Décision en vertu de l’article 6.1, 2023 CI 12

Date de la décision : juin 2023

Sommaire

Une institution a demandé à la Commissaire à l’information l’autorisation de refuser de donner suite à deux demandes d’accès à l’information en vertu du paragraphe 6.1(1) de la Loi sur l’accès à l’information. L’institution a affirmé que les demandes d’accès sont vexatoires et qu’elles constituent un abus du droit de faire une demande de communication. L’institution a également affirmé qu’elle s’était acquittée de son obligation de prêter assistance à la personne qui avait fait la demande d’accès.

La Commissaire a conclu que non seulement l’institution ne s’était pas acquittée de son obligation de prêter assistance en vertu du paragraphe 4(2.1) de la Loi, mais elle n’a pas non plus établi que les demandes étaient vexatoires ou constituaient autrement un abus du droit de faire une demande.

La Commissaire a rejeté les demandes d’autorisation.

Demande d’accès

L’institution a reçu deux demandes d’accès à l’information reliées aux communications envoyées et reçues par certaines personnes sur tous les sujets entre le 6 et le 10 juin 2022.

Discussion

Le paragraphe 6.1(1) autorise le responsable d’une institution fédérale à demander l’autorisation écrite de la Commissaire pour ne pas donner suite à une demande d’accès si, à son avis, la demande est vexatoire ou entachée de mauvaise foi, ou constitue autrement un abus du droit de faire une demande de communication. Il incombe à l’institution de démontrer que la demande d’accès respecte les exigences prévues au paragraphe 6.1(1) de la Loi.

Le droit de faire une demande de communication de documents relevant d’une institution fédérale est reconnu comme étant de nature quasi constitutionnelle [Blood Tribe Department of Health c. Canada (Commissaire à la protection de la vie privée du Canada), 2006 CAF 334, au para 24; voir aussi : Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Ministre de la Défense nationale), 2011 CSC 25, au para 40]. Dans cette optique, l’autorisation de ne pas donner suite à une demande d’accès ne peut être accordée que si la demande d’autorisation est étayée par des preuves claires et convaincantes [voir, par exemple : Saskatchewan (Advanced Education) (Re), 2010 CanLII 28547 (SK IPC)), aux para 43-47; Northwest Territories (Public Body) (Re), 2017 CanLII 73304 (NWT IPC)].

En vertu du paragraphe 4(2.1), les institutions sont également tenues de prêter assistance aux personnes qui font des demandes d’accès. Tel qu’expliqué dans les documents d’orientation et de procédure publiés par le Commissariat à l’information concernant les demandes en vertu de l’article 6.1, les institutions devraient seulement demander à la Commissaire l’autorisation de ne pas donner suite à une demande d’accès après avoir fait tous les efforts raisonnables pour aider la personne qui fait la demande d’accès.

Obligation de prêter assistance

L’institution soutenait qu’elle avait communiqué avec la personne qui a fait la demande d’accès afin d’obtenir une liste de courriels, des sujets ou des personnes d’intérêt, afin de réduire la portée de la recherche et de permettre une récupération plus efficace et plus rapide des documents demandés, mais que la personne a refusé de réduire la portée. De ce fait, l’institution soutenait qu’elle s’était acquittée de son obligation de prêter assistance.

La Commissaire est d’avis que l’institution n’a pas fait tous les efforts raisonnables pour aider la personne qui a fait la demande et qu’elle ne s’est donc pas acquittée de son obligation de prêter assistance en vertu du paragraphe 4(2.1) avant de demander l’autorisation de ne pas donner suite à la demande d’accès. La communication avec la personne qui a fait les demandes visait à réduire la portée des demandes, et l’institution n’a pas établi en quoi cette seule communication permettait d’assister la personne.

De plus, la personne qui a fait les demandes d’accès a également indiqué dans le passé que la portée de ses demandes pourrait être réduite si l’institution fournissait des titres de notes d’information ou des listes de sujets, ce qui ne semble pas avoir été fait dans le cas présent.

Les demandes d’accès sont-elles vexatoires?

Le terme « vexatoire » n’est pas défini dans la Loi. Bien que, par « vexatoire », l’on entende généralement l’intention de contrarier, de harceler, d’embarrasser ou de causer un malaise, comme l’a mentionné le juge Stratas dans Canada c. Olumide, 2017 CAF 42, pour définir le terme « vexatoire », il est préférable d’éviter d’être trop précis.

Le caractère vexatoire prend des formes et des aspects multiples, et doit par conséquent être évalué au cas par cas.

Voici des exemples de facteurs qui pourraient permettre de conclure qu’une demande est vexatoire :

  1. un volume excessif de demandes d’accès;
  2. une même demande présentée à répétition par une personne ou un groupe de personnes travaillant ensemble dans le cadre d’un effort concerté;
  3. des antécédents de demandes d’accès à l’information visant à harceler ou tout le moins à contrarier un organisme public, ou une tendance en ce sens;
  4. le moment où sont présentées les demandes d’accès.

Ces facteurs et tous les autres facteurs pertinents doivent être pris en considération ensemble pour conclure qu’une demande d’accès est vexatoire ou non.

Une demande d’accès n’est pas vexatoire seulement parce qu’un organisme public est contrarié ou irrité que la demande vise des renseignements dont la communication pourrait le mettre dans l’embarras. [Voir, par exemple : Saskatchewan (Advanced Education) (Re), 2010 CanLII 28547 (SK IPC); Insurance Corporation of British Columbia (Re), [2002] B.C.I.P.C.D. No 57 (BC OIPC), au para 4.] Une demande d’accès sera au contraire considérée comme vexatoire si on établit que son but principal n’est pas d’obtenir des renseignements, mais de harceler continuellement ou de façon répétée.

L’institution, pour appuyer son allégation selon laquelle les demandes d’accès sont vexatoires, a mentionné que la personne qui a fait les demandes a soumis un grand nombre de demandes sur une période de 13 mois, et qu’en refusant de restreindre la portée des demandes, la personne a fait preuve de mépris pour les conséquences de ses demandes sur le détournement des ressources publiques à des fins personnelles. Toujours selon l’institution, ceci fait partie d’un modèle de conduite visant à harceler le ministère et cibler des personnes précises, et prouve que la personne ne souhaite pas véritablement obtenir des renseignements.

L’institution alléguait aussi que les effets cumulatifs de toutes ces demandes créent un fardeau important pour l’institution et ont une incidence négative sur l’accès des autres demandeurs. De plus, la pandémie de COVID-19 a eu des répercussions sur les délais de traitement et a entraîné un arriéré des demandes d’accès. L’institution a prétendu que le comportement de la personne qui a fait les demandes l’oblige à détourner des ressources qui auraient pu être utilisées pour répondre aux autres demandes.

Les allégations de l’institution selon lesquelles les demandes d’accès sont vexatoires n’étaient cependant pas appuyées par des preuves claires et convaincantes.

De plus, la Commissaire a conclu que l’institution n’a pas établi que le nombre de demandes ou le refus de la personne qui a fait les demandes d’en circonscrire la portée visait à harceler l’institution ou à cibler des personnes précises. L’institution n’a pas non plus établi que la personne qui a fait les demandes détourne des ressources publiques à des fins personnelles ou qu’elle ne souhaite pas obtenir les renseignements. En l'espèce, les preuves fournies par le demandeur ont clairement réfuté l'affirmation de l'institution selon laquelle les demandes étaient motivées par des raisons personnelles ou qu'elle n'était pas intéressée par l'obtention des informations demandées.

Mis à part des données sommaires sur un nombre approximatif de ressources et un montant représentant le coût total pour répondre aux nombreuses demandes présentées par cette personne, l’institution n’a pas soumis de preuves démontrant comment les deux demandes en l’espèce pouvaient constituer un fardeau pour l’institution ou avoir une incidence sur les droits des autres demandeurs d’accès.

Finalement, la Commissaire note que la personne qui a fait les demandes avait indiqué que ses demandes pourraient être réduites si l’institution pouvait fournir des titres de notes d’information ou des listes de sujets, ce qui ne semble pas avoir été fait dans le cas présent. Ceci aurait pu contribuer à réduire l’incidence de ses demandes sur la charge de travail et conséquemment, sur les délais.

La personne qui a fait les demandes est tout à fait dans son droit de faire ces demandes. Compte tenu du rôle important de l’institution et de sa taille, le nombre de demandes présentées sur une période de 13 mois ne prouve pas un comportement vexatoire de la part de cette personne. De plus, les observations et les éléments de preuve présentés par la personne qui a fait la demande ont clairement étayé ce point.

La Commissaire a conclu que les deux demandes ne sont pas vexatoires.

Les demandes constituent-elles un abus du droit de faire une demande de communication?

Par « abus », on entend généralement un usage excessif ou inapproprié.

L’abus du droit de faire une communication doit être examiné au cas par cas. Dans Crocker v. British Columbia (Information and Privacy Commissioner), 1997 CanLII 4406 (BC SC), la Cour suprême de la Colombie-Britannique a conclu qu’une demande qui porte atteinte au droit d’accès d’autres demandeurs et/ou diminue la capacité de l’institution d’assumer ses autres fonctions et responsabilités peut constituer un abus du droit d’accès.

Pour appuyer sa position selon laquelle les demandes d’accès constituent un abus, l’institution alléguait que les multiples demandes dans un court laps de temps et un certain nombre de plaintes non fondées auprès du Commissariat indiquent clairement que la personne qui a fait les demandes n’a aucun intérêt véritable à exercer son droit d’accès. De plus, elle alléguait que la personne qui a fait les demandes reste convaincue qu’elle a le droit de faire de telles demandes et de ne pas en réduire la portée, même après avoir été informé de la surcharge des ressources internes. Finalement, l’institution a allégué que de nombreuses communications de cette personne avec l’institution ont été intimidantes et menaçantes.

La personne qui a fait la demande nie que les demandes constituent un abus du droit de faire une demande et ses observations et preuves à l’appui ont clairement étayé cette affirmation. La personne qui a fait la demande déclare que la Loi ne prévoit pas de limite quant au nombre de demandes d’accès qui peuvent être soumises, et confirme que ses demandes sont conformes à l’objet de la Loi. De plus, puisque les titres et numéros des notes d’information ne sont pas publiés dans les délais prévus à la Loi par l’institution, la personne n’a pas été en mesure de cibler des sujets d’intérêt pour ses demandes.

La personne qui a fait la demande déclare également que le retard accumulé dans le traitement des demandes durant la pandémie et la surcharge du travail des employés de l’institution ne peuvent pas justifier la limitation de ses droits. Concernant l’argument qu’elle aurait agi de façon intimidante ou menaçante, la personne qui a fait la demande a expliqué comment, dans le contexte, ses commentaires ne pouvaient être considérés comme tels. En effet, la personne qui a fait la demande a démontré que le fait de dénoncer le non-respect par l’institution des modalités d’accès prévues à la Loi constitue en soi une question d’intérêt public.

La Commissaire a conclu que l’institution n'a pas démontré que les demandes constituent un usage excessif ou inapproprié de la Loi. Aucune information n’a été fournie quant à l’incidence, au temps et aux ressources nécessaires pour traiter les deux demandes pour lesquelles l’institution demande l’autorisation de ne pas y donner suite.

Le fait que la personne qui a fait les demandes d’accès ait déposé plusieurs demandes ainsi qu’un certain nombre de plaintes au Commissariat n’indique en rien qu’elle ne souhaite pas recevoir l’information demandée.

De plus, l’institution n’a pas démontré en quoi le refus de la personne qui a fait les demandes de circonscrire la portée de ses deux demandes ou de fournir des sujets constituait un abus du droit de faire une demande. Elle n'a pas non plus établi que les demandes diminuent le droit d'accès d'autres demandeurs d’accès et/ou affecte la capacité de l'institution à s'acquitter de ses autres obligations et responsabilités. La Commissaire a conclu que l’institution n’a pas établi, selon la prépondérance des probabilités que les demandes d’accès constituent un abus en raison de communications intimidantes et menaçantes.

La Commissaire a conclu que les deux demandes ne constituaient pas un abus du droit de faire une demande de communication.

La Commissaire tient à rappeler aux institutions qu'en raison de la nature et de l'importance du droit d'accès, pour qu'une demande en vertu de l'article 6.1 soit acceptée, une institution doit fournir des arguments solides, étayés par des preuves claires et convaincantes. Des allégations générales ne suffisent pas.

Résultat

La Commissaire a rejeté les demandes d’autorisation. L’institution est tenue de donner suite aux demandes d’accès.

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