Discours sur le projet de loi C-520

Comparution devant le Comité sénatorial permanent des finances nationales (NFFN)

par Suzanne Legault, commissaire à l'information du Canada

Le 28 janvier 2015
Ottawa (Ontario)

(Le discours prononcé fait foi)


Honorables sénateurs,

Merci de me donner l’occasion de parler du projet de loi C-520.

Afin de bien évaluer les répercussions de ce projet de loi, il est important de comprendre le mandat et la réalité opérationnelle de chaque agent du Parlement.

La Loi sur l’accès à l’information requiert que la Commissaire à l’information prenne part exclusivement aux fonctions qui lui sont conférées. La Loi interdit à la Commissaire à l’information d’exercer toute autre charge ou d’avoir un autre emploi. Les mêmes restrictions s’appliquent au commissaire adjoint à l’information.

Tous les autres employés de mon bureau sont des fonctionnaires. Ils sont régis par la Loi sur l’emploi dans la fonction publique. Ce régime a été décrit par la présidente de la Commission de la fonction publique.

Mes employés doivent adhérer au Code de valeurs et d’éthique du secteur public ainsi qu’au Code de valeurs et d’éthique de mon bureau. L’exercice non partisan de leurs fonctions est une condition d’emploi.

De plus, toute personne dans mon bureau procédant à des enquêtes doit identifier tout conflit d’intérêts réel ou potentiel dès qu'on lui assigne un dossier d’enquête. Si un conflit est identifié, le dossier est immédiatement réassigné.

En tant que Commissaire à l’information, j’enquête sur des plaintes portant sur la demande ou l’obtention de documents en vertu de la Loi. Je délègue mes pouvoirs aux enquêteurs du Commissariat. En vertu de cette délégation de pouvoirs, très peu d'entre eux ont un pouvoir décisionnel final.

Depuis 2009, mon équipe et moi avons complété plus de 10 000 enquêtes. Toutes les conclusions de nos enquêtes sont fondées sur des faits et sur l’application de la Loi. En plus de trente ans d’existence, le Commissariat n'a jamais vu une de ses enquêtes déclarée comme biaisée par la Cour fédérale.

Il convient de noter par ailleurs que la Loi ne s’applique pas aux parlementaires ni aux cabinets ministériels. Elle ne s’applique pas au Sénat ni à la Chambre des communes.

Lors de mon examen de ce projet de loi, j’ai aussi consulté mes employés pour comprendre leur point de vue sur la façon dont ce projet de loi pouvait les toucher. La plupart d’entre eux étaient très préoccupés par le projet de loi. Selon eux, le projet de loi pouvait entraver leur capacité :

  • d’exécuter leurs tâches;
  • de préserver l’intégrité de leurs enquêtes;
  • de protéger leur réputation.

Certains ont affirmé que le projet de loi aurait pu influencer leur décision de postuler pour un emploi à mon bureau. D’autres ont indiqué que l’adoption du projet de loi pourrait influencer leur décision de rester à l’emploi du Commissariat.

Je suis très préoccupée par les répercussions de ce projet de loi et sur ma capacité de recruter les meilleurs candidats et de conserver mes employés.

Le projet de loi s’appuie sur le fait qu'il constitue un moyen d’accroître la transparence et la responsabilisation.

Évidemment, je suis une championne de la transparence. Cependant, cela ne signifie pas que je recommande la divulgation de toute l’information dans tous les cas. Dans une décision récente, la Cour suprême du Canada a statué comme suit :

« Les lois sur l’accès à l’information servent un intérêt public important, à savoir, faire en sorte que l’État rende des comptes aux citoyens. Une société ouverte et démocratique commande l’accès des citoyens aux documents de l’État afin de permettre le débat public sur la conduite des institutions gouvernementales. Toutefois, comme tous les droits reconnus, le droit d’accès à l’information n’est pas illimité. Toutes les lois canadiennes sur l’accès à l’information établissent un équilibre entre l’accès aux documents de l’État et la protection d’autres droits auxquels la communication inconditionnelle de ces documents risquerait de porter atteinte. »Note de bas de page 1

C-520 risquerait de porter atteinte à la protection des renseignements personnels des employés des agents du Parlement. La protection des renseignements personnels fait l’objet d’une exception de divulgation en vertu de la Loi sur l’accès à l’information.

Mon examen préliminaire du projet de loi me donne à penser que la plupart des renseignements personnels devant être divulgués aux termes du projet de loi C-520 seraient probablement protégés en vertu de la Loi sur l’accès à l'information.

L’objectif déclaré du projet de loi est de prévenir les conflits qui pourraient survenir ou sembler survenir entre les activités partisanes passées ou futures des employés et les fonctions et les responsabilités officielles de ces mêmes employés travaillant pour le bureau d’un agent du Parlement.

La seule conclusion qui me vient à la lecture du projet de loi est qu’une activité politique ou partisane passée pourrait être utilisée pour soulever l’existence d’un parti pris possible dans la conduite d’une enquête ou d’une vérification. Si le but de la collecte et de la publication de ces renseignements personnels est de faire valoir la partialité de nos enquêtes ou vérifications, alors cela soulève de sérieux problèmes. Cela aura une incidence sur l’intégrité de nos enquêtes. Il politisera nos enquêtes. Il nuira à notre efficacité en tant qu’agents du Parlement.

Enfin, certains d'entre vous ont posé des questions sur la constitutionnalité de ce projet de loi, au vu des répercussions possibles sur le droit à la vie privée, à la liberté d’expression et à la liberté d’association. À mon avis, ce sont là d’excellentes questions.

Je ne suis pas certaine de savoir comment on peut obtenir, à ce stade, une quelconque assurance que les répercussions sur ces droits ont été adéquatement évaluées à la lumière des divers mandats de chacun des agents, des diverses fonctions exercées par nos employés, de la nécessité d'adopter ce projet de loi pour répondre aux préoccupations puisque qu’aucune n’a été soulevée et l'assurance aussi, que le projet de loi constitue une limitation raisonnable des droits de nos employés.

Pour conclure, veuillez être assurés de mon engagement à aider le Comité dans sa délibération sur ce projet de loi. 

Notes de bas de page

Note de bas de page 1

Untel c. Ontario (Finances), 2014 CSC 36, paragraphes 1-2.

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