Services publics et Approvisionnement Canada (Re), 2024 CI 08

Date : 2024-03-15

Numéro de dossier du Commissariat : 5820-02287

Numéro de dossier de l’institution : A-2019-00247

Sommaire

La partie plaignante allègue que Services publics et Approvisionnement Canada (SPAC) a erronément refusé de communiquer des renseignements en vertu de l’alinéa 18b) (négociations des institutions fédérales), du paragraphe 19(1) (renseignements personnels) et de l’alinéa 20(1)d) (négociations d’un tiers) de la Loi sur l’accès à l’information. La demande d’accès visait des documents relatifs à l’utilisation de langues autochtones dans le cadre des débats de la Chambre des communes. La plainte s’inscrit dans le cadre de l’alinéa 30(1)a) de la Loi.

SPAC a démontré que les tarifs journaliers satisfaisaient à tous les critères de l’alinéa 18b), mais n’a pas pu démontrer que les autres renseignements non communiqués satisfaisaient aux critères de l’alinéa 18b) ou de l’alinéa 20(1)d).

SPAC n’a pas démontré qu’il a pris en considération tous les facteurs pertinents et qu’il a raisonnablement exercé son pouvoir discrétionnaire en décidant de ne pas communiquer les tarifs journaliers.

La Commissaire à l’information a ordonné à SPAC de communiquer les renseignements qu’il avait refusé de communiquer en vertu des alinéas 18b) et 20(1)d), autres que les tarifs journaliers, et d’exercer de nouveau son pouvoir discrétionnaire quant à la décision de communiquer ou non les taux journaliser en vertu de l’alinéa 18b).

SPAC a avisé la Commissaire qu’il donnerait suite à l’ordonnance.

La plainte est fondée.

Plainte

[1]      La partie plaignante allègue que Services publics et Approvisionnement Canada (SPAC) a erronément refusé de communiquer des renseignements en vertu de l’alinéa 18b) (négociations des institutions fédérales), du paragraphe 19(1) (renseignements personnels) et de l’alinéa 20(1)d) (négociations d’un tiers) de la Loi sur l’accès à l’information. La demande d’accès visait des documents relatifs à l’utilisation de langues autochtones dans le cadre des débats de la Chambre des communes. La plainte s’inscrit dans le cadre de l’alinéa 30(1)a) de la Loi.

Enquête

[2]      Lorsqu’une institution refuse de communiquer des renseignements, y compris les renseignements des tiers, il incombe à ces tiers et/ou à l’institution de démontrer que ce refus est justifié.

[3]      Le 4 janvier 2024, SPAC a communiqué certaines estimations et un contrat dont il avait refusé la communication en vertu de l’alinéa 18b) et du paragraphe 19(1) lorsqu’il avait répondu à la demande d’accès. Il a maintenu son refus de communiquer les autres renseignements en vertu de l’alinéa 18b), du paragraphe 19(1) et de l’alinéa 20(1)d).

[4]      Au cours de l’enquête, la partie plaignante a indiqué qu’il n’était plus nécessaire que le Commissariat à l’information enquête sur l’application du paragraphe 19(1).

Alinéa 20(1)d) : négociations d’un tiers

[5]      L’alinéa 20(1)d) exige que les institutions refusent de communiquer des renseignements dont la divulgation risquerait vraisemblablement d’entraver les négociations contractuelles ou autres d’un tiers (c’est-à-dire une entreprise privée ou un particulier, et non pas le demandeur d’accès).

[6]      Pour invoquer cette exception, les institutions doivent démontrer ce qui suit :

  • un tiers mène ou mènera des négociations en vue de contrats ou à d’autres fins;
  • la divulgation des renseignements pourrait nuire à ces négociations;
  • il y a une attente raisonnable que ce préjudice puisse être causé; l’attente doit être bien au-delà d’une simple possibilité.

[7]      Lorsque ces critères sont satisfaits et que le tiers auquel les renseignements se rapportent consent à leur divulgation, le paragraphe 20(5) exige que les institutions exercent raisonnablement leur pouvoir discrétionnaire pour décider si elles doivent communiquer ou non les renseignements.

L’information satisfait-elle aux critères de l’exception?

[8]      SPAC a refusé de communiquer des renseignements relatifs à la prolongation et au renouvellement d’une entente de partenariat entre le Bureau de la traduction, Travaux publics et Services gouvernementaux, et les Services de l’information de la Chambre des communes, en vertu de l’alinéa 20(1)d).

[9]      Au cours de l’enquête, SPAC et la Chambre des communes ont eu l’occasion de présenter des observations. À cette fin, la Chambre des communes a reçu une copie des documents au sujet desquels SPAC invoquait l’alinéa 20(1)d), sauf un. Il s’agissait d’un courriel qui se trouvait aux pages 1890-1891 des documents pertinents, qui ne pouvait pas être communiqué à la Chambre des communes parce que SPAC affirmait aussi que ces pages ne devaient pas être communiquées en vertu de l’alinéa 18(1)b). Compte tenu de cette position, le Commissariat a fourni un sommaire des renseignements caviardés dans ces pages afin que la Chambre des communes soit en mesure de présenter des observations sur la communication des renseignements.

[10]    Je conviens que le premier critère de l’alinéa 20(1)d) est satisfait. Au moment de la réponse, SPAC et la Chambre des communes tenaient des négociations au sujet de l’entente de partenariat et il était prévu que ces négociations se poursuivent ultérieurement.

[11]    La Chambre des communes soutenait aussi qu’il était possible qu’il y ait des négociations avec des fournisseurs externes de services de traduction. Elle a indiqué que cette option avait été envisagée en 2022, mais qu’aucune autre démarche n’avait été faite à ce moment-là.

[12]    La Chambre des communes a réfuté l’idée que la relation entre elle et le Bureau de la traduction de SPAC est exclusive et protégée par la loi. Malgré le libellé du paragraphe 4(1) de la Loi sur le Bureau de la traduction, il semble y avoir une preuve à l’effet que cette relation n’est pas exclusive (voir, par exemple : https://www.noscommunes.ca/documentviewer/fr/44/bri/reunion-8/proces-verbal; https://www.noscommunes.ca/Content/Committee/421/LANG/Reports/RP8360007/langrp02/langrp02-f.pdf, page 16).

[13]    Bien que je convienne qu’il est possible que la Chambre des communes négocie des contrats avec des parties autres que le Bureau de la traduction, la preuve ne permet pas d’établir que, au moment de la réponse de l’institution en 2020, la Chambre des communes menait des négociations avec des parties externes ou s’attendait vraisemblablement à le faire. Par conséquent, les seules négociations en cours à ce moment-là étaient celles entre la Chambre des communes et SPAC.

[14]    Pour ce qui est du deuxième critère de l’alinéa 20(1)d), il n’a pas été établi que la communication des renseignements en cause pourrait entraver des négociations entre la Chambre des communes et SPAC. À part affirmer que la communication [traduction] « aurait pu avoir un effet paralysant sur les discussions en cours concernant les détails de l’entente sur les services de traduction », la Chambre des communes n’a fourni aucune preuve à cet effet. Bien que SPAC ait indiqué que la communication de certains renseignements [traduction] « pourrait permettre à une personne qui fait une demande de comprendre les discussions relatives aux négociations entre la Chambre et SPAC au sujet des services de traduction à fournir », SPAC n’a pas établi en quoi cela pourrait entraver les négociations.

[15]    La notion d’entraver, dans le contexte de l’alinéa 20(1)d), correspond au terme « interference » dans la version anglaise, lequel a été interprété par les tribunaux comme désignant le terme anglais « obstruction » [voir Blood Band c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), 2003 CF 1397, para 49; Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Ministre des Affaires extérieures), [1990] 3 F.C. 665 (F.C.T.D.), para 24-25]. La concurrence accrue découlant de la communication ne suffit pas pour que les critères de l’exception soient satisfaits [voir, par exemple : Fermes Burnbrae Limitée c. Canada (Agence canadienne d’inspection des aliments), 2014 CF 957].

[16]    Je conclus que les parties n’ont pas établi que la communication pourrait entraver des négociations contractuelles précises.

[17]    Enfin, ni SPAC ni la Chambre des communes n’ont établi que la communication pourrait vraisemblablement entraver les négociations. Comme la plupart des renseignements sembleraient inoffensifs et qu’aucune partie de ceux-ci en particulier ne pourrait vraisemblablement entraver des négociations, les observations reçues de la Chambre des communes et de SPAC ne suffisent pas pour appuyer l’application de l’exception.

[18]    Il convient également de noter que, en réponse à mon avis selon lequel j’avais l’intention d’ordonner la communication des renseignements susmentionnés, la Chambre des communes a indiqué qu’elle ne présenterait aucune autre observation et qu’elle se conformerait à mon ordonnance.

[19]    Je conclus que les renseignements ne satisfont pas aux critères de l’alinéa 20(1)d).

Alinéa 18b) : négociations des institutions fédérales

[20]    L’alinéa 18b) permet aux institutions de refuser de communiquer des renseignements dont la divulgation risquerait vraisemblablement de nuire à la compétitivité ou d’entraver des négociations contractuelles ou autres d’une institution fédérale.

[21]    Pour invoquer cette exception relativement à la compétitivité, les institutions doivent démontrer ce qui suit :

  • la divulgation de ces renseignements pourrait nuire à la compétitivité d’une institution fédérale;
  • il y a une attente raisonnable que ce préjudice puisse être causé; l’attente doit être bien au-delà d’une simple possibilité.

[22]    Pour invoquer cette exception relativement à l’entrave de négociations contractuelles ou autres, les institutions doivent démontrer ce qui suit :

  • des négociations contractuelles ou autres sont en cours ou seront menées ultérieurement;
  • la divulgation des renseignements pourrait nuire aux négociations;
  • il y a une attente raisonnable que ce préjudice puisse être causé; l’attente doit être bien au-delà d’une simple possibilité.

[23]    Lorsque ces critères sont satisfaits, les institutions doivent alors exercer raisonnablement leur pouvoir discrétionnaire pour décider de communiquer ou non les renseignements.

L’information satisfait-elle aux critères de l’exception?

[24]    SPAC continue de refuser de communiquer des renseignements comme des tarifs, des estimations et des renseignements liés au renouvellement et à la prolongation de l’entente de partenariat en vertu de l’alinéa 18b).

[25]    Les tribunaux ont interprété l’entrave, dans le contexte de l’alinéa 20(1)d), qui utilise le même libellé que l’alinéa 18b), comme signifiant « obstruction », comme mentionné dans l’analyse de l’application de l’alinéa 20(1)d).

[26]    Je conviens que la communication des estimations des tarifs journaliers pour les services pourrait vraisemblablement entraver les négociations de SPAC concernant les mêmes services avec d’autres fournisseurs.

[27]    Je conviens également que SPAC et la Chambre des communes menaient des négociations concernant l’entente de partenariat et que ces négociations se poursuivraient concernant des prolongations et des renouvellements ultérieurs d’ententes.

[28]    Dans les cas où l’alinéa18b) a été appliqué aux pages 1890-1891, ni le contenu des documents ni les observations de SPAC n’expliquent en quoi la communication pourrait raisonnablement nuire à la compétitivité de SPAC ou entraver des négociations en particulier.

[29]    Ni SPAC ni la Chambre des communes n’ont présenté d’observations démontrant en quoi la communication des renseignements en cause pourrait vraisemblablement entraver ces négociations. Je conclus que les observations présentées par la Chambre des communes sont de nature spéculative et qu’elles ne fournissent aucun détail sur les renseignements précis dont la communication pourrait causer un préjudice.

[30]    Je conclus que les renseignements ne satisfont pas aux critères de l’alinéa 18b), à part les estimations des tarifs journaliers.

L’institution a-t-elle exercé raisonnablement son pouvoir discrétionnaire quant à sa décision de communiquer ou non l’information?

[31]    Étant donné que certains des renseignements satisfont aux critères de l’alinéa 18b), SPAC devait exercer raisonnablement son pouvoir discrétionnaire pour décider de communiquer ou non l’information. Pour ce faire, SPAC devait prendre en considération tous les facteurs pertinents pour ou contre la communication.

[32]    La décision prise par une institution de ne pas communiquer l’information doit être transparente, intelligible et justifiée. L’explication de l’institution est suffisante lorsque cette dernière précise comment la décision a été prise et que les documents relatifs au processus décisionnel permettent de comprendre pourquoi l’institution a procédé comme elle l’a fait.

[33]    SPAC a présenté des observations concernant les facteurs qu’il a pris en considération dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire pour refuser de communiquer les tarifs journaliers. SPAC a indiqué qu’il ne pouvait pas [traduction] « trouver d’argument raisonnable en faveur de la communication ». Bien que SPAC semble avoir pris en considération les facteurs appropriés à l’encontre de la communication, comme le fait que les renseignements demeurent pertinents et la façon dont ils pourraient être utilisés pour donner un avantage indu à d’autres fournisseurs de services, je conclus qu’il aurait également dû considérer des facteurs en faveur de la communication. Dans les circonstances, l’objet de la Loi, l’intérêt public et le temps écoulé auraient dû être des facteurs considérés en faveur de la communication.

[34]    Je conclus que SPAC n’a pas pris en considération tous les facteurs pertinents en décidant de ne pas communiquer les tarifs journaliers. Par conséquent, l’exercice du pouvoir discrétionnaire par SPAC n’était pas raisonnable.

Résultat

[35]    La plainte est fondée.

Ordonnances et recommandations

J’ordonne au ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux ce qui suit :

  1. Communiquer les renseignements non communiqués en vertu de l’alinéa 18b) lorsque ce dernier n’est pas appliqué à des renseignements personnels ou à des tarifs journaliers;
  2. Exercer de nouveau son pouvoir discrétionnaire pour décider de communiquer ou non les tarifs journaliers en vertu de l’alinéa 18b), en prenant en considération tous les facteurs pertinents;
  3. Communiquer les renseignements non communiqués en vertu de l’alinéa 20(1)d) lorsque ce dernier n’est pas appliqué à des renseignements personnels ou à des tarifs journaliers.

Rapport et avis de l’institution

Le 12 février 2024, j’ai transmis au ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux mon rapport dans lequel je présentais mes ordonnances.

Le 8 mars 2024, la ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux m’a avisée que SPAC ne donnerait pas suite à mes ordonnances. Le ministre a indiqué que SPAC communiquera les renseignements décrits aux points 1 et 3 à la partie plaignante. Le ministre a également indiqué que SPAC a revu sa décision de ne pas communiquer les tarifs journaliers en vertu de l’alinéa 18b). Pour ce faire, il a pris en considération plusieurs facteurs et a conclu que la communication des tarifs journaliers [traduction] « ne serait pas dans l’intérêt public ni rentable pour les Canadiens et Canadiennes ».

Révision devant la Cour fédérale

Lorsqu’une allégation dans une plainte s’inscrit dans le cadre de l’alinéa 30(1)a), b), c), d), d.1) ou e) de la Loi, la partie plaignante a le droit d’exercer un recours en révision devant la Cour fédérale. Lorsque la Commissaire à l’information rend une ordonnance, l’institution a également le droit d’exercer un recours en révision. La partie plaignante et/ou l’institution doivent exercer un recours en révision dans un délai de 35 jours ouvrables suivant la date du présent compte rendu. Si celles-ci n’exercent pas de recours, les tiers peuvent exercer un recours en révision dans les 10 jours ouvrables qui suivent. Quiconque exerce un recours en révision doit signifier une copie de sa demande de révision aux parties intéressées, conformément à l’article 43. Si personne n’exerce de recours en révision dans ces délais, toute ordonnance rendue prend effet le 46e jour ouvrable suivant la date du présent compte rendu.

Autres destinataires du compte rendu

Conformément au paragraphe 37(2), le présent compte rendu a été envoyé à la Chambre des communes.

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