur adjoint;
- les retards potentiels liés à la mise en œuvre d’un nouveau logiciel.
[12] Bien que la demande vise un nombre relativement élevé de documents, et qu’une prorogation soit nécessaire pour les examiner et fournir une réponse complète à la demande d’accès, SPC n’a pas démontré en quoi une prorogation de délai aussi longue que 750 jours, en vertu de l’alinéa 9(1)a), est justifiée dans les circonstances.
[13] Plus précisément, bien que je reconnaisse que SPC ait eu des difficultés en raison de la mise en œuvre du nouveau logiciel ATIP Express, cela ne devrait pas affecter outre mesure le droit de recevoir une réponse en temps opportun de la personne qui a fait la demande.
[14] En outre, bien que la demande vise un grand nombre de documents, le Commissariat reconnaît que chaque plainte est unique et les examine au cas par cas. Par conséquent, le Commissariat ne prescrit aucune ligne directrice ni aucun nombre de pages précis à traiter par mois.
[15] En l’espèce, compte tenu des circonstances propres au dossier, je conclus que le chiffre de 500 pages utilisé comme référence par SPC n’était pas raisonnable. Comme SPC n’a pas démontré que la prorogation de délai prise en vertu de l’alinéa 9(1)a) était raisonnable, il n’est pas nécessaire que le Commissariat fasse enquête sur la prorogation de délai que SPC a prise en vertu de l’alinéa 9(1)c).
Paragraphe 10(3) : présomption de refus
[16] Suivant le paragraphe 10(3), lorsque les institutions ne répondent pas à une demande d’accès dans le délai de 30 jours prescrit ou à la fin d’une prorogation de délai valide, elles sont réputées avoir refusé de communiquer les documents demandés.
[17] Comme SPC n’a pas démontré que la prorogation de délai était raisonnable, je conclus qu’il est réputé avoir refusé de communiquer les documents demandés, suivant le paragraphe 10(3).
[18] Avant de répondre à la demande, SPC a indiqué que des consultations avec des tiers pourraient être requises une fois l’examen des documents terminé. Les articles 27 et 28 de la Loi prévoient un processus selon lequel les institutions donnent aux tiers la possibilité de présenter des observations.
[19] Bien que je reconnaisse que, dans certaines circonstances, il peut être approprié qu’une institution en consulte une autre, c’est à SPC qu’il incombe de veiller à ce que le processus de consultation ne retarde pas indûment l’accès.
[20] En outre, dans ses observations, SPC a indiqué qu’une courbe d’apprentissage était prévue durant la mise en œuvre du nouveau logiciel d’accès, ce qui aurait une incidence sur l’examen des documents. SPC a aussi expliqué que le nouveau système ne comportait pas de fonction de recherche, ne permettait pas d’indiquer les doubles et n’indiquait pas le nombre total de pages dans la demande ou le nombre de pages examinées.
[21] Bien que je reconnaisse l’importance de moderniser les logiciels d’AIPRP, particulièrement dans le contexte du monde numérique, il est crucial que ces mises à jour ne nuisent pas au droit d’accès. Il est essentiel que les institutions veillent à ce que leurs nouveaux logiciels de traitement de l’AIPRP aient fait l’objet d’essais rigoureux et qu’ils offrent les fonctions nécessaires pour faciliter l’accès en temps opportun. On sait que le déploiement de technologies qui ne sont pas mises au point peut mener à un manque d’efficacité qui amplifie le travail requis du personnel et à des retards, ce qui est contraire aux objectifs de la modernisation.
[22] En l’espèce, SPC a indiqué qu’il avait avisé le fournisseur que l’absence des fonctions en question empêchait d’analyser efficacement de gros dossiers comme celui en cause et a signalé avoir réglé un certain nombre de problèmes de traitement en collaboration avec le fournisseur. SPC a également communiqué avec le Secrétariat du Conseil du Trésor (SCT) ainsi que Services publics et Approvisionnement Canada concernant les nombreux problèmes liés au nouveau logiciel et les limites auxquelles il a été confronté. Comme il s’agit d’un nouveau logiciel approuvé par le SCT et qui a une incidence sur l’application de la Loi, j’entends surveiller étroitement son rendement afin de voir si les problèmes existants sont réglés ou si de nouveaux surviennent.
[23] Au cours de l’enquête, SPC a discuté de l’état d’avancement de la demande avec la partie plaignante et a indiqué qu’il croyait être en mesure de clore le dossier au plus tard le 30 septembre 2025. La partie plaignante a déclaré être d’accord avec cette échéance, sous réserve que des communications provisoires lui soient fournies. SPC a répondu qu’il prévoyait faire des communications provisoires tous les trois mois environ et la partie plaignante a accepté cette proposition.
[24] Compte tenu des points ci-dessus et du plan convenu concernant les réponses provisoires, j’estime que ce délai de réponse est raisonnable. Par conséquent, je conclus que SPC doit fournir une réponse sans tarder, mais au plus tard le 30 septembre 2025.
Résultat
[25] La plainte est fondée.
Ordonnance
J’ordonne au président de Services partagés Canada ce qui suit :
- fournir des réponses provisoires tous les trois mois;
- fournir une réponse complète à la demande d’accès au plus tard le 30 septembre 2025.
Rapport et avis de l’institution
Le 8 octobre 2024, j’ai transmis au président mon rapport dans lequel je présentais mon ordonnance.
Le 7 novembre 2024, le président m’a avisée qu’il donnerait suite à mes ordonnances.
Révision devant la Cour fédérale
Lorsqu’une allégation dans une plainte s’inscrit dans le cadre de l’alinéa 30(1)a), b), c), d), d.1) ou e) de la Loi, la partie plaignante a le droit d’exercer un recours en révision devant la Cour fédérale. Lorsque la Commissaire à l’information rend une ordonnance, l’institution a également le droit d’exercer un recours en révision. Quiconque exerce un recours en révision doit le faire dans un délai de 35 jours ouvrables suivant la date du présent compte rendu et doit signifier une copie de sa demande de révision aux parties intéressées, conformément à l’article 43. Si personne n’exerce de recours en révision dans ce délai, l’ordonnance prend effet le 36e jour ouvrable suivant la date du présent compte rendu.