VIA Rail Canada Inc. (Re), 2020 CI 15
Date : 2020-12-14
Numéro de dossier du Commissariat : 3217-00399
Numéro de dossier de l’institution : 16-1656
Sommaire
La partie plaignante a contesté la décision de VIA Rail de refuser de communiquer, en vertu de plusieurs alinéas de la Loi sur l’accès à l’information, des renseignements liés à une proposition de train à grande fréquence. VIA Rail n’a pas démontré que ces renseignements étaient visés par les exceptions invoquées. De plus, VIA Rail n’a pas effectué l’exercice de prélèvement visant à communiquer les renseignements qui n’étaient pas visés par une exception. La Commissaire à l’information a recommandé que VIA Rail entreprenne un tel exercice, communique tout renseignement ne satisfaisant pas aux critères de l’exception de même qu’exerce son pouvoir discrétionnaire en ce qui a trait aux autres renseignements en cause. VIA Rail a répondu qu’elle serait disposée à envisager de mettre en œuvre les recommandations de la Commissaire, mais à une date ultérieure. La plainte est fondée.
Plainte
[1] La partie plaignante a contesté la décision de VIA Rail de refuser de communiquer environ 300 pages de renseignements en vertu des alinéas 18b) (compétitivité des institutions fédérales), 18d) (Intérêts financiers du gouvernement), 18.1(1)d) (secrets industriels de VIA Rail), 21(1)a) (avis ou recommandations) et 21(1)b) (comptes rendus de consultations ou de délibérations) de la Loi sur l’accès à l’information. Ces renseignements portent sur la proposition de train à grande fréquence (TGF) de VIA Rail.
Enquête
[2] Il incombe au responsable de l’institution fédérale de prouver que les renseignements non communiqués sont visés par les exceptions invoquées.
[3] Au cours de l’enquête, le Commissariat à l’information a demandé à VIA Rail de présenter des observations, conformément à l’alinéa 35(2)b) de la Loi.
[4] Je suis d’avis que VIA Rail ne s’est pas acquittée du fardeau qui lui incombait de démontrer que les exceptions s’appliquaient à tous les renseignements en cause.
Alinéa 18b) : compétitivité des institutions fédérales
[5] L’alinéa 18b) permet aux institutions de refuser de communiquer des renseignements dont la divulgation risquerait vraisemblablement de nuire à la compétitivité ou d’entraver des négociations contractuelles ou autres d’une institution fédérale.
[6] Pour invoquer cette exception relativement à la compétitivité, les institutions doivent démontrer ce qui suit :
- la divulgation de ces renseignements pourrait nuire à la compétitivité d’une institution fédérale;
- il y a une attente raisonnable que ce préjudice puisse être causé; l’attente doit être bien au‑delà d’une simple possibilité.
[7] Pour invoquer cette exception relativement à l’entrave de négociations contractuelles ou autres, les institutions doivent démontrer ce qui suit :
- des négociations contractuelles ou autres sont en cours ou seront menées ultérieurement;
- les négociations sont associées aux intérêts économiques du Canada;
- la divulgation des renseignements pourrait nuire aux négociations;
- il y a une attente raisonnable que ce préjudice puisse être causé; l’attente doit être bien au‑delà d’une simple possibilité.
[8] Lorsque ces critères sont satisfaits, les institutions doivent alors exercer raisonnablement leur pouvoir discrétionnaire pour décider de communiquer ou non les renseignements.
L’information satisfait‑elle aux critères de l’exception?
[9] L’enquête a révélé que certains renseignements non communiqués pourraient satisfaire aux critères de l’exception. Les documents contiennent des renseignements sur des prévisions financières. Bien que l’enquête ait effectivement révélé que l’alinéa 18b) pourrait s’appliquer à certaines parties des documents, ce n’est certainement pas le cas de tous les renseignements en cause. VIA Rail n’a pas adéquatement prélevé les renseignements qui ne satisfaisaient pas aux critères de l’exception. En outre, VIA Rail n’a pas étayé l’application de l’alinéa 18b) en démontrant en quoi la communication des renseignements nuirait à sa compétitivité ni n’a établi la preuve d’un risque de préjudice qui soit plus qu’une simple possibilité.
[10] Je suis d’avis que la totalité des renseignements non communiqués en vertu de l’alinéa 18b) ne satisfait pas aux critères de l’exception.
Alinéa 18d) : intérêts financiers du gouvernement
[11] L’alinéa 18d) permet aux institutions de refuser de communiquer des documents qui comprennent des renseignements dont la communication risquerait vraisemblablement de nuire considérablement à leurs intérêts financiers ou à la capacité du gouvernement du Canada de gérer l’économie canadienne ou causer des avantages injustifiés à une personne.
[12] Pour invoquer cette exception, les institutions doivent démontrer ce qui suit :
- la divulgation des renseignements (par exemple, des détails sur la monnaie canadienne ou une modification envisagée du taux d’intérêt bancaire, comme le prévoient les sous‑alinéas 18(i) à (vi)) pourrait avoir l’une des conséquences suivantes :
- porterait un préjudice important aux intérêts financiers ou économiques d’une institution fédérale;
- porterait un préjudice important à la capacité du gouvernement du Canada de gérer l’économie du pays;
- ferait en sorte qu’une personne ou une société reçoive un avantage plus important que nécessaire, inapproprié ou injustifié.
- il y a une attente raisonnable que ce préjudice puisse être causé; l’attente doit être bien au‑delà d’une simple possibilité.
[13] Lorsque ces critères sont satisfaits, les institutions doivent alors exercer raisonnablement leur pouvoir discrétionnaire pour décider de communiquer ou non les renseignements.
L’information satisfait‑elle aux critères de l’exception?
[14] L’enquête a révélé que certains renseignements non communiqués pourraient satisfaire aux critères de l’exception. Cela comprend des renseignements financiers et commerciaux ventilés ainsi que certaines prévisions financières. Bien que l’enquête ait révélé que l’alinéa 18d) pourrait s’appliquer à certaines parties des documents, ce n’est certainement pas le cas de tous les renseignements en cause. Ici encore, VIA Rail n’a pas étayé l’application de l’alinéa 18d) en démontrant en quoi la communication des renseignements risquerait vraisemblablement de porter un préjudice important à ses intérêts financiers, au‑delà de la simple spéculation.
[15] Je suis d’avis que la totalité des renseignements non communiqués en vertu de l’alinéa 18d) ne satisfait pas aux critères de l’exception.
Alinéa 18.1(1)d) : secrets industriels de VIA Rail
[16] L’alinéa 18.1(1)d) permet aux institutions de refuser de communiquer des secrets industriels ou des renseignements financiers, commerciaux, scientifiques ou techniques de nature confidentielle appartenant à VIA Rail Canada Inc.
[17] Pour invoquer cette exception relativement à des secrets industriels, les institutions doivent démontrer ce qui suit :
- les renseignements sont un secret industriel, soit un plan ou procédé, un outil, un mécanisme ou un composé qui possède toutes les caractéristiques suivantes :
- ils sont secrets, c’est‑à‑dire qu’ils ne sont connus que par un seul individu ou un nombre restreint de personnes;
- l’institution a agi avec l’intention de traiter les renseignements comme étant secrets;
- les renseignements ont une application pratique dans le secteur industriel ou commercial;
- l’institution a un intérêt digne d’être protégé par la loi (c’est‑à‑dire un intérêt économique).
- le secret industriel appartient à l’une des quatre institutions susmentionnées;
- cette institution a toujours traité les renseignements comme étant confidentiels.
[18] Pour invoquer cette exception relativement aux renseignements financiers, commerciaux, scientifiques ou techniques, les institutions doivent démontrer ce qui suit :
- les renseignements sont financiers, commerciaux, scientifiques ou techniques;
- les renseignements appartiennent à une des institutions susmentionnées;
- cette institution a toujours traité les renseignements comme étant confidentiels.
[19] Lorsque ces critères sont satisfaits, les institutions doivent alors exercer raisonnablement leur pouvoir discrétionnaire pour décider de communiquer ou non les renseignements.
[20] Toutefois, le paragraphe 18.1(2) interdit expressément aux institutions d’invoquer le paragraphe 18.1(1) pour refuser de communiquer des renseignements qui concernent :
- l’administration de VIA Rail, y compris les renseignements relatifs aux dépenses de déplacement, d’hébergement et d’accueil (conformément à l’article 3.1).
L’information satisfait‑elle aux critères de l’exception?
[21] VIA Rail n’a pas présenté d’observations justifiant l’application de l’alinéa 18.1(1)d) aux renseignements en cause. Bien que certains des renseignements puissent être de nature financière, commerciale, scientifique ou technique, il est certain que la totalité des renseignements contenus dans le document ne satisfait pas à l’un ou l’autre des quatre critères susmentionnés. En outre, VIA Rail n’a pas démontré que les renseignements ont été traités de façon constante comme étant de nature confidentielle, au sens de l’exception prévue à l’alinéa 18.1(1)d).
[22] Je suis d’avis que la totalité des renseignements non communiqués en vertu de l’alinéa 18.1(1)d) ne satisfait pas aux critères de l’exception.
Alinéa 21(1)a) : avis ou recommandations
[23] L’alinéa 21(1)a) permet aux institutions de refuser la divulgation d’avis ou de recommandations élaborés par ou pour une institution fédérale ou un ministre.
[24] Pour que cette exception s’applique, les documents qui contiennent les renseignements doivent avoir été créés moins de vingt ans avant la demande d’accès.
[25] Pour invoquer cette exception, les institutions doivent démontrer ce qui suit :
- les renseignements sont des avis ou des recommandations;
- les renseignements ont été créés pour une institution fédérale ou un ministre.
[26] Lorsque ces critères sont satisfaits, les institutions doivent alors exercer raisonnablement leur pouvoir discrétionnaire pour décider de communiquer ou non les renseignements.
[27] Toutefois, le paragraphe 21(2) interdit expressément aux institutions d’invoquer l’alinéa 21(1)a) pour refuser de communiquer ce qui suit :
- des documents qui contiennent les motifs ou les comptes rendus de décisions qui touchent les droits d’une personne prises par les institutions dans l’exercice de leurs pouvoirs discrétionnaires ou dans l’exercice de leurs fonctions judiciaires ou quasi judiciaires;
- des rapports établis par des consultants ou des conseillers qui n’étaient pas, au moment où ces rapports ont été établis, des administrateurs, des dirigeants ou des employés d’une institution ou des membres du personnel du ministre.
L’information satisfait‑elle aux critères de l’exception?
[28] L’enquête a révélé que certains renseignements non communiqués pourraient satisfaire aux critères de l’exception. Cela comprend certaines parties du document qui contiennent des analyses et des recommandations. Toutefois, de nombreux renseignements factuels ne sont pas visés par les dispositions prévues à l’alinéa 21(1)a). Au‑delà des renseignements factuels, cela comprend aussi des renseignements tirés de rapports établis par des consultants, lesquels sont exclus de la portée de cette exception. VIA Rail n’a pas adéquatement prélevé les renseignements qui ne satisfaisaient pas aux critères de l’exception ni n’a présenté d’observations justifiant l’applicabilité de cette exception.
[29] Je suis d’avis que la totalité des renseignements non communiqués en vertu de l’alinéa 21(1)a) ne satisfait pas aux critères de l’exception.
Alinéa 21(1)b) : comptes rendus de consultations ou de délibérations
[30] L’alinéa 21(1)b) permet aux institutions de refuser de communiquer des comptes rendus de consultations ou de délibérations auxquelles ont participé des employés du gouvernement, des ministres ou leur personnel.
[31] Pour que cette exception s’applique, les documents qui contiennent les renseignements doivent avoir été créés moins de vingt ans avant la demande d’accès.
[32] Pour invoquer cette exception, les institutions doivent démontrer ce qui suit :
- les renseignements sont un compte rendu, c’est‑à‑dire un rapport ou une description;
- le compte rendu concerne des consultations ou des délibérations;
- au moins un dirigeant, administrateur ou employé de l’institution ou un ministre ou un membre de son personnel a pris part aux consultations ou aux délibérations.
[33] Lorsque ces critères sont satisfaits, les institutions doivent alors exercer raisonnablement leur pouvoir discrétionnaire pour décider de communiquer ou non les renseignements.
[34] Toutefois, le paragraphe 21(2) interdit expressément aux institutions d’invoquer l’alinéa 21(1)b) pour refuser de communiquer ce qui suit :
- des documents qui contiennent les motifs ou les comptes rendus de décisions qui touchent les droits d’une personne prises par les institutions dans l’exercice de leurs pouvoirs discrétionnaires ou dans l’exercice de leurs fonctions judiciaires ou quasi judiciaires;
- des rapports établis par des consultants ou des conseillers qui n’étaient pas, au moment où ces rapports ont été établis, des administrateurs, des dirigeants ou des employés d’une institution ou des membres du personnel du ministre.
L’information satisfait‑elle aux critères de l’exception?
[35] L’enquête a révélé que certains renseignements non communiqués pourraient satisfaire aux critères de l’exception. Cela comprend certaines parties du document qui sont des comptes rendus de consultations et de délibérations et qui pourraient donc satisfaire aux critères de l’exception prévue à l’alinéa 21(1)b). Cela n’est toutefois pas le cas de tous les renseignements pour lesquels l’alinéa 21(1)b) a été appliqué. VIA Rail n’a pas présenté d’observations justifiant l’applicabilité de cette exception.
[36] Je suis d’avis que la totalité des renseignements non communiqués en vertu de l’alinéa 21(1)b) ne satisfait pas aux critères de l’exception.
Prélèvements
[37] L’article 25 s’applique, nonobstant les autres dispositions de la Loi. Cet article exige que les institutions communiquent toute partie d’un document qui ne contient pas de renseignements visés par une exception à condition que le prélèvement de ces renseignements ne pose pas de problèmes sérieux. Il s’agit d’un prolongement du principe voulant que les exceptions nécessaires à l’accès à l’information soient précises et limitées.
[38] La Loi exige que les institutions se chargent de communiquer les parties d’un document qui ne contiennent pas de renseignements visés par une exception à condition que le prélèvement de ces renseignements ne pose pas de problèmes sérieux. VIA Rail ne l’a pas fait ni n’a fourni d’observations au Commissariat concernant les exceptions en cause. Dans de telles circonstances, la Loi exige que VIA Rail examine les documents en détail et prélève les renseignements visés par une exception.
Exercice du pouvoir discrétionnaire
[39] VIA Rail n’a pas non plus démontré avoir raisonnablement exercé son pouvoir discrétionnaire eu égard à tous les renseignements visés par les exceptions susmentionnées.
[40] Pour se prévaloir des exceptions invoquées, VIA Rail devait raisonnablement exercer son pouvoir discrétionnaire. Toutes les exceptions en question étant de nature discrétionnaire, VIA Rail devait prendre en considération tous les facteurs pertinents tant en faveur qu’à l’encontre de la divulgation.
[41] Pour évaluer le caractère raisonnable du pouvoir discrétionnaire exercé par VIA Rail, le Commissariat a demandé à l’institution de présenter des observations sur les facteurs pris en compte par le décideur de VIA Rail à l’égard de tous les intérêts pertinents, y compris l’intérêt public. Les facteurs devant être pris en considération dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire sont examinés dans bon nombre de décisions de la Cour fédérale. Voici certains des facteurs à considérer :
L’objet de la Loi, qui est de donner accès aux documents de l’administration fédérale, sauf dans certaines circonstances précises et limitées;
- L’intérêt public à l’égard des renseignements non communiqués;
- Le libellé de l’exception et les intérêts qu’elle entend protéger;
- Le temps écoulé entre la création du document et la demande d’accès.
[42] En l’occurrence, l’intérêt public inclut l’importance du projet pour les transports au Canada, puisqu’il s’agit d’un projet de 4 milliards de dollars. Pour tout renseignement accessible au public que VIA Rail prétend être visé par une exception, cet accès est un autre facteur pertinent dont l’institution devait tenir compte.
[43] À la lumière de ce qui précède, je conclus que VIA Rail n’a pas démontré avoir exercé son pouvoir discrétionnaire de manière raisonnable puisque l’institution n’a pas précisé les facteurs pris en compte ni le poids qui leur a été accordé.
Résultats
[44] La plainte est fondée.
Recommandations
Le 7 octobre 2020, j’ai transmis mon rapport à la présidente et chef de la direction de VIA Rail, lequel contenait mes conclusions et les recommandations suivantes :
- Communiquer tous les renseignements contenus dans les documents en cause qui ne satisfont pas aux critères des exceptions, y compris les renseignements contenus en annexe;
- Exercer de manière raisonnable son pouvoir discrétionnaire en ce qui concerne les autres renseignements qui satisfont aux critères des exceptions;
- Effectuer l’exercice de prélèvement visé à l’article 25 de la Loi;
- Envoyer une copie de la lettre de réponse au Greffe du Commissariat à l’information par courriel (Greffe-Registry@oic-ci.gc.ca).
Le 9 novembre 2020, la présidente et chef de la direction de VIA Rail a répondu et mentionné être disposée à envisager de mettre en œuvre les recommandations du Commissariat ultérieurement, probablement d’ici le milieu de 2021. Il s’agit là d’une réponse inacceptable qui va à l’encontre du droit d’accès quasi constitutionnel établi dans la Loi. En témoigne le fait que la demande d’accès en question a été faite il y a plus de trois ans et demi et que VIA Rail continue de refuser de communiquer la totalité des documents en cause (des centaines de pages), alors qu’il est évident que la Loi ne le permet pas.
Bien que certaines modifications récemment apportées à la Loi m’autorisent à ordonner la communication des documents, ce n’est qu’au regard des plaintes reçues le 21 juin 2019 ou après cette date. Comme la plainte qui nous occupe a été reçue avant cette date, je n’ai malheureusement pas le pouvoir d’ordonner à VIA Rail de répondre à la demande d’accès dans un délai déterminé. Ayant formulé mes recommandations à VIA Rail, je dois conclure mon enquête, car j’ai épuisé les moyens à ma disposition en ce qui concerne la compétence que me confère la Loi.
L’article 41 de la Loi confère à la partie plaignante qui reçoit le présent compte rendu le droit d’exercer un recours en révision devant la Cour fédérale. La partie plaignante doit exercer ce recours en révision dans un délai de 35 jours ouvrables après la date du compte rendu et doit signifier une copie de sa demande de révision aux parties intéressées, conformément à l’article 43.