Décision en vertu de l’article 6.1, 2024 CI 78

Date de la décision : Novembre 2024

Sommaire

Une institution a demandé à la Commissaire à l’information l’autorisation de ne pas donner suite à une demande d’accès à l’information en vertu du paragraphe 6.1(1) de la Loi sur l’accès à l’information. De l’avis de l’institution, la demande d’accès constitue un abus de faire une demande de communication.

La Commissaire conclut que l’institution n’a pas établi que la demande d’accès constitue un abus du droit de faire une demande de communication.

La demande d’autorisation est rejetée.

Demande d’autorisation

En vertu du paragraphe 6.1(1) de la Loi sur l’accès à l’information, le responsable d’une institution fédérale peut demander à la Commissaire à l’information l’autorisation écrite de ne pas donner suite à une demande d’accès si, à son avis, la demande est l’une ou plusieurs des choses suivantes :

  • vexatoire;
  • entachée de mauvaise foi;
  • un abus du droit de faire une demande d’accès.

Les institutions ne peuvent pas refuser de donner suite à une demande d’accès pour la simple raison que les renseignements demandés ont déjà été publiés de manière proactive en vertu de la partie 2 de la Loi [paragraphe 6.1(1.1)].

Il incombe à l’institution de démontrer que la demande d’accès satisfait à l’un ou plusieurs des critères du paragraphe 6.1(1).

Si l’institution démontre que l’un ou plusieurs critères du paragraphe 6.1(1) s’appliquent, alors la Commissaire doit exercer son pouvoir discrétionnaire pour accorder ou non l’autorisation.

Dans l’exercice de ce pouvoir, la Commissaire considère toutes les circonstances et tous les facteurs pertinents, dont :

  • la nature quasi constitutionnelle du droit d’accès;
  • l’intérêt public à l’égard des documents demandés;
  • la question de savoir si l’institution s’est acquittée de ses obligations en vertu du paragraphe 4(2.1), soit de faire tous les efforts raisonnables pour prêter toute l’assistance indiquée à la personne qui a fait la demande d’accès.

La demande d’accès en cause

Le 9 août 2024, l’institution a demandé à la Commissaire l’autorisation de ne pas donner suite à une demande d’accès qu’elle a reçue le 27 mars 2024.La demande d’accès visait les renseignements suivants [traduction] :

Du 1er novembre 2023 au 1er décembre 2023, tous les courriels dans l’application Outlook et tous les messages de clavardage dans l’application MS Teams, y compris les pièces jointes, de tous les employés, consultants ou contractuels qui travaillent [à un bureau de première responsabilité (BPR) précis] (à l’exception du poste étudiant). Exclure les communications qui se rapportent aux ressources humaines, qui sont visées par le secret professionnel de l’avocat ou les documents confidentiels du Cabinet potentiels.

Selon l’institution, la demande d’accès constitue un abus du droit de faire une demande de communication.

La demande constitue-t-elle un abus du droit de faire une demande de communication?

La Loi prévoit un important droit d’accès aux documents relevant des institutions fédérales. Cependant, tous les droits s’accompagnent de responsabilités. Il ne faut pas abuser de ce droit d’accès.

Il y a abus lorsqu’une personne qui fait une demande d’accès utilise son droit de manière abusive ou inappropriée.

C’est par exemple le cas lorsqu’une demande d’accès vise un objectif autre que la communication de documents ou de renseignements. C’est également le cas lorsqu’une demande d’accès est contraire à l’intérêt public parce qu’elle constitue un fardeau excessif pour l’institution, parce qu’elle empêche d’autres personnes de faire valoir leur droit d’accès et/ou parce qu’elle augmente indûment les coûts et le temps consacré par une institution au respect de ses obligations en vertu de la Loi.

La liste de facteurs ci-dessus n’est pas exhaustive; d’autres facteurs pertinents peuvent être pris en considération selon les circonstances propres à chaque cas. Il faut donc évaluer chaque demande d’accès au cas par cas pour établir s’il s’agit ou non d’un abus du droit de faire une demande de communication.

L’institution soutient que la demande d’accès en cause constitue un abus du droit de faire une demande de communication parce que sa vaste portée nécessiterait que les employés y consacrent beaucoup de temps. L’institution soutient également que les activités normales de ces employés seraient perturbées, car ils devraient se consacrer à la demande plutôt qu’à leurs obligations opérationnelles. Leur capacité de respecter leurs obligations envers d’autres personnes qui font des demandes d’accès s’en trouverait également réduite.

Quantité de documents

L’institution estime que la demande d’accès nécessitera de traiter plus de 8 200 courriels. Cette estimation se fonde sur les données provenant des serveurs fournies par l’unité de la GI/TI. En se fondant sur le nombre prudent de 16 pages par mégaoctet de données, l’institution estime que la demande donnerait lieu à plus de 75 800 pages, et que, selon les lignes directrices du gouvernement fédéral, il faudrait au ministère environ 12,6 années pour la traiter.

L’institution mentionne également que les résultats en ce qui concerne le clavardage dans MS Teams ne sont pas inclus dans le nombre de pages estimé parce que, lors de son extraction du serveur, chaque entrée du clavardage est enregistrée dans un seul document et il est difficile de savoir dans quelle mesure l’estimation serait exacte. Le délai estimé ne comprend donc pas le temps requis pour traiter les messages de clavardage MS Teams.

Efforts déployés pour prêter assistance à la personne qui a fait la demande d’accès

L’institution soutient que son bureau de l’accès à l’information et de la protection des renseignements personnels (AIPRP) a fait plusieurs tentatives pour prêter efficacement assistance à la personne faisant la demande, en essayant de préciser et de réduire la portée de la demande afin qu’il soit possible d’y répondre sans qu’une pression indue soit exercée sur l’institution sur une longue période.

Le bureau de l’AIPRP de l’institution a exploré différentes options avec la personne qui a fait la demande d’accès, comme lui demander de préciser le sujet ou la teneur de l’information recherchée, d’indiquer des postes précis au sein du BPR, de réduire la période visée, d’exclure certains types de documents et de limiter les endroits où effectuer la recherche.

L’institution a indiqué que, à la suite de ces efforts :

  • le 28 mars 2024, la personne qui a fait la demande d’accès a confirmé qu’elle ne préciserait pas de sujet pour sa demande;
  • le 14 avril 2024, la personne a accepté d’exclure les documents concernant le seul étudiant travaillant au BPR;
  • le 15 avril 2024, la personne a accepté de réduire la période pour qu’elle passe d’environ 6 mois à 2 mois;
  • le 15 avril 2024, la personne a accepté d’exclure les communications qui se rapportent aux ressources humaines, qui sont visées par le secret professionnel de l’avocat ou qui contiennent des documents confidentiels du Cabinet potentiels.

Le 2 mai 2024, le bureau de l’AIPRP de l’institution a donné à la personne qui a fait la demande d’accès une dernière occasion d’en réduire davantage la portée. Le 13 mai 2024, la personne a répondu par courriel qu’elle demeurait ferme quant à la portée de la demande et a indiqué que l’institution devrait procéder au traitement de la demande dont la portée a déjà été modifiée.

Selon son interaction précédente et le dernier courriel de la personne qui a fait la demande d’accès, le bureau de l’AIPRP de l’institution a conclu que la personne n’accepterait pas de réduire davantage la portée de sa demande.

Incidence sur le BPR

L’institution soutient également qu’une demande d’accès de cette taille lui poserait des défis considérables et aurait une incidence importante sur la capacité du BPR d’exécuter le mandat du ministère.

L’institution mentionne que le BPR dispose de ressources limitées pour traiter cette demande d’accès. Comme il compte seulement 14 employés, il faudrait que plusieurs d’entre eux travaillent à temps plein pour réunir les documents et fournir continuellement des recommandations concernant la divulgation des documents. Le bureau de l’AIPRP devrait continuellement consulter le BPR pour obtenir son expertise en la matière concernant la divulgation des documents. Selon l’estimation, il faudrait 200 jours de travail d’équivalents temps plein pour traiter cette demande au sein du BPR. Si on tient compte des vacances et des autres congés, cela équivaut à consacrer un employé à cette demande à temps plein pour une période d’un an.

Selon l’institution, cela nuirait grandement à la capacité du BPR d’accomplir son mandat et retarderait la mise en œuvre du mandat de l’institution en ce qui a trait à l’orientation sexuelle, à l’identité ou l’expression de genre et au Plan d’action 2SLGBTQI+ fédéral.

Incidence sur le bureau de l’AIPRP et les autres personnes qui font des demandes d’accès

L’institution soutient également qu’une demande d’accès de cette taille imposerait un fardeau excessif à son bureau de l’AIPRP sur une longue période et empêcherait d’autres personnes d’exercer leur droit d’accès et/ou entraînerait une augmentation indue des coûts et du temps consacrés au respect de ses obligations en vertu de la Loi.

L’institution mentionne qu’elle est un petit ministère comptant 439 employés et que l’équipe de son bureau de l’AFP compte seulement 4 employés. Au cours du dernier exercice financier, son bureau de l’AIPRP a traité environ 12 000 pages de documents (ce qui comprend l’accès, la protection des renseignements personnels, les consultations et l’examen en vue de la publication proactive). En utilisant ces chiffres comme référence, si c’était la seule demande sur laquelle le bureau de l’AIPRP travaillait, il lui faudrait plus de 6,3 années pour la traiter.

L’institution soutient donc que son bureau de l’AIPRP n’a pas la capacité d’accomplir cette quantité de travail sans que cela ait une incidence considérable sur sa capacité de répondre à d’autres demandes d’accès et à respecter ses autres obligations pour veiller à ce que le ministère soit conforme à la Loi sur l’accès à l’information et à la Loi sur la protection des renseignements personnels. Le temps, les ressources et les efforts requis pour chercher, repérer, récupérer et traiter les documents pertinents empêcheraient d’autres personnes d’exercer leur droit d’accès et entraveraient sérieusement le fonctionnement du bureau de l’AIPRP.

Discussion

La question de savoir si une demande d’accès constituerait un fardeau excessif pour une institution repose sur une évaluation objective des faits. Elle varie selon la nature de la demande d’accès, la taille et le type d’activités, le travail requis pour donner suite à la demande et les répercussions sur le fonctionnement. Dans certains cas, donner suite à une demande d’accès qui constitue un fardeau excessif pour l’institution empêche d’autres personnes d’exercer légitimement leur droit d’accès. Dans de telles situations, l’institution doit également démontrer le lien entre le fardeau excessif et l’entrave au droit d’accès d’autres personnes.

Dans sa réponse à la demande d’autorisation de l’institution, la personne qui a fait la demande d’accès soutient que le nombre estimé de documents n’est pas crédible parce que l’institution n’a pas pris en considération le grand nombre probable de documents en double, d’échanges de courriels et de copies conformes de courriels entre les membres de l’équipe du BPR. La personne affirme également que les documents en double, à eux seuls, vont réduire le nombre total de pages de la demande d’accès de 50 à 75 %. La personne soutient aussi que l’institution n’a pas pris en considération l’exclusion de documents confidentiels du Cabinet potentiels, les documents visés par le secret professionnel de l’avocat et les documents se rapportant à des questions de ressources humaines, ce qui réduira le nombre total de documents et de pages.  

Bien que la Commissaire reconnaisse que la réponse de l’institution à la demande d’accès exclurait les documents en double et les courriels qui sont visés par le secret professionnel de l’avocat ou qui se rapportent aux ressources humaines et les documents confidentiels du Cabinet, elle convient qu’il était approprié que l’institution inclue ces courriels dans son estimation aux fins de la présente demande d’autorisation. L’estimation de l’institution comprend le nombre de documents qui doivent être traités et pas seulement le nombre de documents qui seraient inclus dans la réponse à la demande d’accès. Afin d’évaluer si une demande d’accès constitue un abus du droit de faire une demande de communication, les efforts requis pour trier les documents, éliminer les doubles et exclure des documents peuvent être pris en considération.

La personne qui a fait la demande d’accès est aussi en désaccord avec l’évaluation de l’institution quant à sa capacité et le délai estimé de traitement de la demande. La personne soutient que la Commissaire a accepté l’estimation du nombre quotidien de pages traitées, à savoir 250 pages par employé, dans la décision 2023 CI 47. En se fondant sur ce nombre, de l’avis de la personne, le bureau de l’AIPRP de l’institution devrait être en mesure de traiter 250 000 pages de documents par année.

La Commissaire aimerait signaler à la personne qui a fait la demande d’accès que dans sa décision antérieure 2023 CI 47, elle n’a pas accepté un taux de traitement quotidien de 250 pages par employé. Cette estimation avait été fournie par l’institution et avait trait à la capacité de son bureau du contrôle de la qualité, qui est distinct de son bureau de l’AIPRP. Le bureau du contrôle de la qualité n’effectue pas de tâches comme l’application des exceptions et les consultations auprès de tiers et d’autres institutions.

Cela étant dit, la Commissaire n’est pas convaincue de l’exactitude de l’évaluation qu’a faite l’institution de sa capacité de traiter la demande d’accès. Selon l’institution, son bureau de l’AIPRP, qui compte 4 employés, a la capacité de traiter 12 000 pages par année. Cela équivaut au traitement de 250 pages par mois par employé. Ce nombre semble trop bas, d’autant plus qu’il inclut les documents en double et les pages qui seront exclues parce qu’elles ne sont pas visées par la portée de la demande.

En outre, comme la personne qui a fait la demande d’accès l’a signalé, le Rapport annuel au Parlement de 2022-2023 sur la Loi sur l’accès à l’information de l’institution semble indiquer qu’il lui reste suffisamment de capacité pour traiter cette demande. Comme l’indique le rapport, l’institution a traité 6 890 pages en vertu de la Loi en 2022-2023 et 700 pages en 2021-2022. La Commissaire est consciente que le bureau de l’AIPRP de l’institution doit également traiter des pages de documents en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels, dans le cadre de consultations et pour l’examen en vue de la publication proactive. Cela étant dit, ces chiffres ne lui semblent pas très élevés pour 4 employés. Ce dossier est différent de celui qu’elle a examiné dans la décision 2023 CI 47, dans laquelle elle a accepté la demande d’autorisation parce que l’institution a démontré qu’elle avait un arriéré considérable de demandes et des capacités réduites. L’institution n’a fourni aucune preuve d’un arriéré ni justifié suffisamment en quoi donner suite à la demande contribuerait à sa capacité réduite.

En outre, l’institution n’a fourni aucune explication sur le contexte les documents, notamment de l’information concernant leur nature et leur complexité qui appuierait sa position, à savoir que donner suite à la demande d’accès imposerait un fardeau excessif à son bureau de l’AIPRP, dont la capacité est déjà limitée. La Commissaire reconnaît que les institutions pourraient ne pas avoir récupéré les documents avant de présenter une demande d’autorisation en vertu de l’article 6.1 et pourraient donc ne pas connaître la nature exacte des documents. Cela étant dit, les institutions devraient être en mesure de prévoir le type de documents traités dans le cadre de la demande d’accès. Dans la décision 2023 CI 47, l’institution a également été en mesure de démontrer, après l’évaluation préliminaire, que la demande d’accès donnait lieu à des documents complexes nécessitant des consultations avec des tiers et d’autres gouvernements. En l’espèce, l’institution n’a pas expliqué si elle avait tenu compte du type de documents considérés comme pertinents durant son évaluation préliminaire, y compris le travail qu’elle prévoyait être nécessaire pour traiter les documents. Il est donc difficile de savoir si les documents en cause nécessiteront de longues consultations avec des tiers, par exemple, ou s’ils sont [traduction] « inoffensifs et ne nécessiteront aucune consultation interne ou externe », comme le prétend la personne qui a fait la demande d’accès.

Enfin, la Commissaire est d’avis que l’institution n’a pas fourni suffisamment d’information concernant la charge de travail et les priorités concurrentes pour justifier le délai de réponse prévu, à part affirmer qu’elle a calculé qu’il faudrait plus de 6,3 années pour traiter cette demande si c’était la seule demande d’accès sur laquelle travaillait son bureau de l’AIPRP et plus de 12,6 années si d’autres demandes sont prises en considération. L’institution n’a pas démontré qu’elle avait pris en considération la charge de travail normale des employés du BPR ni en quoi la recherche, la récupération et l’examen des documents ainsi que la formulation de recommandations à leur sujet auraient une incidence sur leur charge de travail normale et nuirait à l’atteinte de leurs objectifs de travail.

Après avoir considéré toutes les observations et les éléments de preuve présentés par l’institution et la personne qui a fait la demande, la Commissaire conclut que l’institution n’a pas fourni suffisamment d’éléments de preuve pour lui permettre de conclure que donner suite à la demande d’accès constituerait un fardeau excessif et qu’elles empêcheraient d’autres personnes d’exercer leur droit d’accès.

L’affirmation de l’institution, à savoir que la demande d’accès imposerait un fardeau excessif à son bureau de l’AIPRP sur une longue période et empêcherait d’autres personnes d’exercer leur droit d’accès, n’est pas appuyée par une preuve suffisante. La Commissaire reconnaît que le nombre estimé de documents pertinents est élevé, mais il ne suffit pas à justifier une demande d’autorisation pour ne pas donner suite à une demande d’accès.

Pour les raisons qui précèdent, la Commissaire conclut que l’institution n’a pas établi que la demande d’accès constitue un abus du droit de faire une demande de communication.

Décision

L’institution n’a pas établi que la demande d’accès satisfaisait un ou plusieurs critères du paragraphe 6.1(1).

La demande d’autorisation est donc rejetée.

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