Décision en vertu de l’article 6.1, 2020 CI 17
Janvier 2020
Sommaire
Une institution a demandé à la commissaire à l’information l’autorisation de ne pas donner suite à une demande d’accès à l’information en vertu du paragraphe 6.1(1) de la Loi sur l’accès à l’information (la Loi).L’institution allègue que la demande d’accès est vexatoire et qu’elle constitue un abus du droit de faire une demande.
L’institution a expliqué que le demandeur était mécontent de la manière dont l’institution s’était occupée de ses affaires et qu’au cours des 17 années qui se sont écoulées depuis, il a soumis un total de 893 demandes, dont beaucoup sont étroitement liées.
La demande est-elle vexatoire?
Le terme « vexatoire » n’est pas défini dans la Loi. Par « vexatoire », on entend généralement l’intention de contrarier, de harceler, d’embarrasser ou de causer un malaise. Toutefois, comme l’a mentionné le juge Stratas dans Canada c. Olumide, 2017 CAF 42, pour définir le terme « vexatoire », il est préférable d’éviter d’être trop précis; la conduite vexatoire prend des formes et des aspects multiples, et doit par conséquent être évaluée au cas par cas. De plus, lorsqu’on évalue si une demande d’accès est vexatoire en vue de justifier de ne pas y donner suite, les commissaires à l’information d’autres ordres de gouvernement au Canada ont déterminé pour être vexatoire, une demande d’accès à l’information doit être plus qu’une question de contrariété ou de désagrément pour l’institution (voir : Insurance Corporation of British Columbia (Re),[2002] B.C.I.P.C.D. No 57 [Commissariat à l’information et à la protection de la vie privée de la Colombie-Britannique],au par. 4 [en anglais seulement]). La commissaire est d’accord avec cette interprétation.
La commissaire a expliqué que, bien qu’elle ne soit pas tenue de se soumettre aux décisions de ses homologues provinciaux, elle les a trouvées instructives, car elles fournissent davantage d’orientation quant à la signification de « vexatoire » dans le contexte des droits d’accès. Dans BC Transit, ordonnance F19-44, en date du 10 décembre 2019, l’ancien commissaire à l’information et à la protection de la vie privée de la Colombie-Britannique, David Loukidelis, a fourni une liste non exhaustive de facteurs à prendre en considération pour déterminer si une demande est frivole ou vexatoire en vertu des lois en vigueur. Dans cette décision, la commissaire à l’information a noté les points suivants en particulier :
- une demande frivole ou vexatoire est une demande qui constitue un abus des droits conférés par la Loi;
- la décision quant à savoir si une demande est frivole ou vexatoire doit, dans chaque cas, tenir compte des fins législatives de la Loi;
- le fait qu’une ou plusieurs demandes soient répétitives peut, parallèlement à d’autres facteurs, appuyer la conclusion qu’une demande précise est vexatoire.
Par ailleurs, dans Edmonton Police Service, dossiers 3448 et 3449 du Commissariat à l’information et à la protection de la vie privée de l’Alberta, au paragraphe 28, on a relevé les facteurs suivants qui pourraient justifier la conclusion qu’une demande est vexatoire :
- une même demande présentée à répétition par une personne ou un groupe de personnes travaillant ensemble dans le cadre d’un effort concerté;
- des antécédents de demandes d’accès à l’information visant à harceler ou tout le moins à contrarier un organisme public, ou une tendance en ce sens;
- un volume excessif de demandes d’accès à l’information;
- le moment auquel sont présentées les demandes d’accès à l’information.
Caractère répétitif : L’institution a identifié 15 demandes d’accès à l’information antérieures qui, selon elle, étaient redondantes ou essentiellement similaires à la demande d’accès à l’information en cause. Après examen, la commissaire a déterminé que onze de ces demandes d’accès à l’information étaient redondantes ou essentiellement similaires.
La commissaire n’a pas été persuadée par l’argument du demandeur que les demandes d’accès à l’information répétitives sont nécessaires en raison de prétendus changements à la terminologie utilisée par l’institution ou que différents documents sont demandés en raison de différences dans la formulation. Au vu de l’ensemble des éléments probants, la commissaire était convaincue que toute l’information actuellement demandée se trouve dans au moins une des demandes d’accès à l’information antérieures présentées par le demandeur à l’institution.
Dans certains cas, un changement de circonstances ou la perte de documents déjà obtenus peut créer une situation où il est justifié de présenter une demande en double ou une demande essentiellement similaire. Le demandeur n’a pas fait part de circonstances justifiant la présentation d’une demande en double ou de demandes essentiellement similaires.
La commissaire a conclu que l’institution a établi, selon la prépondérance des probabilités, que la demande d’accès à l’information est vexatoire.
La demande constitue-t-elle un abus du droit de faire une demande d’accès à l’information?
Par « abus », on entend généralement un usage excessif ou inapproprié. Le volume de demandes d’accès à l’information en soi n’est pas suffisant pour permettre de conclure à un abus. Toutefois, le volume, parallèlement à d’autres facteurs, peut permettre de conclure à un abus du droit d’accès à l’information. (voir London Police Services Board (re) (1995), ordonnance M618 [Commissaire à l’information et à la protection de la vie privée de l’Ontario])
Dans Saskatchewan (Advanced Education) (Re), 2010 CanLII 28547 (Commissariat à l’information et à la protection de la vie privée de la Saskatchewan), l’ancien commissaire à l’information et à la protection de la vie privée de la Saskatchewan, Gary Dickson, a cerné certains de ces facteurs. Il a déterminé que la nature répétitive des demandes, en combinaison avec la manière cyclique dont les demandes d’accès et les demandes de révision étaient soumises, ont mené à une conclusion d’abus du processus.
L’abus du droit d’accès doit être examiné au cas par cas et, dans certaines situations, peut être établi d’après une combinaison de facteurs.
L’institution affirmait que la demande d’accès constituait un abus du droit d’accès pour les raisons suivantes :
- le demandeur a soumis un grand nombre de demandes (893) et plus de 1 000 plaintes auprès du Commissariat à l’information;
- le demandeur a l’habitude de soumettre des demandes d’accès à l’information pour de l’information déjà reçue ou pour de l’information qu’on lui avait déjà indiquée comme n’existant pas;
- le demandeur a démontré un comportement visant à harceler l’institution en guise de représailles pour la manière dont son affaire a été traitée.
La commissaire n’était pas d’accord avec toutes les assertions avancées par l’institution, mais elle était convaincue que l’institution a démontré que la demande constitue un abus du droit d’accès dans les circonstances de cette affaire. En particulier, elle a conclu que le grand nombre de demandes d’accès à l’information présentées par le demandeur, la nature répétitive des onze demandes, surtout en dépit du fait que l’institution a fait savoir au demandeur que dans certains cas il n’existait pas de document, et les plaintes récurrentes auprès du Commissariat à l’information du Canada au sujet de ces demandes, constituent un abus du droit d’accès.
Résultat
La commissaire a autorisé la demande. L’institution est tenue d’informer le demandeur si elle décide de refuser de donner suite à la demande d’accès à l’information et d’expliquer ses raisons.