Décision en vertu de l’article 6.1, 2024 CI 77
Date de la décision : décembre 2024
Sommaire
Une institution a demandé à la Commissaire à l’information l’autorisation de ne pas donner suite à une demande d’accès à l’information en vertu du paragraphe 6.1(1) de la Loi sur l’accès à l’information. De l’avis de l’institution, la demande d’accès constitue un abus de faire une demande de communication.
La Commissaire conclut que l’institution a établi que la demande d’accès constitue un abus du droit de faire une demande de communication. En outre, dans les circonstances, il est justifié que la Commissaire accorde son autorisation à l’institution de ne pas donner suite à la demande d’accès.
La demande d’autorisation est acceptée.
Demande d’autorisation
En vertu du paragraphe 6.1(1) de la Loi sur l’accès à l’information, le responsable d’une institution fédérale peut demander à la Commissaire à l’information l’autorisation écrite de ne pas donner suite à une demande d’accès si, à son avis, la demande est l’une ou plusieurs des choses suivantes :
- vexatoire;
- entachée de mauvaise foi;
- un abus du droit de faire une demande d’accès.
Les institutions ne peuvent pas refuser de donner suite à une demande d’accès pour la simple raison que les renseignements demandés ont déjà été publiés de manière proactive en vertu de la partie 2 de la Loi [paragraphe 6.1(1.1)].
Il incombe à l’institution de démontrer que la demande d’accès satisfait à l’un ou plusieurs des critères du paragraphe 6.1(1).
Si l’institution démontre que l’un ou plusieurs critères du paragraphe 6.1(1) s’appliquent, alors la Commissaire doit exercer son pouvoir discrétionnaire pour accorder ou non l’autorisation.
Dans l’exercice de ce pouvoir, la Commissaire considère toutes les circonstances et tous les facteurs pertinents, dont :
- la nature quasi constitutionnelle du droit d’accès;
- l’intérêt public à l’égard des documents demandés;
- la question de savoir si l’institution s’est acquittée de ses obligations en vertu du paragraphe 4(2.1), soit de faire tous les efforts raisonnables pour prêter toute l’assistance indiquée à la personne qui a fait la demande d’accès.
La demande d’accès en cause
Le 26 juillet 2024, une institution a demandé à la Commissaire l’autorisation de ne pas donner suite à une demande d’accès qu’elle a reçu le 26 novembre 2020.La demande d’accès visait les renseignements suivants [traduction] :
Bien que la période visée pour ces renseignements soit depuis la formation de [l’institution] en 2011, nous voudrions d’abord recevoir communication des demandes de soumissions qui satisfont aux critères suivants au cours des 12 derniers mois, en mettant l’accent sur les 6 derniers mois. Nous aimerions aussi que la demande d’accès se concentre sur les points 1, 2 et 3, et nous aimerions donc que ces renseignements soient communiqués en premier, parce qu’il faudra beaucoup plus de temps pour chercher les points 4, 5, 6 et 7. Les renseignements des 6 derniers mois sont les plus critiques.
Des documents PDF interrogeables sont requis pour les renseignements suivants :
- Des copies de tous les documents liés aux appels d’offres, sous quelque forme que ce soit, y compris les soumissions, les demandes de propositions, les demandes de prix, les commandes d’achat local, les commandes subséquentes, etc., pour les produits visés par tous les mécanismes d’approvisionnement, y compris les arrangements en matière d’approvisionnement et les offres à commandes, où les exigences étaient précisées en indiquant la marque de fabrique et les codes de produits de la marque du FEO, qu’il soit permis ou non de proposer des produits équivalents. Toutes les communications internes au sein du gouvernement relatives aux raisons pour lesquelles chaque demande de soumissions n’a pas été présentée sur le site Web Achats et ventes Canada.
- Également, des copies de toutes les communications et de toute l’information échangées par [institution] et ses agents, et le FEO et ses agents (c.-à-d. les revendeurs) concernant cette soumission, avant, pendant et après l’attribution d’un contrat, y compris les propositions de prix du FEO reçues par [l’institution], qui comprennent les codes de produits de la marque de fabrique utilisés pour préparer la soumission. Toutes les communications à l’intention et de la part de [l’institution], y compris les courriels, les textos et tout appel téléphonique avec ces FEO et leurs agents, et le moment où ont eu lieu ces communications. Les noms des responsables techniques et des responsables de contrat prenant part à ces soumissions ainsi que tous les gestionnaires y prenant part sont requis. Des copies de la justification technique de l’utilisation des codes de produits de la marque de fabrique pour décrire les besoins opérationnels. Des copies des critères d’évaluation et des exigences techniques connexes utilisés pour évaluer les propositions, et toutes les notes et la correspondance internes, y compris les courriels relatifs aux propositions et aux soumissionnaires. Des copies de la documentation relative à l’exception au titre de la sécurité nationale (ESN), s’il y a lieu, pour chaque soumission, ainsi que toute approbation interne signée, et le nom de la personne autorisée à signer l’ESN pour chaque soumission.
- Également, les noms de toutes les entreprises invitées à soumissionner dans le cadre de ces appels d’offres; le nombre de soumissionnaires réels; des copies des propositions des soumissionnaires et les noms de fabrique et codes de produits proposés par ceux-ci; le prix total proposé par tous les soumissionnaires; le rang des soumissionnaires dans l’évaluation; et une copie du contrat octroyé à l’issue du processus, y compris le prix total de celui-ci sans les taxes.
- Pour chaque soumission, nous demandons une liste des quantités, des marques de fabrique de FEO et des codes de produits de FEO de l’équipement que possédait déjà le Canada qui correspondaient aux marques de fabrique de FEO et aux codes de produits de FEO figurant dans la liste des produits livrables de chaque soumission, habituellement intitulée « Annexe A ».
- Pour chaque soumission, nous demandons une liste des quantités, des marques de fabrique de FEO, des codes de produits de FEO, des versions de micrologiciels, des versions de systèmes d’exploitation et des configurations d’appareils multi-FEO qui existent actuellement au sein du réseau et qui seront connectés aux appareils figurant dans la liste des produits livrables de chaque soumission, habituellement intitulée « Annexe A ».
- Pour chaque soumission, nous demandons un diagramme du réseau existant du Canada qui montre le nombre de connexions et la vitesse de celles-ci en Gbps, et les types de câble (c.-à-d. cuivre ou fibre) qui seront branchés aux appareils figurant dans la liste des produits livrables de chaque soumission, habituellement intitulée « Annexe A », ainsi que des photographies montrant les baies informatiques où ils sont installés et comment les appareils sont connectés.
- Pour chaque soumission, nous demandons une copie de tout rapport sur l’interopérabilité préparé par le gouvernement ou une entreprise de vérification tierce concernant les marques de fabrique de FEO et les codes de produits de FEO figurant dans la liste des produits livrables de chaque soumission, habituellement intitulée « Annexe A », qui interopèrent avec l’équipement que possède déjà le Canada.
Des documents PDF interrogeables sont requis pour les renseignements suivants :
- Des copies de tous les documents liés aux appels d’offres, sous quelque forme que ce soit, y compris les soumissions, les demandes de propositions, les demandes de prix, etc., pour les produits sur le site Achats et ventes Canada ou par invitation à des soumissionnaires choisis à l’extérieur du site Web Achats et ventes Canada (possiblement par « P2P »), dans lesquels l’un des critères précisés était le nom de fabrique et les codes de produits de la marque du fabricant d’équipement d’origine (FEO), qui ne permettaient pas de proposer des produits équivalents. Toutes les communications internes au sein du gouvernement relatives aux raisons pour lesquelles chaque soumission ne permettait pas de proposer des produits équivalents.
- Également, des copies de toutes les communications et de toute l’information échangées par [institution] et ses agents, et le FEO et ses agents (c.-à-d. les revendeurs) concernant cette soumission avant, pendant et après l’attribution d’un contrat, y compris les propositions de prix du FEO reçues par [l’institution], qui comprennent les codes de produits de la marque de fabrique utilisés pour préparer la soumission. Toutes les communications à l’intention et de la part de [l’institution], y compris les courriels, les textos et tout appel téléphonique avec ces FEO et leurs agents, et le moment où ont eu lieu ces communications. Les noms des responsables techniques et des responsables de contrat prenant part à ces soumissions ainsi que tous les gestionnaires y prenant part sont requis. Des copies de la justification technique de l’utilisation des codes de produits de la marque de fabrique pour décrire les besoins opérationnels. Des copies des critères d’évaluation et des exigences techniques connexes utilisés pour évaluer les propositions, et toutes les notes et la correspondance internes, y compris les courriels relatifs aux propositions et aux soumissionnaires. Des copies de la documentation relative à l’exception au titre de la sécurité nationale (ESN), s’il y a lieu, pour chaque soumission, ainsi que toute approbation interne signée, et le nom de la personne autorisée à signer l’ESN pour chaque soumission.
- Également, les noms de toutes les entreprises invitées à soumissionner dans le cadre de ces appels d’offres; le nombre de soumissionnaires réels; des copies des propositions des soumissionnaires et les noms de fabrique et codes de produits proposés par ceux-ci; le prix total proposé par tous les soumissionnaires; le rang des soumissionnaires dans l’évaluation; et une copie du contrat octroyé à l’issue du processus, y compris le prix total de celui-ci sans les taxes.
- Pour chaque soumission, nous demandons une liste des quantités, des marques de fabrique de FEO et des codes de produits de FEO de l’équipement que possédait déjà le Canada qui correspondaient aux marques de fabrique de FEO et aux codes de produits de FEO figurant dans la liste des produits livrables de chaque soumission, habituellement intitulée « Annexe A ».
- Pour chaque soumission, nous demandons une liste des quantités, des marques de fabrique de FEO, des codes de produits de FEO, des versions de micrologiciels, des versions de systèmes d’exploitation et des configurations d’appareils multi-FEO qui existent actuellement au sein du réseau et qui seront connectés aux appareils figurant dans la liste des produits livrables de chaque soumission, habituellement intitulée « Annexe A ».
- Pour chaque soumission, nous demandons un diagramme du réseau existant du Canada qui montre le nombre de connexions et la vitesse de celles-ci en Gbps, et les types de câble (c.-à-d. cuivre ou fibre) qui seront branchés aux appareils figurant dans la liste des produits livrables de chaque soumission, habituellement intitulée « Annexe A », ainsi que des photographies montrant les baies informatiques où ils sont installés et comment les appareils sont connectés.
- Pour chaque soumission, nous demandons une copie de tout rapport sur l’interopérabilité préparé par le gouvernement ou une entreprise de vérification tierce concernant les marques de fabrique de FEO et les codes de produits de FEO figurant dans la liste des produits livrables de chaque soumission, habituellement intitulée « Annexe A », qui interopèrent avec l’équipement que possède déjà le Canada.
Selon l’institution, la demande d’accès constitue un abus du droit de faire une demande de communication.
La demande constitue-t-elle un abus du droit de faire une demande de communication?
La Loi prévoit un important droit d’accès aux documents relevant des institutions fédérales. Cependant, tous les droits s’accompagnent de responsabilités. Il ne faut pas abuser de ce droit d’accès.
Il y a abus lorsqu’une personne qui fait une demande d’accès utilise son droit de manière abusive ou inappropriée.
C’est par exemple le cas lorsqu’une demande d’accès vise un objectif autre que la communication de documents ou de renseignements. C’est également le cas lorsqu’une demande d’accès est contraire à l’intérêt public parce qu’elle constitue un fardeau excessif pour l’institution, parce qu’elle empêche d’autres personnes de faire valoir leur droit d’accès et/ou parce qu’elle augmente indûment les coûts et le temps consacré par une institution au respect de ses obligations en vertu de la Loi.
La liste de facteurs ci-dessus n’est pas exhaustive; d’autres facteurs pertinents peuvent être pris en considération selon les circonstances propres à chaque cas. Il faut donc évaluer chaque demande d’accès au cas par cas pour établir s’il s’agit ou non d’un abus du droit de faire une demande de communication.
L’institution estime que la demande d’accès en cause constitue un abus du droit de faire une demande de communication parce que le grand nombre de documents et leur complexité imposeraient un fardeau excessif pour les bureaux de première responsabilité (BPR) et le bureau de l’accès à l’information et de la protection des renseignements personnels (AIPRP), ce qui empêcherait d’autres personnes de faire valoir leur droit d’accès.
Volume et complexité des documents
L’institution explique que la demande d’accès, telle qu’elle est actuellement rédigée, vise toute la documentation relative à des contrats dans lesquels un fabricant d’équipement d’origine (FEO) est précisé, de sa création en 2011 jusqu’à la date de la demande (le 26 novembre 2020). L’une des principales fonctions de l’institution est l’approvisionnement en technologies de l’information (TI) pour le gouvernement du Canada. La majorité de ses contrats pour des logiciels et de l’équipement précisent un FEO pour la période visée. Une demande visant toutes les soumissions ainsi que toute la documentation connexe équivaut donc à demander la majorité des documents de l’institution de 2011 à 2020.
L’institution a également expliqué que les BPR ont fourni une estimation s’élevant à 8 000 000 pages.
Le premier BPR a estimé que le nombre de pages s’élèverait à 2 170 169. Cette estimation se fondait sur des demandes d’accès passées et le nombre de pages qu’elles visaient ainsi que sur un nombre approximatif de 2 200 soumissions par année, dont chacune comptant environ 100 pages. Le deuxième et le troisième BPR ont fourni une estimation de 6 126 945 pages. Cette estimation se fondait sur le nombre de pages fournies par chacune de ses directions.
L’institution soutient aussi que les 8 000 000 pages sont de nature complexe et qu’elles doivent faire l’objet d’un examen exhaustif de la part des BPR pour des raisons de sécurité. Notamment, la demande d’accès vise tous les diagrammes du réseau et des détails sur l’infrastructure de l’institution (voir les points 2, 5 et 6 du texte de la demande), ce qui ajoute une couche de complexité à la demande.
Efforts déployés pour prêter assistance à la personne qui a fait la demande d’accès
L’institution soutient avoir présenté à la Commissaire une demande d’autorisation pour ne pas donner suite à la demande d’accès après avoir épuisé toutes les autres options. Lorsqu’elle a reçu la demande d’accès, l’institution a communiqué avec la personne qui l’a faite par téléphone pour lui expliquer que la vaste portée de la demande viserait un grand nombre de documents et pour lui proposer des solutions qui permettraient de fournir des documents précis rapidement sans imposer un fardeau excessif à l’institution. Malheureusement, la personne a refusé de préciser sa demande ou de limiter la portée du texte de la demande. L’institution soutient que, plutôt que de coopérer avec son personnel de l’AIPRP, la personne qui a fait les demandes d’accès a déposé une plainte auprès du Commissariat à l’information. L’institution soutient également qu’il était évident que la personne ne coopérerait pas pour préciser la portée de sa demande d’accès extraordinairement vaste.
L’institution mentionne également qu’elle a proactivement ouvert deux demandes pour des documents que la personne souhaitait recevoir plus rapidement, à savoir les documents concernant un contrat précis, et lui a communiqué plus de 67 000 pages en réponse à d’autres demandes similaires.
En réponse à une demande d’accès, la personne qui a présenté la demande en cause a reçu tous les contrats qui n’avaient pas été publiés en ligne, de la création de l’institution à la date de la demande. L’institution soutient que la personne pourrait se référer à la documentation fournie dans le cadre de cette demande pour choisir des contrats précis qui l’intéressent. En outre, la personne a accès à une liste des autres contrats de l’institution en ligne et pourrait choisir des contrats précis pour lesquels elle souhaiterait obtenir de l’information connexe.
L’institution soutient que de nombreux documents sont déjà disponibles et que la personne peut s’y référer pour réduire la portée de la demande d’accès en cause. Malgré cela, la personne a choisi de demander tous les documents qu’elle avait initialement demandés, parmi lesquels plus de 100 000 pages chevaucheront probablement des documents déjà traités dans le cadre d’autres demandes d’accès.
L’institution soutient aussi qu’elle a offert de séparer, sans frais, une autre demande qui donnait lieu à 40 000 pages de documents et de faire des communications régulières de renseignements.
Enfin, l’institution mentionne que la personne qui a fait la demande d’accès admet dans ses communications qu’elle sait quels renseignements en particulier elle recherche, mais qu’elle choisit de présenter une demande plus vaste pour éviter d’être identifiée. La personne affirme que l’institution exercerait des représailles à son égard et une autre personne pour laquelle elle tente d’obtenir de l’information, si elle précisait la demande. L’institution lui a expliqué que son bureau de l’AIPRP se conforme à la Directive provisoire concernant l’administration de la Loi sur l’accès à l’information du Secrétariat du Conseil du Trésor (remplacée le 13 juillet 2022 par la Directive sur les demandes d’accès à l’information) en protégeant l’identité des personnes qui font des demandes et en les traitant toutes équitablement. L’institution a également expliqué que l’une des conditions d’emploi de ses employés est de respecter les valeurs et l’éthique, et qu’elle leur fournit de l’orientation pour veiller à ce qu’ils respectent ces obligations.
Incidence sur les BPR
L’institution soutient qu’un fardeau excessif serait imposé aux trois BPR qui détiennent les documents relatifs à demande d’accès, ce qui perturberait grandement leurs services et leur capacité de remplir le mandat principal de l’institution. Les BPR sont essentiels aux activités de l’institution, car ils sont responsables de la fourniture de services et d’équipement essentiels pour la TI, le réseau et la sécurité pour l’ensemble du gouvernement du Canada.
Selon les estimations actuelles fournies par l’institution, la demande d’accès toucherait 1 045 employés des BPR. L’institution estime quel la demande touchera 629 employés de l’un des BPR, dont les responsabilités comprennent la mise en œuvre et l’entretien de tous les services relatifs au réseau et l’acquisition de biens et services en sécurité des TI, réseaux informatiques et services numériques. Environ 138 employés du deuxième BPR seront également touchés par la demande, ce qui aurait une incidence sur la capacité de ce BPR d’offrir de nombreux services cruciaux, dont les services de conférence pour la collaboration virtuelle ainsi que les services de courriel et de télécommunications. Enfin, cette demande d’accès toucherait 278 employés du troisième BPR, et donc, des services comme l’approvisionnement en biens et services pour l’institution et des partenaires ainsi que le centre d’assistance du service de l’approvisionnement au paiement.
En outre, la demande d’accès vise tous les diagrammes et les détails du réseau et de l’infrastructure de l’institution. L’institution affirme que ses experts en sécurité auront besoin d’examiner rigoureusement chaque document pour fournir des recommandations au bureau de l’AIPRP, puisque l’information pourrait être utilisée par des acteurs malveillants pour attaquer les systèmes du gouvernement du Canada. Parmi les 767 employés des deux BPR touchés, 739 sont des experts en TI. Cette demande imposerait à ces derniers un fardeau considérable et les empêcherait d’accomplir leur travail important, à savoir assurer la sécurité des réseaux du gouvernement du Canada.
Incidence sur le bureau de l’AIPRP et les autres personnes qui font des demandes d’accès
Selon l’institution, le traitement d’un tel nombre de documents complexes aurait également une incidence sur la capacité du bureau de l’AIPRP de respecter ses obligations envers toutes les personnes qui font des demandes en vertu de la Loi.
Le nombre estimé de documents équivaut à presque 20 fois le nombre de pages que l’institution a communiqué au cours de l’exercice 2022-2023. Au cours de cet exercice, le bureau de l’AIPRP dans son ensemble a traité 263 594 pages en vertu de la Loi. Si l’ensemble du bureau devait traiter cette demande, au rythme de traitement de l’exercice 2022-2023, il faudrait 30 ans pour terminer l’examen de la demande d’accès sans travailler sur d’autres demandes. Selon l’institution, cela montre que le traitement de cette demande aurait des conséquences négatives sur l’accès d’autres personnes pour les 30 prochaines années.
L’institution soutient également qu’une estimation prudente du temps qu’il faudrait pour traiter cette demande tout en continuant de traiter d’autres demandes serait de 230 ans. Une demande dont le délai de traitement est de plusieurs fois la durée de vie d’une personne n’est pas conforme à l’esprit de la Loi.
Discussion
La question de savoir si une demande d’accès constituerait un fardeau excessif pour une institution repose sur une évaluation objective des faits. Elle varie selon la nature de la demande d’accès, la taille et le type d’activités, le travail requis pour donner suite à la demande et les répercussions sur le fonctionnement. Dans certains cas, donner suite à une demande d’accès qui constitue un fardeau excessif pour l’institution empêche d’autres personnes d’exercer légitimement leur droit d’accès. Dans de telles situations, l’institution doit également démontrer le lien entre le fardeau imposé par le traitement de la demande d’accès et l’entrave au droit d’accès d’autres personnes.
Après avoir considéré la portée du texte de la demande d’accès et les éléments de preuve dont elle dispose, la Commissaire conclut que l’estimation de 8 000 000 de pages documents est plausible et que la demande produira probablement un très grand nombre de documents. Comme l’a signalé l’institution, la demande d’accès vise tous les documents depuis sa création en 2011 concernant la majorité des approvisionnements en TI (l’approvisionnement en TI étant l’une des principales responsabilités de l’institution). En outre, ces documents ne sont pas limités à des types précis.
Selon les observations de l’institution, la Commissaire est d’avis que la demande d’accès constituerait un fardeau excessif pour les trois BPR. Elle peut voir en quoi la vaste portée de la demande d’accès nécessiterait beaucoup de temps à ces unités, puisqu’elles n’auraient pas seulement à récupérer les documents, mais également à fournir des recommandations concernant les risques de sécurité.
L’institution a également expliqué de façon convaincante en quoi le temps et les efforts requis pour traiter les documents pertinents constitueraient un fardeau excessif pour le bureau de l’AIPRP. Tel qu’expliqué, le nombre de documents est équivalent à trente fois sa capacité annuelle. En outre, la Commissaire peut également voir en quoi le tout aurait une incidence sur le droit d’accès d’autres personnes qui font des demandes. Pendant qu’ils traiteraient ce dossier, les BPR et le bureau de l’AIPRP ne pourraient pas donner suite aux demandes d’accès d’autres personnes.
La Commissaire est également consciente que le temps et les ressources disponibles pour répondre aux demandes d’accès ne sont pas infinis, et que la personne qui a fait cette demande d’accès n’est pas la seule qui attend une réponse. La Commissaire conclut que le temps et les efforts requis pour chercher, repérer, récupérer et traiter les documents pertinents auraient des répercussions négatives sur le droit de faire une demande de communication d’autres personnes.
Une partie de la réponse de la personne qui a fait la demande d’accès à la demande d’autorisation de l’institution porte sur les raisons pour lesquelles elle demandait les renseignements. La personne mentionne, entre autres, que les renseignements sont nécessaires pour certaines affaires entendues par le Tribunal canadien du commerce extérieur (TCCE), dans lesquelles elle participe à titre de conseillère juridique ou de témoin. La demande d’accès vise notamment à obtenir des éléments de preuve qui pourraient être utilisés devant le TCCE ou en cour.
Les observations de la personne qui a fait la demande d’accès semblent montrer qu’il n’y avait aucune intention malveillante derrière sa demande d’accès. La Commissaire n’a aucune raison de mettre cette affirmation en doute. Cela étant dit, il n’est pas nécessaire d’avoir une intention malveillante pour qu’il y ait abus du droit de faire une demande de communication; une demande peut constituer un abus, peu importe que la personne qui l’a faite ait l’intention ou non d’abuser de son droit de faire une demande de communication.
Compte tenu des observations de la personne qui a fait la demande d’accès et des échanges de courriels fournis par l’institution, la Commissaire n’est pas convaincue que la personne souhaitait réellement obtenir les renseignements qu’elle avait demandés.
Dans ces observations, la personne qui a fait la demande d’accès mentionne qu’elle l’a présentée afin d’obtenir des éléments de preuve qui pourraient être utilisés dans des affaires qui sont entendues par le TCCE ou en cour. La Commissaire ne voit pas bien pourquoi la personne n’a pas limité sa demande d’accès au contrat en cause dans ces affaires. Elle note que l’institution a déjà fourni à la personne des dizaines de milliers de pages de documents se rapportant à tous les contrats que l’institution a accordés. La personne semble donc disposer de suffisamment d’information pour cibler plus précisément les renseignements qui pourraient être pertinents dans le cadre de ces audiences judiciaires.
Dans les échanges de courriels, la personne qui a fait la demande d’accès a affirmé ce qui suit [traduction] :
J’ai formulé ma demande d’accès de sorte à protéger mon identité autant que possible. Cependant quand, dans la première phrase, je précise « Des copies de tous les documents liés aux appels d’offres, sous quelque forme que ce soit, y compris les soumissions, les demandes de propositions, les demandes de prix, les commandes d’achat local, les commandes subséquentes, etc. », j’ai utilisé une formulation aussi générale que possible, premièrement, parce que si elle est trop précise, [l’institution] devinera qui a présenté cette demande d’accès et exercera des représailles et, deuxièmement, parce que je veux qu’il ne me manque aucun des « mécanismes d’approvisionnement, y compris les arrangements en matière d’approvisionnement et les offres à commandes ».
Il n’est pas recommandé d’essayer de cacher son identité en faisant une vaste demande d’accès. La Cour suprême du Canada a statué que les institutions ne peuvent pas prendre en compte l’identité des personnes qui font des demandes d’accès ou les raisons sous-tendant ces dernières (2003 CSC 8, au para 32). Si l’identité d’une personne qui fait une demande a été prise en considération dans le traitement de leur demande, elle peut déposer une plainte auprès du Commissariat.
La personne qui a fait la demande d’accès mentionnait également qu’elle a utilisé une formation aussi générale que possible afin qu’il ne manque pas de mécanisme d’approvisionnement. La Commissaire ne voit pas bien en quoi cela pourrait justifier de faire la demande d’accès en cause. Si la personne s’intéresse à tous les mécanismes d’approvisionnement, elle peut le demander d’une façon plus précise.
Pour toutes les raisons susmentionnées, la Commissaire n’est pas convaincue que la personne qui a fait la demande d’accès souhaitait réellement recevoir tous les renseignements qu’elle a demandés dans la demande en cause, ce qui est un facteur qui contribue à en faire un abus du droit de faire une demande de communication.
Pour toutes les raisons susmentionnées, la Commissaire conclut que la demande d’accès constitue un abus du droit de faire une demande de communication.
Dans les circonstances, est-il justifié que la Commissaire accorde son autorisation à l’institution de ne pas donner suite à la demande d’accès?
Comme l’institution a établi que l’un des critères du paragraphe 6.1(1) s’appliquait à la demande d’accès, la Commissaire doit maintenant exercer son pouvoir discrétionnaire pour accepter ou refuser la demande d’autorisation.
Pour exercer son pouvoir discrétionnaire, elle a pris en considération tous les facteurs pertinents et les circonstances, y compris les suivants.
Obligation de prêter assistance à la personne qui a fait la demande d’accès
Le paragraphe 4(2.1) prévoit une obligation générale de prêter assistance aux personnes qui font une demande d’accès. La portée de cette obligation est vaste, car elle requiert qu’une institution fasse « tous les efforts raisonnables » pour prêter assistance à une personne qui fait une demande d’accès. Cette obligation va aussi loin qu’il serait raisonnable pour l’institution de fournir une assistance. L’obligation de prêter assistance comprend notamment aider une personne qui fait une demande d’accès à préciser sa demande, à réduire la portée de sa demande afin que les documents demandés puissent lui être fournis plus rapidement et à fournir les renseignements nécessaires pour permettre à l’institution de repérer les documents demandés.
La question de savoir en quoi consistent « tous les efforts raisonnables » pour prêter assistance à une personne qui fait une demande d’accès dépend des faits pertinents et des circonstances. Par conséquent, la question de savoir si une institution s’est acquittée ou non de son obligation en vertu du paragraphe 4(2.1) dépend des faits et doit être évaluée au cas par cas.
Comme mentionné ci-dessus, l’institution a communiqué avec la personne qui a fait la demande d’accès à la réception de celle-ci; dans le cadre d’une conversation téléphonique, elle lui a fait des suggestions pour limiter la portée de la demande. Les efforts déployés par l’institution n’ont pas été fructueux parce que la personne demeurait ferme quant à la portée de la demande.
L’institution a aussi ouvert deux demandes d’accès pour les documents que la personne voulait recevoir plus tôt et lui a fourni des dizaines de milliers de pages de documents en réponse à d’autres demandes d’accès qui chevauchent la demande en cause.
Dans sa réponse à la demande d’autorisation de l’institution, la personne qui a fait la demande d’accès soutient que l’institution ne s’est pas acquittée de son obligation de prêter assistance, parce qu’elle a demandé que les renseignements soient communiqués par étapes (les six derniers mois en premier, puis les douze derniers mois) et l’institution n’a pas accepté de le faire. La personne a ajouté qu’après avoir reçu ces documents, elle pourrait être en mesure de réduire la période totale visée par la demande, ce qui pourrait en réduire considérablement la portée.
La Commissaire conclut qu’il était raisonnable que l’institution n’accepte pas la proposition de la personne qui a fait la demande d’accès, pour trois raisons. Premièrement, le nombre de pages de documents pour les six derniers mois seulement totaliserait environ 440 000 pages, selon l’estimation fournie par l’institution. Par conséquent, le traitement des six derniers mois représenterait quand même une tâche considérable. Deuxièmement, la personne qui a fait les demandes d’accès a indiqué ce qui suit [traduction] :
Je vous avais demandé de vous concentrer sur les documents des six derniers mois, puis sur les documents de la dernière année, et nous avons convenu de cette approche, car, si je pouvais obtenir les renseignements dont j’avais besoin pour ces périodes, je pourrais « possiblement » réduire la période totale visée par la demande. Je n’ai pris aucun engagement en ce sens durant notre appel, mais j’ai déclaré avoir la volonté de le faire.
Par conséquent, même si l’institution fournissait des documents pour les six derniers mois, la portée de la demande d’accès pourrait quand même ne pas être réduite. Il est donc impossible de savoir dans quelle mesure la personne qui a fait la demande est disposée à coopérer avec l’institution. Troisièmement, comme l’a mentionné l’institution, des dizaines de milliers de pages de documents ont déjà été fournies à la personne en réponse à d’autres demandes d’accès. Ces documents sont également pertinents dans le cadre de la demande en cause et, par conséquent, la personne semble déjà disposer de suffisamment d’information pour réduire la portée de la demande.
Compte tenu de ce qui précède, la Commissaire conclut que l’institution a établi qu’elle s’était acquittée de son obligation de prêter assistance à la personne qui a fait la demande d’accès.
Respect du délai pour présenter une demande d’autorisation
L’institution a reçu la demande d’accès le 26 novembre 2020, mais a présenté à la Commissaire une demande d’autorisation pour ne pas y donner suite seulement le 26 juillet 2024, soit 3 ans et 8 mois plus tard.
L’institution a expliqué que, après sa tentative de réduire la portée de la demande d’accès et la réponse de la personne qui a fait la demande, qui ne semblait pas disposée à en réduire la portée, elle a informé la personne que la demande était suspendue jusqu’à l’obtention de précisions.
L’institution a aussi expliqué qu’elle n’a pas prorogé le délai parce qu’elle ne pouvait pas fournir de délai raisonnable en raison de la portée de la demande. Selon l’estimation prudente de 8 000 000 pages de documents complexes liés à des soumissions, il faudrait au bureau de l’AIPRP plus de 30 ans pour mener à bien l’examen de la demande, s’il ne travaillait pas sur d’autres demandes. Il faudrait au bureau de l’AIPRP 230 ans pour la traiter, si un maximum de 8 ressources y étaient consacrées, alors que le reste des employés continue de travailler sur des demandes provenant d’autres personnes.
L’institution a aussi mentionné que, le 19 mars 2021, elle a reçu un avis de plainte du Commissariat et a été avisée que le dossier serait attribué à un membre du personnel d’enquête. Selon l’expérience de l’institution, un membre du personnel d’enquête du Commissariat peut parfois aider à définir la portée d’une demande lorsque le volume est déraisonnable ou que la portée est trop vaste, particulièrement si les communications entre la personne qui a fait la demande et le ministère ne produisent pas de résultats. Quant à la demande actuelle, les communications entre l’institution et la personne qui l’a présentée ont atteint une impasse et aucune autre mesure n’été prise pour préciser le texte de la demande en collaboration avec la personne qui l’a présentée jusqu’à ce que le dossier soit attribué à un membre du personnel d’enquête du Commissariat.
L’institution s’attendait à ce que le Commissariat négocie avec la personne qui a fait la demande d’accès en son nom, peu importe le temps que cela prendrait pour terminer l’enquête sur la plainte. C’est pourquoi l’institution a présenté une demande d’autorisation pour ne pas donner suite à la demande d’accès plus de 3 ans après avoir reçu celle-ci.
Enfin, l’institution mentionne que, même si cette demande d’accès en particulier n’a pas été activement traitée, entre-temps, le personnel de son bureau de l’AIPRP a respecté le droit d'accès de la personne pour plusieurs autres demandes qui étaient également associées aux documents dans la demande en cause.
La Commissaire est d’avis que le délai de 3 ans et 8 mois avant que l’institution ne demande son autorisation n’est pas justifiable. L’institution n’aurait pas dû attendre l’intervention du membre du personnel des enquêtes du Commissariat. Bien que le Commissariat préconise une intervention rapide, afin de négocier des résultats satisfaisants pour les deux parties, soit en réduisant la portée de la demande ou le nombre d’exceptions visées par la plainte, entre autres, l’institution ne devrait pas compter sur ces efforts lorsqu’elle évalue si une demande d’accès satisfait à l’un ou plusieurs des critères du paragraphe 6.1(1). Ceci dit, la preuve ne démontre pas que l’institution a, pendant cette période, délibérément négligé de prêter assistance à la personne qui a fait la demande d’accès.
Les raisons et les circonstances qui amènent la Commissaire à conclure que la demande d’accès constitue un abus du droit de faire une demande de communication font en sorte qu’elle ne peut pas rejeter la demande d’autorisation parce qu’elle n’a pas été présentée en temps utile. Elle estime que l’abus du droit de faire une demande de communication est trop important en l’espèce.
Les institutions ne doivent toutefois pas tenir pour acquis que cette décision ouvre la porte à la possibilité de présenter des demandes d’autorisation n’importe quand. Les demandes d’autorisation doivent être présentées dans les plus brefs délais, c’est-à-dire, dans la plupart des cas, dès que la demande d’accès a été reçue et qu’une évaluation préliminaire a été effectuée.
Décision
L’institution a établi que la demande d’accès satisfaisait un ou plusieurs critères du paragraphe 6.1(1), à savoir :
- La demande d’accès était trop vaste et les efforts déployés par l’institution pour la préciser et en réduire la portée ont été infructueux.
- Le traitement de la demande, si celle-ci produit le nombre prévu de documents, constituerait un fardeau excessif pour les trois BPR et le bureau de l’AIPRP.
- S’il fallait traiter cette demande volumineuse, la capacité du bureau de l’AIPRP et des BPR de répondre à d’autres demandes d’accès serait considérablement réduite, ce qui empêcherait les personnes qui font des demandes de faire valoir leur droit d’accès.
Les circonstances justifient que la Commissaire exerce son pouvoir discrétionnaire pour autoriser l’institution à ne pas donner suite à la demande d’accès.
La demande d’autorisation est acceptée.