Défendre le droit d'accès à l'information : Le point de vue de la Commissaire
Conférence annuelle de l’Association canadienne d’accès à l’information et de la protection des renseignements personnels (ACAP)
Par Caroline Maynard, Commissaire à l’information du Canada
Le 28 novembre 2022
Ottawa (Ontario)
(Le discours prononcé fait foi)
Le monde a bien changé depuis la dernière fois que j’ai assisté à la conférence de l’ACAP, en novembre 2018. J’étais alors Commissaire à l’information depuis six mois.
C’était la seule et unique fois où j’ai rencontré Michael Dagg, qui a grandement contribué à la transparence gouvernementale.
La nouvelle de son décès m’a attristée. J’offre mes condoléances à ses proches et à ses amis.
Rétrospective : incidence de la pandémie
La dernière fois que j’ai assisté à la conférence de votre association, je n’aurais jamais pu imaginer qu’à peine 16 mois plus tard, une pandémie mondiale aurait des répercussions aussi importantes sur les institutions fédérales et le Commissariat à l’information.
Dès le début de la pandémie de COVID-19, il apparaissait clair pour moi que le système d’accès à l’information, qui était déjà sous pression, ferait face à des difficultés encore plus grandes si le gouvernement ne prenait pas de mesures immédiates dans plusieurs domaines.
D’abord, les fonctionnaires fédéraux devaient soudainement travailler à partir de la maison, d’une façon que personne n’avait prévue.
Cela signifiait que la gestion de l’information, et donc la documentation des décisions, allait poser un important défi, sans parler de la récupération des documents et du traitement des demandes d’accès à l’information.
Personne n’avait prévu que nous travaillions soudainement ailleurs que dans les immeubles fédéraux.
J’étais certaine que de nombreuses institutions ne disposaient pas des outils et de l’infrastructure nécessaires pour appuyer la transition vers le travail à distance.
En avril 2020, j’ai donc incité les responsables des institutions fédérales à fournir des directives claires et à mettre à jour les orientations sur la manière dont l’information gouvernementale devait être gérée dans le contexte de cette nouvelle réalité opérationnelle.
J’ai aussi insisté auprès des institutions pour qu’elles divulguent volontairement les renseignements qui étaient d’un intérêt fondamental pour la population canadienne.
Durant cette période de crise, les Canadiens et les Canadiennes avaient besoin que leur gouvernement les rassure.
Comme je l’ai dit à l’époque, c’est seulement en suivant de bonnes pratiques de gestion de l’information et en respectant le droit d’accès que le gouvernement pouvait constituer un registre public ouvert et complet des décisions et des mesures prises pendant cette période extraordinaire de notre histoire.
J’ai également souligné que la Loi sur l’accès à l’information ne prévoit aucune dérogation. Elle doit être respectée même dans des circonstances exceptionnelles.
Comme nous pouvons le constater, dans certains cas, mon appel à l’action a été ignoré.
Alors que certaines institutions étaient paralysées ou ont utilisé la pandémie comme excuse pour limiter le droit d’accès, d’autres l’ont vue comme une occasion d’innover.
Au Commissariat à l’information, nous avons su nous adapter à la nouvelle réalité opérationnelle.
J’ai fait tout ce que je pouvais pour m’assurer que mon équipe poursuivait ses activités, y compris le traitement des demandes d’accès et les enquêtes sur les plaintes, conformément à la Loi. Le Commissariat a non seulement maintenu son rythme, mais il a même amélioré son rendement.
Notre point de départ
Dès le premier jour de mon mandat, obtenir des résultats était au cœur de mes priorités.
Mes priorités étaient d’éliminer l’arriéré, de mettre en œuvre les modifications apportées à la Loi sur l’accès à l’information, de rendre nos processus plus transparents et de collaborer avec les intervenants.
Et j’ai pu faire des progrès à l’égard de chacun de ces objectifs.
Au moment de ma nomination en mars 2018, j’ai hérité d’un arriéré d’environ 3 500 plaintes.
Au cours des quatre dernières années, le nombre de nouvelles plaintes n’a pas cessé d’augmenter.
L’an dernier, nous avons enregistré un nombre record de près de 7 000 plaintes. Il s’agit d’une hausse de 70 % par rapport à l’année précédente.
Malgré l’augmentation, le Commissariat a réussi à résorber près de 93 % de l’arriéré de dossiers faisant partie de l’inventaire à mon arrivée.
Et nous avons accompli le tout en continuant de travailler sur de nouvelles plaintes. Chaque année, notre efficacité s’est améliorée. Par exemple, nous avons réussi à fermer 6 900 dossiers l’an dernier. C’est près de trois fois le nombre de dossiers fermés durant la première année de mon mandat.
Bien que je sois fière de mon équipe pour cette réussite, je suis consciente que ce n’est pas suffisant. Chaque année, nous recevons plus de plaintes que nous pouvons en conclure.
En plus du volume croissant de plaintes que nous devons traiter, un grand nombre de dossiers qui demeurent dans notre inventaire sont très complexes.
Ils portent parfois sur des dizaines de milliers de pages, et de nombreuses exceptions y sont invoquées.
Cela dit, je suis déterminée à faire tout ce qui est en mon pouvoir pour que ces plaintes plus anciennes soient réglées avant la fin de mon mandat.
Les progrès accomplis
Puisque la taille de l’inventaire des plaintes antérieures à juin 2019 diminue régulièrement, un nombre croissant de plaintes font maintenant l’objet d’ordonnances.
Comme vous le savez, parmi les modifications apportées à la Loi en juin 2019, je me suis vu conférer le pouvoir de rendre des ordonnances. Je peux donc ordonner aux institutions fédérales de répondre à des demandes d’accès et de communiquer des documents.
Il s’agissait d’une amélioration significative, car elle m’a permis de remplir plus efficacement mon rôle.
Bien que nous ne soyons toujours pas en mesure d’attribuer les dossiers aussi rapidement que je le souhaiterais, une fois que le Commissariat entame une enquête, il s’efforce de la terminer dans un délai raisonnable.
Les discussions et les négociations avec les institutions doivent éventuellement prendre fin.
Nous pouvons convenir que nous ne voyons pas les choses de la même manière, mais il demeure qu’à la dernière étape, une ordonnance est rendue.
Il y a actuellement une institution qui a refusé de donner suite à mon ordonnance et qui a décidé de la contester devant la Cour fédérale.
Je vous invite à visiter notre site Web, où nous avons récemment ajouté une foire aux questions sur les ordonnances.
Vous pouvez également trouver sur notre site Web un grand nombre de décisions et de comptes rendus publiés depuis juin 2019. Cela comprend des décisions concernant les demandes qui, selon les institutions, étaient vexatoires ou entachées de mauvaise foi, ou qui constituaient autrement un abus de faire une demande d’accès.
Le fait de disposer d’une banque de comptes rendus publiés nous a certainement aidés à régler les plaintes plus rapidement.
Les institutions et les parties plaignantes font de plus en plus référence à nos comptes rendus dans leurs observations.
Conformément à mes priorités, je collabore également avec les institutions pour les aider à respecter leurs obligations en vertu de la Loi et à surmonter les obstacles à l’accès au sein du système.
Pour ce faire, je rencontre des ministres et de hauts dirigeants, et je leur rappelle l’importance d’une bonne gestion de l’information, du leadership et de la responsabilité à tous les niveaux.
En effet, l’accès est une partie essentielle du travail de tous les fonctionnaires. Ce n’est pas une distraction de leurs autres responsabilités.
Je crois également que mes quatre enquêtes systémiques ont eu une portée considérable, car elles visaient de vastes enjeux à l’échelle du système.
Affronter les défis de front
En octobre dernier, lors de ma dernière comparution devant le Comité ETHI, j’ai réaffirmé que le respect de la Loi telle qu’elle existe actuellement serait une première étape importante dans l’amélioration de l’état de l’accès à l’information.
En ma qualité de Commissaire à l’information, j’ai fait tout mon possible pour souligner les répercussions, sur la population canadienne, des institutions incapables de faire respecter le droit d’accès, alors que les volumes augmentent et que les ressources sont limitées.
Au nombre de ces répercussions, mentionnons le fait que les demandeurs ne sont pas en mesure d’obtenir les documents qu’ils recherchent, soit parce que l’information n’a pas bien été gérée ou parce que la Loi n’a pas été correctement appliquée.
En raison des consultations menées entre les institutions, les demandeurs doivent aussi subir de longues attentes.
Et, malheureusement, les parties plaignantes attendent des mois avant que leur plainte ne soit examinée par le Commissariat.
Comme j’ai récemment mentionné au Parlement, nous avons besoin de ressources permanentes pour faire face à un volume de plaintes en constante croissance.
Il est impossible de maintenir le rythme actuel. Nous atteindrons un point de non-retour si nous recevons 20 000 plaintes d’ici 2024-2025, comme l’indiquent nos prévisions.
Les difficultés auxquelles se heurte le Commissariat ne sont pas les seuls domaines qui nécessitent une attention particulière.
Quelques utilisateurs du système d’accès m’ont récemment fait part de leurs observations et ont soulevé plusieurs problèmes.
Certains ont souligné le manque d’expertise au sein des équipes de l’AIPRP, où les analystes servent d’intermédiaires au lieu d’exécuter la fonction d’examen critique ou de s’acquitter correctement de leur obligation de prêter assistance, comme l’exige la Loi.
Des analystes de l’AIPRP expérimentés sont indispensables au système.
Ils aident les demandeurs à clarifier leur demande d’accès. Ils permettent aussi aux institutions de traiter les demandes avec efficacité, surtout celles qui sont très complexes.
Comme l’a si bien dit un utilisateur : « Travailler avec des coordonnateurs de l’AIPRP expérimentés et leur équipe permet de régler bon nombre de problèmes. »
Sachez que je comprends parfaitement les difficultés auxquelles se heurtent les équipes de l’AIPRP.
Depuis le début de l’année, ma propre unité d’accès a vu le volume de pages qu’elle doit traiter quintupler.
J’ai fait tout ce qui est en mon pouvoir pour l’épauler, en favorisant les bonnes pratiques de gestion de l’information au sein de mon organisation et en lui fournissant du soutien additionnel pour l’aider à atténuer la pression ressentie.
J’ai également fait valoir auprès de tous les employés le fait que l’accès à l’information est aussi de leur ressort. Il s’agit d’une responsabilité collective.
Cela dit, il n’en reste pas moins que de plus en plus de demandeurs réclament de plus en plus d’informations.
La capacité d’attirer des ressources qualifiées pour gérer les demandes et les plaintes demeure limitée au sein du système.
Et le nombre de demandes et de plaintes ne cesse de croître.
Il en résulte un système qui croule sous la pression et qui, souvent, ne réussit pas à satisfaire aux exigences.
Voilà pourquoi j’insiste autant en faveur de changements notables dans l’ensemble du système, et je poursuivrai mes efforts en ce sens.
Ce qu’il faut faire maintenant
Bien que la charge de travail ait augmenté dans l’ensemble des unités de l’AIPRP, force est de constater que moins de 3 % des demandes traitées entraînent le dépôt d’une plainte auprès du Commissariat.
Le Commissariat à l’information a un rôle à jouer pour veiller à ce que cette tendance se maintienne.
Concrètement, nous pouvons dire que la meilleure demande est celle qui n’a pas besoin d’être faite, car l’information est obtenue par d’autres moyens.
Les institutions doivent poursuivre leurs efforts pour trouver des solutions de rechange au système d’accès. Le système ne doit être utilisé qu’en dernier recours.
Et si une demande doit être faite, elle devrait être traitée dans les délais ou mener à la communication de l’information à laquelle le demandeur a droit.
Bref, si une demande doit être faite, les institutions doivent prendre toutes les mesures possibles pour s’assurer qu’elle ne fera pas l’objet d’une plainte.
Il faut également que les institutions disposent d’un personnel qualifié et que leurs dirigeants manifestent leur engagement. Les unités d’accès connaissent leur charge de travail et leurs besoins. Les dirigeants se doivent de les écouter attentivement.
Les institutions ont aussi besoin de meilleures technologies, de meilleures pratiques de gestion de l’information et de meilleurs outils.
Les Canadiens et les Canadiennes ont l’habitude d’accéder rapidement à l’information qu’ils recherchent. Il suffit d’un clic sur leur téléphone, leur tablette ou leur ordinateur.
Leurs attentes envers les institutions fédérales sont élevées, mais elles ne sont pas déraisonnables compte tenu des solutions technologiques et innovatrices disponibles.
Le Canada a aussi un besoin urgent de disposer d’un système de déclassification.
Un bon programme de déclassification devrait viser à rendre les documents accessibles autrement qu’au moyen du système d’accès.
La déclassification et la diffusion de documents historiques importants sur la sécurité nationale et le renseignement atténueraient la pression exercée sur le système d’accès.
En résumé, il faut commencer par accorder à l’accès le niveau d’importance qu’il mérite.
Conclusion
En terminant, j’aimerais que vous reteniez ce qui suit.
Les 7 000 plaintes que le Commissariat a traitées l’année dernière provenaient de Canadiens et de Canadiennes qui recherchaient :
- des copies des dossiers sur les pensionnats pour Autochtones qui appartiennent à leurs communautés;
- des éclaircissements sur les demandes d’immigration;
- des faits sur les mesures fédérales de soutien aux familles;
- des données sur les marchés publics;
- des renseignements sur les taux d’intérêt et les mesures prises pour renforcer notre économie;
- et d’autres informations gouvernementales auxquelles ils ont droit.
Ces questions revêtent souvent une importance capitale pour la personne à l’origine de la demande.
Ces gens ne demandent pas au gouvernement d’aller au-delà de ses obligations. Ils exercent tout simplement leur droit légal.
Le droit d’accès est prévu par la Loi. C’est un droit quasi constitutionnel.
La personne qui reçoit une réponse à sa demande d’accès n’obtient pas un service du gouvernement ni ne bénéficie d’un privilège.
Les Canadiens et les Canadiennes méritent d’avoir accès à l’information recherchée en temps opportun. Ils ne devraient pas tolérer une situation où leurs institutions ne respectent pas la loi du pays.
Par conséquent, alors que nous attendons les résultats de l’examen sur le système d’accès, j’incite les dirigeants à prendre des mesures décisives afin de régler les problèmes dans l’ensemble du système et de faire respecter ce droit fondamental.
De même, j’encourage fortement les Canadiens et les Canadiennes à continuer de demander des comptes à leur gouvernement relativement à son rendement en matière de transparence et d’accès à l’information.
Merci.