Patrimoine canadien (Re), 2020 CI 10
Date : 2020-12-16
Numéro de dossier du Commissariat : 5820-00645
Numéro de dossier de l’institution : S.O.
Sommaire
[1] La Commissaire à l’information a pris l’initiative de déposer une plainte contre le ministère du Patrimoine canadien (PCH) après avoir appris que l’institution avait suspendu le traitement de ses demandes d’accès en raison de la pandémie de COVID-19. L’enquête a révélé qu’entre le 16 mars et le 10 juillet 2020, le personnel du Secrétariat de l’accès à l’information et de la protection des renseignements personnels de PCH n’a pas eu accès à son lieu de travail et a été incapable d’accéder à distance au réseau ministériel. Cela a créé un arriéré de 224 demandes d’accès.
[2] La plainte est fondée, car l’absence de réponse de PCH aux 224 demandes ne respectait pas les conditions établies au paragraphe 9(1) et, par conséquent, contrevenait au droit d’accès quasi constitutionnel prévu par la Loi.
[3] La Commissaire a fait six recommandations au ministre du Patrimoine canadien et celui-ci a accepté de prendre des mesures correctives afin que PCH respecte pleinement ses obligations en vertu de la Loi.
Plainte
[4] J’ai pris l’initiative de déposer une plainte contre le ministère du Patrimoine canadien (PCH) après avoir appris qu’il avait suspendu le traitement de ses demandes d’accès à l’information en raison des mesures prises en réponse à la pandémie de COVID-19 au Canada.
Enquête
[3] L’enquête a révélé que pendant une période de quatre mois, soit du 16 mars au 10 juillet 2020, le personnel du Secrétariat de l’accès à l’information et de la protection des renseignements personnels (AIPRP) de PCH n’a pas eu accès à son lieu de travail et a été incapable d’accéder à distance au réseau ministériel.
[4] PCH admet avoir pris la décision de suspendre ses activités d’accès à l’information suivant la recommandation de son Comité central de gestion de crise. Cette recommandation se fondait sur les directives émises par les organismes centraux, l’administratrice en chef de la santé publique du Canada ainsi que les autorités locales et provinciales de santé publique, qui suggéraient que tous les employés devraient faire du télétravail, dans la mesure du possible, pour atténuer la propagation de la COVID-19. Dans le cas qui nous occupe, le personnel du Secrétariat de l’AIPRP de PCH était incapable de faire du télétravail pour les raisons suivantes :
- PCH ne considérait pas l’accès à l’information comme un service critique ou prioritaire;
- tous les dossiers d’accès à l’information et le logiciel connexe se trouvaient sur un réseau indépendant sécurisé (désigné « Secret ») et, par conséquent, n’étaient pas accessibles à distance;
- le seul moyen d’accéder aux dossiers et au logiciel connexe était de se rendre sur place.
[5] L’enquête a également révélé que la décision prise par PCH de suspendre ses activités d’accès à l’information entre le 16 mars et le 10 juillet 2020 a créé un arriéré de 224 demandes d’accès qui n’ont pas reçu de réponse. PCH a repris ses activités d’accès à l’information le 13 juillet 2020, soit un mois après que j’ai entrepris mon enquête.
[6] La Loi exige que le responsable d’une institution réponde aux demandes d’accès 30 jours après les avoir reçues, à moins que l’institution remplisse les conditions précises établies au paragraphe 9(1) pour demander une prorogation du délai. Cette disposition permet aux institutions de proroger le délai établi dans la Loi d’une période raisonnable, compte tenu des circonstances, si elles remplissent les deux conditions suivantes :
- la demande vise un grand nombre de documents et il faut effectuer d’amples recherches pour donner suite à la demande;
- l’observation du délai entraverait de façon sérieuse le fonctionnement de l’institution.
[7] L’absence de réponse de PCH aux 224 demandes d’accès reçues entre le 16 mars et le 10 juillet 2020 ne se fondait sur aucune des conditions précises établies au paragraphe 9(1) et, par conséquent, contrevenait au droit d’accès quasi constitutionnel prévu par la Loi.
Résultats
- La plainte est fondée.
Recommandations
[8] Le 7 octobre 2020, j’ai transmis au ministre du Patrimoine canadien mon rapport, dans lequel je présentais mes recommandations. Le ministre a répondu le 10 novembre 2020 et s’est engagé à prendre les mesures nécessaires pour assurer le respect du droit d’accès des Canadiens.
Recommandation 1 : Tenir compte du statut quasi constitutionnel de la Loiet du fait que celle-ci n’autorise pas la cessation des activités d’accès à l’information dans les plans opérationnels ministériels de PCH.
[9] Dans sa réponse, le ministre du Patrimoine canadien tenait à m’assurer que, bien que des « choix difficiles » aient été faits au début de la pandémie, dorénavant, PCH s’engage à donner aux Canadiens accès à l’information en tout temps et que des mesures seront prises pour garantir la pleine conformité à l’esprit et à l’intention de la Loi.
[10] Même si la pandémie actuelle continue de présenter un certain nombre de défis, je suis convaincue que le ministre du Patrimoine canadien et les hauts fonctionnaires de son ministère reconnaissent maintenant le statut quasi constitutionnel de la Loi et le fait que celle-ci n’autorise pas la cessation des fonctions d’accès à l’information. Cela étant dit, la réponse du ministre ne mentionne pas la nécessité de réviser les plans opérationnels actuels du Ministère afin d’éliminer les obstacles qui l’empêcheraient de se conformer entièrement à la Loi. À défaut de quoi, si les plans opérationnels actuels sont maintenus, le droit d’accès des Canadiens pourrait être de nouveau enfreint lors de situations d’urgence futures. J’incite le ministre du Patrimoine canadien à revoir cette partie de ma recommandation et en tenir compte lorsque le plan de continuité des activités de PCH sera mis à jour.
Recommandation 2 : Affecter les ressources nécessaires au traitement, d’ici le 31 mars 2021, de l’arriéré de demandes accumulé à la suite de la suspension par PCH de ses activités d’accès à l’information.
[11] Dans sa réponse, le ministre s’est engagé à traiter l’arriéré découlant de la suspension des activités d’accès à l’information, mais ne s’est pas engagé à le faire d’ici le 31 mars 2021. Le ministre a indiqué que des ressources supplémentaires avaient été affectées au bureau de l’AIPRP de PCH pour contribuer à la réduction de l’arriéré et que l’institution évaluerait sa charge de travail tous les trimestres afin de voir si les ressources en place suffisent.
[12] Le fait qu’il s’engage à traiter l’arriéré de demandes et à évaluer proactivement les ressources dont a besoin le bureau de l’AIPRP de PCH pour accomplir cette tâche est encourageant.
Recommandation 3 : Respecter l’engagement pris par PCH de fournir au Commissariat à l’information une évaluation et un plan détaillés pour le traitement de sa charge de travail en matière d’accès à l’information et publier proactivement ces documents d’ici le 16 novembre 2020.
[13] Dans sa réponse, le ministre a garanti que PCH avait procédé à une analyse détaillée et avait mis au point une stratégie pour traiter l’arriéré de 224 demandes d’accès découlant de la suspension de ses activités d’accès à l’information. Plus particulièrement, le ministre a indiqué que la stratégie de PCH comprendrait les mesures suivantes : 1) répondre aux demandes prêtes à être communiquées pour les semaines du 16 et du 23 mars 2020; 2) traiter les demandes prioritaires concernant les initiatives relatives à la COVID-19 du gouvernement du Canada; 3) continuer à traiter les dossiers datant d’avant mars 2020; 4) commencer à traiter les dossiers reçus du 16 mars au 13 juillet 2020.
[14] Au moment de publier le présent compte rendu, PCH avait confirmé que toutes les demandes reçues durant la suspension des services avaient été attribuées et que 45 % d’entre elles avaient été traitées. De plus, PCH a publié proactivement sa stratégie sur la reprise des activités du Secrétariat de l’AIPRP et l’état de la progression de celle-ci sur son site Web. À ce rythme, je me permets de croire que PCH sera en mesure de suivre cette recommandation et d’éliminer l’arriéré découlant de la suspension de ses activités d’ici la fin de l’exercice en cours.
Recommandation 4 : Mettre en œuvre son plan de migrer les dossiers de niveau « Protégé B » (ou inférieur) d’un serveur « Secret » à un serveur désigné « Protégé B » afin d’en faciliter l’accès à distance par le personnel de l’AIPRP.
Recommandation 5 : Veiller à ce que les membres de l’équipe de l’AIPRP de PCH aient accès au réseau ministériel et au logiciel d’accès à l’information en tout temps, afin que le Ministère soit toujours en mesure de répondre aux demandes d’accès.
Recommandation 6 : Continuer de faire l’essai de processus sans papier pour l’AIPRP à PCH.
[15] En réponse aux recommandations ci-dessus, le ministre a indiqué que PCH travaille en partenariat avec Services partagés Canada pour acquérir un serveur avec accès à distance sur lequel héberger tous les dossiers de classification « Protégé B » ou inférieure. Le nouveau serveur, assorti de tous les logiciels requis, permettra au personnel de l’AIPRP du Ministère de répondre aux demandes à distance d’ici la fin de décembre 2020. Entre-temps, les bureaux de première responsabilité ont commencé à transmettre électroniquement des documents depuis la reprise des activités d’accès à l’information le 13 juillet 2020 et PCH collabore activement avec le Bureau du dirigeant principal de l’information afin d’offrir de la formation sur la transmission électronique de documents aux agents de liaison de l’AIPRP.
[16] Compte tenu de l’adoption massive de modalités de travail souples, les institutions fédérales doivent consacrer suffisamment de ressources au respect du droit d’accès des Canadiens. Comme 85 % des documents de PCH sont de classification « Protégé B » ou inférieure, il est rassurant d’apprendre que le Ministère s’est engagé à faciliter l’accès à distance à ceux-ci par le personnel de l’AIPRP. PCH aura ainsi une plus grande souplesse pour assurer le maintien des fonctions d’AIPRP durant les situations d’urgence futures, quand l’accès aux bureaux sera restreint.
[17] Dans le contexte de la pandémie actuelle, la transparence du gouvernement fédéral et le système d’accès à l’information sont plus importants que jamais. L’accès à l’information est l’un des principaux piliers de la responsabilité du gouvernement et de la démocratie au Canada. Non seulement la suspension complète des activités d’accès pendant quatre mois n’était pas autorisée par la Loi, mais elle contrastait nettement avec la situation d’autres institutions fédérales qui ont adopté des mesures pour assurer le maintien des activités d’accès à l’information malgré les défis que posait la pandémie sur le plan opérationnel.
[18] PCH est en train de mettre en œuvre mes recommandations. Je surveillerai ses progrès au cours de futures enquêtes sur des plaintes concernant l’accès à l’information, en espérant que l’institution aura pris les mesures nécessaires pour respecter ses obligations en matière d’accès à l’information, comme le prescrit la Loi.
[19] Une pandémie ou, en fait, toute situation d’urgence, ne suspend pas le droit d’accès des Canadiens ni la nécessité de faire preuve de transparence.
Caroline Maynard
Commissaire à l’information du Canada