Exercice du pouvoir discrétionnaire en vertu de la Loi sur l’accès à l’information
Table des matières
- En quoi consiste un pouvoir discrétionnaire?
- Qui peut exercer un pouvoir discrétionnaire?
- Comment exercer le pouvoir discrétionnaire?
- Exceptions à l’égard desquelles l’exercice du pouvoir discrétionnaire est requis
- Éléments nécessaires pour établir que l’exercice du pouvoir discrétionnaire était valide sur le plan juridique et/ou raisonnable
- Références
En quoi consiste un pouvoir discrétionnaire?
La Loi sur l’accès à l’information confère des pouvoirs discrétionnaires aux responsables des institutions. Un pouvoir discrétionnaire est un pouvoir de décider de faire quelque chose ou non. Ce type de pouvoir s’oppose à ceux que les institutions sont tenues d’exercer.
C’est le terme « peut » qui est utilisé lorsque la Loi prévoit un pouvoir discrétionnaire [p. ex. le paragraphe 15(1) : « Le responsable d’une institution fédérale peut refuser la communication de documents contenant des renseignements dont la divulgation risquerait vraisemblablement de porter préjudice à la conduite des affaires internationales […] »].
Par contre, c’est le terme « tenu de » qui est utilisé lorsque la Loi prévoit un pouvoir obligatoire [p. ex. le paragraphe 19(1) : « Sous réserve du paragraphe (2), le responsable d’une institution fédérale est tenu de refuser la communication de documents contenant des renseignements personnels »].
Un pouvoir discrétionnaire donne un choix au décideur, alors qu’un pouvoir obligatoire exige qu’une personne fasse quelque chose. Lorsqu’une décision discrétionnaire est prise, il n’y a généralement pas de bon ou de mauvais choix. Il faut plutôt que le décideur comprenne d’abord qu’il doit exercer son pouvoir discrétionnaire, puis prenne une décision raisonnable.
Qui peut exercer un pouvoir discrétionnaire?
Seule une personne habilitée en vertu de la Loi peut exercer un pouvoir discrétionnaire. Cela signifie que lorsqu’un pouvoir discrétionnaire est conféré au responsable d’une institution, cette personne doit l’exercer elle-même, à moins d’avoir expressément délégué le pouvoir à une autre personne, comme l’autorise la Loi.
L’article 95 permet au responsable d’une institution de déléguer certaines de ses attributions en vertu de la Loi à des cadres ou employés de son institution. Cela permet aux cadres ou employés disposant de la délégation appropriée d’exercer les pouvoirs discrétionnaires qui leur sont délégués, y compris refuser de communiquer des renseignements en vertu des différentes exceptions prévues par la Loi.
Les mentions de l’exercice du pouvoir discrétionnaire dans le présent guide font référence à l’exercice de ce pouvoir par le responsable de l’institution ou par un cadre ou employé ayant la délégation appropriée.
Comment exercer le pouvoir discrétionnaire?
La personne à qui le pouvoir discrétionnaire est conféré ou délégué peut choisir comment l’exercer. Dans la plupart des cas, cette personne est libre d’exercer le pouvoir ou non; elle n’est pas obligée d’agir d’une manière en particulier. Par exemple, en vertu de la Loi, le responsable d’une institution peut décider de communiquer ou non des renseignements qui sont accessibles au public en vertu de l’alinéa 19(2)b).
Il y a cependant des contraintes en ce qui a trait à l’exercice du pouvoir discrétionnaire. La personne doit exercer son pouvoir discrétionnaire de bonne foi, à des fins appropriées, avec impartialité et dans les limites des pouvoirs conférés par la loi.
La personne doit exercer son pouvoir discrétionnaire en se fondant sur tous les facteurs pertinents (et non pas sur des facteurs non pertinents; voir « Tous les facteurs pertinents doivent être pris en considération » pour plus de détails sur les facteurs). Dans ce contexte, les décideurs disposent cependant d’une certaine latitude quant aux décisions qu’ils peuvent prendre et au raisonnement sur lequel reposent ces décisions.
Exceptions à l’égard desquelles l’exercice du pouvoir discrétionnaire est requis
Un grand nombre d’exceptions prévues dans la Loi requièrent que le responsable de l’institution utilise son pouvoir discrétionnaire pour décider de communiquer ou non les renseignements. Il y a également des exceptions obligatoires ayant une composante discrétionnaire permettant la communication.
Exceptions discrétionnaires
Il s’agit d’exceptions au droit d’accès qui ne sont pas obligatoires. Lorsque les renseignements satisfont aux critères de l’exception, le responsable de l’institution ou une personne ayant une délégation doit exercer raisonnablement son pouvoir discrétionnaire pour décider de communiquer ou non les renseignements et, le cas échéant, dans quelle mesure.
Voici les exceptions discrétionnaires prévues dans la Loi :
Disposition | Description sommaire |
---|---|
Article 14 | Affaires fédérales-provinciales |
Paragraphe 15(1) | Affaires internationales, sécurité nationale ou défense |
Alinéa 16(1)a) Alinéa 16(1)b) Alinéa 16(1)c) Alinéa 16(1)d) | Organismes d’enquêtes Techniques ou projets d’enquêtes Application des lois ou déroulement d’enquêtes Sécurité des établissements pénitentiaires |
Paragraphe 16(2) | Faciliter la perpétration d’une infraction |
Article 16.3 | Documents se rapportant à des enquêtes, des examens et des révisions aux termes de la Loi électorale du Canada |
Article 17 | Sécurité des individus |
Alinéa 18a) Alinéa 18b) Alinéa 18c) Alinéa 18d) | Secrets industriels du gouvernement ou renseignements financiers, commerciaux, scientifiques ou techniques du gouvernement Compétitivité des institutions fédérales ou négociations des institutions fédérales Renseignements scientifiques ou techniques obtenus de la recherche gouvernementale Intérêts financiers du gouvernement ou capacité du gouvernement du Canada de gérer l’économie ou avantage injustifié à une personne |
Paragraphe 18.1(1) | Secrets industriels ou renseignements financiers, commerciaux, scientifiques ou techniques de nature confidentielle appartenant à la Société canadienne des postes, Exportation et Développement Canada, l’Office d’investissement des régimes de pension du secteur public et VIA Rail Canada Inc. |
Alinéa 21(1)a) Alinéa 21(1)b) Alinéa 21(1)c) Alinéa 21(1)d) | Avis ou recommandations Comptes rendus de consultations ou de délibérations Positions ou plans élaborés pour des négociations Projets relatifs à la gestion du personnel ou à l’administration |
Article 22 | Essais, épreuves, examens ou vérifications |
Paragraphe 22.1(1) | Rapports préliminaires de vérification interne et leurs documents de travail |
Article 23 | Secret professionnel de l’avocat et privilège relatif à un litige |
Article 23.1 | Brevets ou marques de commerce |
Article 26 | Renseignements à être publiés |
Exceptions obligatoires ayant une composante discrétionnaire permettant la communication
Dans le cadre des exceptions obligatoires, l’institution ne doit pas communiquer les documents demandés lorsque les renseignements satisfont aux critères de l’exception. Cependant, les exceptions obligatoires suivantes comportent des exceptions exigeant que l’institution décide si elle communique ou non les documents même s’ils satisfont aux critères :
Disposition | Description sommaire |
---|---|
Paragraphe 13(1) | Renseignements confidentiels d’organismes gouvernementaux
|
Paragraphe 19(1) | Renseignements personnels
|
Article 20 | Renseignements de tiers
|
Lorsqu’elles ont l’intention de refuser de communiquer des renseignements en vertu de ces exceptions, les institutions doivent faire ce qui suit quand elles répondent à la demande d’accès :
- établir raisonnablement si les circonstances décrites dans l’exception existent, afin d’établir si le pouvoir discrétionnaire doit être exercé;
- lorsque les circonstances existent, exercer raisonnablement le pouvoir discrétionnaire quant à la décision de communiquer ou non les renseignements.
Même si l’existence d’une circonstance permet à l’institution de communiquer les renseignements, elle a toujours le pouvoir discrétionnaire de refuser de le faire (voir, par exemple, Fontaine). Cependant, l’institution devra généralement expliquer quels facteurs elle a pris en considération lorsqu’elle a décidé de ne pas communiquer les renseignements alors que leur communication était permise.
Dans le cas d’une exception obligatoire ayant une composante discrétionnaire, l’institution doit raisonnablement établir si les circonstances existaient au moment où elle a répondu à la demande d’accès.
Le caractère raisonnable constitue l’élément clé (voir « Caractère raisonnable de l’exercice du pouvoir discrétionnaire » pour plus de détails); par exemple, en vertu de l’alinéa 19(2)a), une institution doit faire des efforts raisonnables pour obtenir le consentement de l’individu que les renseignements personnels concernent (Fontaine). Sinon, l’institution doit démontrer qu’obtenir le consentement de l’individu dépasserait le cadre des efforts raisonnables exigés. Dans ces circonstances, il n’est alors pas requis d’obtenir le consentement.
Il pourrait aussi y avoir des situations où l’institution n’a manifestement pas à se demander si les circonstances permettant la communication existent, en raison de la nature des renseignements (p. ex. obtenir le consentement de l’individu à la divulgation de son numéro d’assurance sociale ou de ses renseignements bancaires).
Éléments nécessaires pour établir que l’exercice du pouvoir discrétionnaire était valide sur le plan juridique et/ou raisonnable
Si les éléments ci-dessous ne sont pas satisfaits, l’exercice du pouvoir discrétionnaire n’est pas valide sur le plan juridique et/ou n’est pas raisonnable.
Légalité de l’exercice du pouvoir discrétionnaire
Seul le responsable de l’institution ou un cadre ou employé ayant la délégation appropriée peut exercer le pouvoir discrétionnaire au nom de l’institution. Si une personne n’ayant pas la délégation appropriée le fait, l’exercice du pouvoir discrétionnaire n’est pas valide.
Preuve indiquant que le pouvoir discrétionnaire a été exercé
Il est important que l’institution comprenne qu’elle avait un pouvoir discrétionnaire et qu’elle devait l’exercer. Si ce n’est pas démontré par la preuve, il est impossible de conclure que le pouvoir discrétionnaire a été exercé.
Caractère raisonnable de l’exercice du pouvoir discrétionnaire
L’exercice du pouvoir discrétionnaire doit être raisonnable.
Le pouvoir discrétionnaire exercé par une institution n’est pas déraisonnable du simple fait qu’une autre personne ait pris une décision différente. Cela tient au fait que, souvent, l’exercice raisonnable d’un pouvoir discrétionnaire ne se limite pas à un seul résultat possible.
Dans le contexte de l’application des exceptions, l’exercice du pouvoir discrétionnaire peut donner lieu à la décision de communiquer les renseignements ou à celle de refuser de les communiquer. Bien souvent, l’une ou l’autre de ces décisions peut s’avérer raisonnable.
Cependant, il arrive que ce ne soit pas le cas. Par exemple, lorsque les critères d’une exception discrétionnaire à une exception obligatoire sont satisfaits [p. ex. un consentement en vertu du paragraphe 19(2)] et il n’y a aucun facteur à l’appui du refus de communication, le seul résultat raisonnable pourrait être la communication des renseignements.
L’exercice du pouvoir discrétionnaire doit être transparent et intelligible
La décision de l’institution doit être transparente et intelligible.
Si les motifs de la décision d’une institution sont inexistants, opaques ou autrement indiscernables, et si la preuve et les observations ne permettent pas de comprendre les motifs pour lesquels le décideur a pris sa décision, le critère selon lequel l’exercice du pouvoir discrétionnaire doit être transparent et intelligible n’est pas satisfait (Leahy).
Tous les facteurs pertinents doivent être pris en considération
Le caractère raisonnable de l’exercice du pouvoir discrétionnaire par une institution nécessite que l’institution prenne en considération tous les facteurs pertinents. Ceux-ci dépendront des circonstances de la demande d’accès.
L’institution ne devrait pas prendre en considération des facteurs non pertinents ou inappropriés (p. ex. l’embarras que la communication pourrait lui causer) lorsqu’elle exerce son pouvoir discrétionnaire. Si elle le fait, cela mine l’affirmation de l’institution selon laquelle son exercice du pouvoir discrétionnaire était raisonnable.
Les institutions doivent faire un effort intellectuel sérieux lorsqu’elles exercent leur pouvoir discrétionnaire. (Défense nationale, Transports Canada, Bronskill). Cela signifie qu’elles doivent prendre en considération les facteurs en faveur et à l’encontre de la communication, et ce, de manière complète et transparente.
Voici une liste non exhaustive de facteurs qui pourraient être pertinents lorsqu’une institution exerce son pouvoir discrétionnaire dans le contexte de l’application des exceptions prévues par la Loi :
Exceptions discrétionnaires
- L’objet de la Loi
- L’objet de l’exception invoquée
- L’intérêt public dans la communication
- Le risque de préjudice découlant de la communication
- L’âge des documents
- La nature des documents
Exceptions obligatoires ayant une composante discrétionnaire permettant la communication (lorsque les circonstances existent)
- Les facteurs énumérés ci-dessus
- L’existence des circonstances exigeant que le pouvoir discrétionnaire soit exercé
Lorsqu’il enquête sur une plainte, le Commissariat doit être d’avis, en fonction des observations et des documents liés au processus de prise de décision, que l’institution a pris en considération tous les facteurs pertinents au moment d’exercer son pouvoir discrétionnaire. L’institution ne doit pas tout simplement se contenter de déclarer que tous les facteurs pertinents aient été pris en considération; cela dit, elle n’est pas tenue de fournir une analyse détaillée de chaque facteur et de la manière dont ils ont été soupesés les uns en fonction des autres (Premier ministre, Défense nationale).
Dans certains cas, il est possible d’inférer que l’institution a pris en considération des facteurs pertinents même si elle n’en a pas expressément fait mention dans ses observations. Dans certains cas, cependant, le résultat d’une décision peut dépendre d’un facteur critique que l’institution aurait dû avoir expressément identifié et considéré, compte tenu de son importance (et qu’il n’est peut-être pas possible d’inférer).
Inférences
Une inférence est une « opération logique par laquelle on admet une proposition en vertu de sa liaison avec d’autres propositions déjà tenues pour vraies » (Petit Robert).
Par exemple, si le dossier de traitement d’une institution indique qu’un décideur ayant une délégation a pris en considération tous les facteurs pertinents lors de son exercice du pouvoir discrétionnaire en vertu d’une exception, il serait raisonnable d’inférer qu’il a également pris ces facteurs en considération lorsqu’il a exercé son pouvoir discrétionnaire quant au refus de communiquer les mêmes renseignements en vertu d’une autre exception (voir Premier ministre).
Cependant, en l’absence de preuve ou en présence de preuve insuffisante indiquant qu’une personne ayant une délégation a exercé son pouvoir discrétionnaire ou pris en considération les facteurs pertinents, il ne faut pas inférer l’exercice du pouvoir discrétionnaire relativement à tous les facteurs pertinents (Attaran). Il convient de faire des inférences uniquement sur la base de faits établis (Administration portuaire de Toronto).
Moment auquel le pouvoir discrétionnaire est exercé
Les décisions discrétionnaires sont examinées au moment où elles ont été prises. Seuls les facteurs qui existaient au moment où le pouvoir discrétionnaire a été exercé sont pertinents. Si de nouveaux facteurs se présentent plus tard, ils n’ont aucune incidence sur le caractère raisonnable de l’exercice du pouvoir discrétionnaire.
On ne peut pas reprocher à un décideur de ne pas avoir pris en considération des facteurs qui n’existaient pas au moment où son pouvoir discrétionnaire a été exercé.
Références
Attaran c. Canada (Affaires étrangères), 2011 CAF 182 (CanLII) (Attaran)
Bronskill c. Canada (Patrimoine canadien), 2011 CF 983 (CanLII), [2013] 2 RCF 563 (Bronskill)
Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Défense nationale), 2015 CAF 56 (CanLII), [2016] 1 RCF 213 (Défense nationale)
Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Transports), 2016 CF 448 (CanLII), [2016] 4 RCF 281 (Transports Canada)
Canada (Commissariat à l’information) c. Administration portuaire de Toronto, 2016 CF 683 (CanLII) (Administration portuaire de Toronto)
Canada (Commissariat à l’information) c. Canada (Premier ministre), 2019 CAF 95 (CanLII) (Premier ministre)
Fontaine c. Canada (Gendarmerie royale du Canada), 2009 CAF 150 (CanLII) (Fontaine)
Leahy c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CAF 227 (CanLII), [2014] 1 RCF 766 (Leahy)