Composer avec les occasions manquées et tracer une nouvelle voie pour l’accès à l’information
Le 27 novembre 2023
Ottawa (Ontario)
(Le discours prononcé fait foi)
Je suis très heureuse de participer de nouveau à votre conférence annuelle.
Lors de notre dernière rencontre, le système d’accès à l’information semblait être à un tournant. C’était tout juste avant le dépôt au Parlement du rapport du gouvernement sur l’examen du système d’accès à l’information.
Cet exercice se voulait un examen du cadre législatif, une étude des possibilités d’améliorer la publication proactive, ainsi qu’une évaluation des moyens d’améliorer le service et de réduire les délais de traitement. Je croyais que si le gouvernement démontrait une volonté d’agir, de véritables changements pourraient en découler.
J’avais bon espoir que 2023 serait une année importante pour l’accès à l’information.
Après tout, ce serait le 40e anniversaire de la Loi sur l’accès à l’information. Quelle meilleure façon de souligner ce jalon qu’en annonçant un nouveau projet de loi proposant des modifications pour la moderniser, à l’aube de sa cinquième décennie?
En outre, quelques mois avant, le Comité permanent de l’accès à l’information, de la protection des renseignements personnels et de l’éthique (ETHI) avait entrepris sa propre étude sur le système d’accès à l’information. J’espérais que le gouvernement écouterait les nombreuses voix qui réclamaient de véritables changements et demandaient une plus grande transparence.
2023 : le potentiel non réalisé
Malheureusement, cette année qui semblait prometteuse s’est avérée décevante.
Avec le recul, il y avait sans doute des signes avant-coureurs.
Il y a 40 ans, lorsque la Loi sur l’accès à l’information est entrée en vigueur, elle était reconnue comme un texte législatif progressiste et avant-gardiste.
Manifestement, elle a bien mal vieilli : les gouvernements qui se sont succédé n’y ont pas apporté les modifications nécessaires pour la moderniser. Ce n’est qu’en 2019 que des changements importants y ont été apportés.
Même si, à l’époque, je considérais ceux-ci comme un pas dans la bonne direction, j’étais consciente qu’il s’agissait seulement d’une première étape. Je ne me doutais pas que ces premiers pas vers une réforme législative, en 2019, seraient les derniers avant longtemps.
Peu après notre rencontre l’an dernier, le gouvernement a déposé son rapport tant attendu sur l’examen de l’accès à l’information. Je pourrais utiliser beaucoup d’adjectifs pour décrire ma réaction à ce rapport, mais je m’en tiendrai à « déçue ».
Le rapport ne présentait aucune recommandation au Parlement pour corriger la Loi. En fait, il ne faisait qu’énumérer plusieurs faits déjà connus sur l’état du système d’accès à l’information et proposer des pistes à explorer davantage.
Des mots vides sans mesures concrètes ne changent rien. Nous sommes toujours aux prises avec un système qui brime le droit à l’information des Canadiens et Canadiennes.
Néanmoins, au cours des douze derniers mois, j’ai continué de plaider en faveur de véritables changements.
Dans le cadre de mes observations et comparutions devant le Comité ETHI, j’ai recommandé trois modifications qui sont nécessaires pour corriger le système.
La première est d’actualiser la Loi. Je continue de croire que cette mesure est essentielle pour se doter d’un système d’accès qui tient compte des technologies et des méthodes de travail de notre époque.
Ensuite, un changement de culture est nécessaire. On peut avoir la meilleure législation qui soit, mais elle ne sera pas efficace si les leaders gouvernementaux ne s’engagent pas à faire de l’accès une priorité au sein des institutions. Ils se doivent de donner l’exemple en établissant des objectifs clairs et en favorisant l’innovation et la transparence.
Et enfin, il faut investir dans les ressources, les outils, la formation et la technologie nécessaires pour appuyer le système.
Le rapport sur l’étude du Comité ETHI déposé en juin dernier contrastait avec celui déposé par le gouvernement quelques mois plus tôt. La rédaction du rapport du Comité a visiblement fait l’objet d’une réflexion approfondie.
À l’issue de son étude, le Comité a formulé 38 recommandations, dont un grand nombre allaient dans le même sens que les miennes. Il proposait également des mesures importantes qui correspondaient aux conclusions de mes enquêtes systémiques, comme la nécessité pour le Canada de se doter d’un programme de déclassification.
J’étais d’autant plus déçue que la réponse du gouvernement au rapport, en octobre dernier, se résume à : « pas maintenant, peut-être plus tard ».
Comme le gouvernement ne prévoit pas d’autres modifications, nous pouvons seulement espérer qu’il respectera son engagement à régler les problèmes les plus urgents sur les plans opérationnel et administratif.
En attendant le prochain examen législatif, en 2025, je prévois que la population canadienne continuera de se heurter à des difficultés pour accéder à l’information qui lui appartient.
Leçons retenues d’une année difficile : l’importance de l’accès à l’information
Tout cela se produit alors que la confiance envers les institutions publiques diminue.
L’an dernier, l’Organisation de coopération et de développement économiques a publié les conclusions de son étude sur la confiance, réalisée dans 22 pays. L’étude révèle que près de 40 % des Canadiens et Canadiennes ont peu ou pas confiance en leur gouvernement national.
Les gouvernements sont jugés par les mesures qu’ils prennent et les répercussions de celles-ci sur les citoyens et citoyennes. Lorsque les décisions ne sont pas prises dans la transparence, la population a naturellement des soupçons, ce qui donne lieu à de la mésinformation et à de la désinformation.
Si vous avez déjà lu le Washington Post, vous connaissez probablement son slogan officiel : « Democracy dies in darkness », que l’on peut traduire par « La démocratie meurt dans l’obscurité ». Il nous rappelle pourquoi tout le monde devrait se soucier de l’accès à l’information.
L’accès à l’information joue un rôle essentiel dans la responsabilisation des gouvernements, que ce soit les citoyens et citoyennes, les défenseurs ou les médias qui exercent ce droit. Il s’agit d’un outil crucial pour les journalistes, dont le travail consiste à tenir la population canadienne informée. Si le système ne fonctionne pas, l’ensemble de la société en souffre.
Depuis octobre 2022, le Globe and Mail mène une enquête et publie des reportages sur la détérioration du système d’accès au Canada, dans le cadre d’un projet qui s’appelle, à juste titre, « Secret Canada ».
Ce projet montre aux citoyens et citoyennes comment la détérioration de ce droit quasi constitutionnel nuit à la capacité des journalistes de les informer au sujet des événements qui ont façonné et continuent de façonner notre nation.
Même si les Canadiens et Canadiennes n’ont pas d’expérience directe avec le système, son déclin a inévitablement des répercussions sur eux.
Si votre capacité de demeuré informé dépend de la capacité des journalistes à obtenir de l’information pour vous, cette capacité est en péril et votre « droit à l’information » n’est pas respecté.
Les plaintes déposées au Commissariat à l’information me permettent de voir ce que les personnes qui font des demandes recherchent.
- Elles veulent des précisions concernant les demandes d’immigration.
- Elles souhaitent savoir ce qui est arrivé à leurs proches qui sont décédés alors qu’ils étaient détenus par la police.
- Elles cherchent la vérité et la réconciliation pour leur communauté.
- Elles veulent comprendre le passé de notre pays.
- Elles aimeraient savoir comment leur argent est dépensé par le gouvernement et pourquoi elles ne reçoivent pas les services auxquels elles ont droit.
Ce ne sont pas des questions sans intérêt. Ce sont des questions d’une importance cruciale pour beaucoup de Canadiens et Canadiennes.
Le rôle du Commissariat à l’information
Alors, que faisons-nous maintenant?
Malgré les limites et les obstacles auxquels nous faisons face, nous devons faire ce qui est en notre pouvoir pour que la population reçoive l’information à laquelle elle a droit.
Le Commissariat à l’information joue un rôle au moyen :
- des enquêtes qu’il mène;
- des enquêtes systémiques que j’initie pour comprendre la cause des obstacles à l’accès;
- des ordonnances que je rends et que je dois parfois défendre en cour.
En ce qui concerne mes ordonnances, la Loi prévoit qu’il faut s’y conformer ou les contester devant la Cour fédérale. Dernièrement, nous avons observé une augmentation du nombre de litiges. Il est encore trop tôt pour savoir si cette tendance se maintiendra.
Chaque année, le Commissariat mène un grand nombre d’enquêtes concernant des documents historiques. Nous constatons notamment que l’exception relative à la sécurité nationale est appliquée trop largement pour caviarder des passages, et que son application se fonde sur la classification du document plutôt que sur son contenu.
Je suis fière de dire que ces enquêtes ont mené à la communication d’un grand nombre de documents historiques que des universitaires réclamaient depuis longtemps. Mais manifestement, il reste encore beaucoup à faire, comme l’illustre un reportage paru dans le Globe and Mail le 10 novembre concernant la frustration des historiens à l’égard du système. C’est pourquoi, au cours des prochains mois, je continuerai d’insister auprès du gouvernement quant à la nécessité d’un cadre de déclassification.
Le Commissariat continue aussi de réaliser des progrès par rapport à son inventaire. Bien que nous reconnaissions que le système suit des cycles, nous avons constaté ces derniers mois une diminution du nombre de plaintes reçues. Nous profitons donc de ce contexte pour traiter certains des nombreux dossiers problématiques qui subsistent dans l’inventaire.
Au cours de la dernière année, nous avons aussi procédé à une évaluation indépendante de notre programme des enquêtes, du point de vue des institutions assujetties à la Loi.
Les réponses des institutions ont servi à apporter des améliorations à nos processus d’enquête. Par exemple, nous avons modifié le sommaire de la plainte que nous envoyons à l’institution et à la partie plaignante afin de mieux décrire les allégations. Nous avons également publié davantage de documents d’orientation au sujet de nos processus sur notre site Web.
Nous cherchons maintenant à connaître le point de vue des parties plaignantes sur nos enquêtes, afin de mieux comprendre leurs besoins et les façons dont le Commissariat pourrait combler les lacunes ciblées. Le processus est mené par un tiers indépendant, afin que les réponses des parties plaignantes demeurent confidentielles.
Nous prévoyons d’utiliser les données agrégées et anonymisées pour améliorer nos opérations.
J’espère qu’il y en a parmi vous qui ont déjà participé à l’une ou l’autre des consultations. Mais même si vous ne l’avez pas fait, vous pouvez nous faire part de votre rétroaction en tout temps. Nous cherchons toujours à nous améliorer.
La voie à suivre
Le mois dernier, alors que nous étions réunis à Québec pour notre conférence annuelle, j’ai uni ma voix à celle de mes homologues provinciaux et territoriaux dans une déclaration appelant nos gouvernements respectifs à agir rapidement et de manière décisive pour moderniser leurs lois, politiques et pratiques de gestion de l’information.
Cette résolution mentionne que l’accès à des renseignements fiables est essentiel afin de préserver la confiance à l’égard des institutions démocratiques et de contrer les effets néfastes de la mésinformation. Elle appelait nos gouvernements à avoir également recours à d’autres mécanismes d’accès aux documents, dont la divulgation proactive.
Notre but commun est de permettre à l’ensemble des Canadiens et Canadiennes de mieux comprendre le passé et le présent du pays, de soutenir une culture de transparence et de tracer la voie de la réconciliation.
C’est un message important et je le répète donc ici, aujourd’hui. J’incite les dirigeants à prendre des mesures décisives afin de régler les problèmes dans l’ensemble du système et de faire respecter ce droit fondamental qu’est le droit d’accès.
De même, j’encourage fortement les Canadiens et Canadiennes à continuer de demander des comptes à leur gouvernement relativement à son rendement en matière de transparence et d’accès à l’information.
Bien que le portrait semble sombre, nous devons tous et toutes — autant les professionnels de l’AIPRP, les journalistes, les universitaires que les Canadiens et Canadiennes qui souhaitent obtenir de l’information du gouvernement — continuer à poser des questions, à présenter des demandes d’accès à l’information et des plaintes, et continuer à réclamer de véritables changements dans l’ensemble du système.
Pour ma part, il reste moins de 18 mois à mon mandat de Commissaire à l’information du Canada. Durant ce temps, je continuerai de promouvoir les changements qui sont essentiels pour améliorer le système.
Au moyen de mes enquêtes, de mes ordonnances, des actions en justice auxquelles je prends part et de mes rapports au Parlement, je ferai tout ce que je pourrai pour m’assurer que la Loi sur l’accès à l’information est respectée, et ce, malgré toutes ses lacunes.
Merci.