L'accès à l'information à un carrefour : conséquences de l'affaire du registre des armes d'épaule

Webinaire pour la Série sur le droit de l'Association du Barreau canadien

par Suzanne Legault, commissaire à l'information du Canada et Vincent Kazmierski, Professeur agrégé, Faculté de droit et d’études juridiques, Université Carleton

Le 8 novembre 2016
Ottawa (Ontario)

(Le discours prononcé fait foi)


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Aperçu de l’exposé

  1. Le droit à l'information (à l’échelon national et international)
  2. L’enquête relative au Registre des armes d’épaule et la contestation constitutionnelle
  3. Le principe de la primauté du droit
  4. Le droit constitutionnel de savoir au Canada
  5. Évaluation de la contestation constitutionnelle
  6. État de la contestation constitutionnelle
  7. Discussion
  8. Questions

Le droit à l'information au Canada

La commissaire à l’information est un haut fonctionnaire chargée de superviser la mise en application de la Loi sur l’accès à l’information (la Loi ou la LAI).

En cette qualité, la commissaire est indépendante du pouvoir exécutif et relève directement du Parlement.

La fonction principale du Commissariat à l’information est d’analyser les plaintes sur la façon dont les institutions fédérales traitent les demandes d’accès à l’information sous le régime de la Loi.

La Loi sur l’accès à l’information confère au public le droit d’accès à l’information gouvernementale et protège ce droit. Le droit d’accès facilite la participation utile aux débats publics ainsi que l’examen public des activités gouvernementales :

La loi en matière d'accès à l'information a donc pour objet général de favoriser la démocratie, ce qu'elle fait de deux manières connexes. Elle aide à garantir, en premier lieu, que les citoyens possèdent l'information nécessaire pour participer utilement au processus démocratique, et, en second lieu, que les politiciens et bureaucrates demeurent comptables envers l'ensemble de la population.

Dagg c. Canada (Ministre des Finances), [1997] 2 R.C.S. 403, au par. 61

Ces objectifs se reflètent à l’article 2 de la LAI qui, en plus d’énoncer l’objet de la Loi (conférer un droit d’accès aux documents relevant des institutions fédérales assujetties à la Loi), énonce les principes directeurs suivants :

  • le principe selon lequel l’information gouvernementale devrait être disponible au public;
  • les exceptions indispensables qui restreignent ce droit doivent être précises et limitées; et
  • les décisions concernant la divulgation d'information étant  susceptibles de recours indépendants du pouvoir éxécutif.

Le droit d’accès est énoncé à l’article 4 de la Loi : il confère au public un droit d’accès aux documents relevant d’institutions fédérales assujetties à la Loi.

Fait important, le droit d’accès s’applique nonobstant toute autre loi fédérale, et la Cour suprême a reconnu sa nature quasi constitutionnelle.

Le paragraphe 4(2.1) impose aussi aux institutions fédérales le devoir de faire tous les efforts raisonnables pour prêter assistance aux demandeurs, sans égard à leur identité, et à leur communiquer l’information demandée en temps utile.

La Loi énonce une gamme d’exceptions législatives, qui autorisent ou obligent les responsables d’institutions fédérales à refuser de divulguer l’information demandée afin de protéger des intérêts variés.

En particulier, elle énonce des exceptions visant les renseignements obtenus à titre confidentiel d’autres gouvernements (art. 13), les renseignements relatifs à la sécurité nationale (art. 15) ainsi qu’à l’application de la loi et aux enquêtes (art. 16), les renseignements personnels (art. 19), les renseignements de tiers (art. 20), les renseignements relatifs aux activités du gouvernement (art. 21) et le secret professionnel des avocats (art. 23).

La Loi ne s’applique pas aux documents publiés (art. 68) ni aux documents confidentiels du Cabinet (art. 69).

La commissaire enquête sur toutes les plaintes valides déposées sous le régime de la LAI d’une façon approfondie, objective et équitable. Il est tenu de recevoir différents types de plaintes, notamment celles relatives aux délais de traitement, aux droits exigés, aux langues officielles, aux documents manquants et à l’application d’exceptions.

Aux termes de la LAI, les enquêtes menées par la commissaire à l’information sont secrètes (par. 35(1)).

La Loi exige aussi que les auteurs de plaintes, les institutions fédérales et les tiers concernés aient une occasion raisonnable de faire valoir leurs points de vue (par. 35(2)).

La Loi confère à la commissaire des pouvoirs d’enquête élargis :

  • la commissaire peut établir la procédure à suivre dans le cadre de l’examen de plaintes en vertu de la Loi (art. 34);
  • la commissaire a non seulement le pouvoir d’assigner et de contraindre des témoins à comparaître devant elle pour témoigner sous serment, mais aussi de les contraindre à produire des pièces documentaires et matérielles; elle exerce ces pouvoirs de la même façon et dans la même mesure qu’une cour supérieure d’archives (alinéa 36(1)(a));
  • au cours d’une enquête, la commissaire a accès à tous les documents auxquels la LAI s’applique; elle peut exercer ce pouvoir nonobstant toute autre loi fédérale et toute immunité reconnue par le droit de la preuve (par. 36(2)).

La LAI prévoit deux niveaux d’examen indépendant – le Commissariat à l’information exécute le premier niveau d’examen en analysant les plaintes déposées en vertu de la Loi; le deuxième niveau d’examen indépendant est exécuté par la Cour fédérale.

Lorsque la commissaire estime qu’une plainte est fondée, l’article 37 l’oblige à adresser au responsable de l’institution fédérale en question un rapport dans lequel elle présente ses conclusions et fait les recommandations qu’il juge indiquées.

Les institutions fédérales ne sont pas liées par ces recommandations. 

Lorsque le responsable d’une institution refuse de donner accès à un document demandé, la Loi autorise l’auteur de la plainte à exercer un recours en révision judiciaire devant la Cour fédérale (par. 37(5)/art. 41).

La révision judiciaire ne vise pas l’enquête de la commissaire, mais plutôt la décision du responsable de l’institution de refuser l’accès aux documents demandés.

Dans ces circonstances, la Loi autorise la commissaire à comparaître au nom de l’auteur d’une plainte (alinéa 42(1)(b)) ou à comparaître de son propre chef comme partie à l’instance (alinéa 42(1)(c)).

La Loi autorise aussi la commissaire à exercer le recours en révision judiciaire avec le consentement de l’auteur de la plainte (alinéa 42(1)(a)); le cas échéant, l’auteur de la plainte peut comparaître comme partie à l’instance (par. 42(2)).

La LAI renferme des dispositions qui créent deux infractions distinctes :

  • l’article 67 interdit d’entraver l’action de la commissaire dans l’exercice des pouvoirs et fonctions que la LAI lui confère et en fait une infraction passible, sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire, d’une amende maximale de 1 000 $;
  • l’article 67.1 interdit de détruire, tronquer, modifier, falsifier ou cacher un document ou d’ordonner, proposer, conseiller ou amener une autre personne à commettre l’un de ces actes interdits dans l’intention d’entraver le droit d’accès prévu à la Loi.

L’infraction prévue à l’article 67.1 peut être jugée comme un acte criminel passible d’un emprisonnement maximal de deux ans et d’une amende maximale de dix mille dollars, ou de l’une de ces peines, ou comme une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire et passible d’un emprisonnement maximal de six mois et d’une amende maximale de cinq mille dollars, ou de l’une de ces peines.

Reconnaissance internationale du droit à l'information

Textes de loi internationaux

  • Déclaration universelle des droits de l'homme (article 19)
  • Pacte international relatif aux droits civils et politiques (article 19)

Textes de loi internationaux (régionaux)

  • American Convention on Human Rights (article 13)
  • Convention européenne des droits de l'homme (article 10)
  • Charte africaine des droits de l'homme et des peuples (article 9)

Interprétation des textes de loi internationaux

Protection constitutionnelle à l’extérieur du Canada 

Protection législative à l’extérieur du Canada

Protection constitutionnelle à l’extérieur du Canada

  • La protection du droit d’accès à l’information gouvernementale fait partie de la constitution de plus de 50 pays
    (Right2Info.org)

Protection législative à l’extérieur du Canada

  • Plus de 100 pays se sont dotés d’une loi sur l’accès à l’information (Centre for Law and Democracy)

L’enquête sur le Registre des armes d’épaule

25 octobre 2011 : La Loi sur l’abolition du registre des armes d’épaule (LARA) est déposée au Parlement. 

  • L’article 29 autorise la destruction de tous les documents concernant l’enregistrement des armes d’épaule. 
  • Le paragraphe 29(3) exclut l’application de la Loi sur la Bibliothèque et les Archives du Canada et de la Loi sur la protection des renseignements personnels pour la destruction de ces documents, mais il ne dit rien concernant la Loi sur l’accès à l’information.

27 mars 2012 : M. Bill Clennett présente une demande d’accès à l’information à la GRC visant tous les renseignements contenus dans le Registre des armes d’épaule.

5 avril 2012 : La LARA obtient la sanction royale.

13 avril 2012 : La commissaire à l’information écrit au ministre de la Sécurité publique de l’époque, Vic Toews, pour lui rappeler que :

  • tous les documents pertinents visés par une demande reçue avant l’entrée en vigueur de la LARA sont assujettis au droit d’accès;
  • lesdits documents ne pourraient être détruits avant qu’une réponse ait été donnée à l’auteur de la demande et que toute enquête et instance judiciaire connexe ait été menée à terme.

2 mai 2012 : M. Toews confirme à la commissaire que « la GRC respectera le droit d’accès ».

25 au 29 octobre 2012 : La GRC détruit les données du Registre des armes d’épaule pour toutes les provinces, sauf le Québec.

11 janvier 2013 : La GRC répond à la demande d’accès à l’information de M. Clennett.

1er février 2013 : M. Clennett dépose une plainte auprès du Commissariat à l’information alléguant, entre autres choses, que la réponse de la GRC à sa demande est incomplète.

26 mars 2015 : La commissaire communique les résultats de son enquête au ministre de la Sécurité de l’époque, Stephen Blaney, et recommande que les documents du Québec soient traités.

Le même jour, elle communique au procureur général, à des fins d’enquête, des renseignements sur une entrave criminelle possible au droit d’accès du demandeur.

30 avril 2015 : Le ministre Blaney refuse de suivre les recommandations de la commissaire. Il réitère les assurances données préalablement qu’une copie de sauvegarde des autres documents pertinents du Québec serait préservée.

6 mai 2015 : Le procureur général transmet les renseignements donnés par la commissaire au directeur des poursuites pénales (DPP) pour qu’il prenne les mesures qui s’imposent.

7 mai 2015 : Le gouvernement dépose la Loi no 1 sur le plan d’action économique de 2015 (projet de loi C‐59) au Parlement. La section 18 de ce projet de loi omnibus renferme des modifications rétroactives de la LARA qui ont pour effet :

  1. de soustraire à l’application de la LAI les documents relatifs à l’enregistrement d’armes d’épaule ou à la destruction de ces documents à compter de la date du dépôt de la LARA (25 octobre 2011);
  2. de protéger les fonctionnaires de l’État ayant participé à la destruction de documents contenus dans le Registre des armes d’épaule contre toute poursuite administrative, civile ou pénale à compter de la date à laquelle la LARA a obtenu la sanction royale (5 avril 2012);
  3. de protéger les fonctionnaires de l’État contre tout acte ou omission commis « en conformité présumée avec » la LAI entre la date du dépôt de la LARA (25 octobre 2011) et la date à laquelle la Loi no 1 sur le plan d’action économique de 2015 a obtenu la sanction royale (23 juin 2015).

13 mai 2015 : Le DPP demande à la Police provinciale de l’Ontario (PPO) d’enquêter sur l’entrave criminelle possible au droit d’accès de M. Clennett.

14 mai 2015 : La commissaire dépose un rapport spécial au Parlement renfermant les résultats de son enquête. Le même jour, elle saisit la Cour fédérale d’une demande de révision judiciaire.

3 juin 2015 : La commissaire à l’information dépose une requête devant la Cour fédérale en vue d’obtenir une ordonnance empêchant la destruction de la copie de sauvegarde des dossiers du Registre des armes d’épaule du Québec.

22 juin 2015 : Le juge Martineau accueille la requête de la commissaire à l’information et ordonne au ministre de la Sécurité publique de produire, au greffe de la Cour fédérale,  un disque dur renfermant la copie de sauvegarde des documents du Registre des armes d’épaule du Québec.

La commissaire et M.Clennett déposent une demande devant la Cour supérieure de l’Ontario contestant la constitutionnalité des modifications rétroactives de la LARA promulguées par la Loi sur le plan d’action économique de 2015.

23 juin 2015 : Le ministre se conforme à l’ordonnance de préservation de la Cour fédérale.

La Loi sur le plan d’action économique de 2015 obtient la sanction royale.

23 septembre 2015 : La PPO informe le Commissariat à l’information que la protection rétrospective accordée aux fonctionnaires de l’État ayant participé à la destruction des documents du Registre des armes d’épaule contre toute responsabilité a pour effet d’invalider le fondement d’enquêtes sur de possibles actes criminels.

13 novembre 2015 : Quatre groupes différents demandent le statut d’intervenant dans la contestation constitutionnelle dont la Cour supérieure de l’Ontario est saisie :

  • le commissaire à l’information et à la protection de la vie privée de l’Ontario au nom de ses homologues de l’ensemble des provinces et des territoires, sauf le Nouveau-Brunswick;
  • l’Association canadienne des libertés civiles (ACLC);
  • la Criminal Lawyers’ Association (CLA); et
  • le Centre for Law and Democracy (CLD).

Contestation constitutionnelle

En contestant la constitutionnalité des modifications rétroactives de la LARA promulguée par la Loi sur le plan d’action économique de 2015, le Commissariat à l’information a demandé à la Cour supérieure de l’Ontario de rendre des ordonnances déclarant que ces modifications :

  1. contreviennent de façon injustifiable à l’alinéa 2b) de la Charte canadienne des droits et libertés, notamment le droit d’accès à l’information dérivé reconnu par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Ontario c. Criminal Lawyers’ Association, 2010 CSC 23;
  2. violent les principes constitutionnels de la primauté du droit et de l’indépendance judiciaire en radiant de façon rétroactive les droits acquis d’accès à l’information du gouvernement et d’accès à un tribunal pour faire valoir ces droits;
  3. violent le principe constitutionnel de la primauté du droit en accordant une protection rétroactive à des fonctionnaires de l’État ayant porté atteinte à ces droits acquis.

Dans cette affaire, le demandeur, M. Clennett, est un activiste social et politique engagé qui s’occupe depuis longtemps de dossiers et d’initiatives qui concernent la violence mettant en cause des armes à feu et la violence faite aux femmes.

D’après les observations soumises à la Cour par la commissaire à l’information, l’accès de M. Clennett aux données disponibles du Registre des armes d’épaule est nécessaire pour lui permettre d’exercer utilement ses droits d’expression par rapport à des questions relatives au contrôle des armes à feu, à la violence mettant en cause des armes à feu, y compris la violence faite aux femmes, et à la sécurité publique au Québec.

Selon les observations de la commissaire à l’information, il convient d’examiner la conformité des modifications rétroactives de la LARA avec le principe de primauté du droit dans la mesure où elles :

  1. annulent le droit d’accès quasi constitutionnel du demandeur et contreviennent à l’alinéa 2b) de la Charte;
  2. confèrent une protection rétrospective à des fonctionnaires de l’État qui peuvent s’être livrés à une obstruction criminelle des droits acquis du demandeur;
  3. annulent la compétence du Commissariat à l’information et de la Cour fédérale d’examiner les décisions visant la communication de renseignements gouvernementaux indépendamment du gouvernement.

À notre avis, les modifications rétroactives de la LARA sont fondamentalement incompatibles avec les valeurs constitutionnelles canadiennes et représentent une rupture trop marquée avec les préceptes inhérents au principe de la primauté du droit qui doivent être respectés.

Arguments des intervenants

Commissaires à l’information et à la protection de la vie privée des provinces et des territoires :

Cette intervention amplifie la thèse de la commissaire à l’information en ce qu’elle souligne la portée nationale et intégrale des répercussions de la décision ultime de la Cour supérieure, d'autant plus que les lois sur l’accès à l’information des provinces et territoires respectifs des commissaires sont essentiellement similaires non seulement à la LAI, mais aussi les unes aux autres.

Les commissaires soulèvent aussi des arguments distincts sur les répercussions des modifications de la LARA sur l’élément de l’indépendance administrative qui s’inscrit dans le principe de l’indépendance judiciaire.

En particulier, ils soutiennent que ces modifications entravent l’indépendance administrative du Commissariat à l’information et de la Cour fédérale en niant leur compétence consistant à réviser de façon indépendante le processus décisionnel du gouvernement quant à la destruction de tous les documents faisant partie du Registre des armes d’épaule.

Association canadienne des libertés civiles (ACLC) :

Dans son intervention, l’ACLC s’en tient à la question de savoir si les modifications de la LARA portent atteinte au droit d’accès dérivé garanti par l’alinéa 2b) de la Charte.

L’ACLC s’emploie à aider la Cour à adopter une approche téléologique pour l’interprétation et l’application du droit constitutionnel d’accès aux renseignements gouvernementaux, compte tenu particulièrement des orientations judiciaires limitées sur la façon d’interpréter et d’appliquer ce droit.

Elle le fait en renvoyant à des traités et conventions internationaux ainsi qu’à des décisions de tribunaux étrangers qui reconnaissent le « droit de savoir » et lui donne effet à titre d’élément central de la liberté d’expression et l’un des piliers d’une société libre et démocratique.

Centre for Law and Democracy (CLD) :

L’intervention du CLD est aussi axée sur l’alinéa 2b) de la Charte.

Le CLD soutient que bien que le droit d’accès aux renseignements détenus par l’État ait été reconnu comme un droit protégé par la Charte, il y a eu très peu de litiges subséquents mettant en jeu ce droit et, en conséquence, c’est un domaine du droit dans lequel il est particulièrement important que les tribunaux canadiens prennent en compte les normes et les pratiques internationales en matière de droit de la personne.

Dans son intervention, le CLD s’emploie à aider la Cour à présenter un point de vue sur le droit à l’information fondé en droit international tel qu’il se reflète dans des normes internationales faisant autorité ainsi que dans les lois et les pratiques d’autres pays.

Criminal Lawyers’ Association (CLA) :

L’intervention de la CLA met l’accent sur la primauté du droit. L’Association soutient que les modifications de la LARA engagent la primauté du droit :

  1. par leur nature rétrospective, qui est contraire au principe établi selon lequel tous les changements importants du droit public soient de nature prospective;
  2. en visant à donner un avantage à des fonctionnaires de l’État dont on allègue qu’ils ont contrevenu à la loi, plutôt que des modifications qui s’appliquent universellement à tous les citoyens.

Selon la CLA, il s’agit de la première affaire dans laquelle une modification du droit substantiel, en l’espèce une modification législative qui abroge une interdiction visant une conduite, a été faite rétroactivement de façon à conférer une immunité pour des actes passés qui peuvent avoir violés une loi en vigueur à l’époque de l’acte et qui aurait pu donner lieu à des sanctions.

La CLA soutient aussi que des fonctionnaires de l’État ont obtenu l’avantage d’une protection rétrospective dont les simples citoyens n’ont jamais bénéficié.

Le principe de la primauté du droit (CSC)

Reconnaissance et élaboration du principe de la primauté du droit par la CSC

  • Renvoi relatif à la Sécession du Québec, [1998] 2 RCS 217 (Renvoi relatif à la Sécession du Québec)
  • Colombie-Britannique c. Imperial Tobacco Canada Ltée, 2005 CSC 49 (Imperial Tobacco)
  • Colombie-Britannique (PG) c. Christie, 2007 CSC 21 (Christie)
  • Trial Lawyers’ Association of British Columbia c. Colombie-Britannique (PA), 2014 CSC 59 (Trial Lawyers’ Association)

« Les principes du constitutionnalisme et de la primauté du droit sont à la base de notre système de gouvernement. Comme l'indique l'arrêt Roncarelli c. Duplessis, [1959] R.C.S. 121, à la p. 142, la primauté du droit (le principe de la légalité) est [TRADUCTION] “un des postulats fondamentaux de notre structure constitutionnelle”. Nous avons noté, dans le Renvoi relatif au rapatriement, précité, aux pp. 805 et 806, que “[l]a règle de droit est une expression haute en couleur qui, sans qu'il soit nécessaire d'en examiner ici les nombreuses implications, communique par exemple un sens de l'ordre, de la sujétion aux règles juridiques connues et de la responsabilité de l'exécutif devant l'autorité légale”. À son niveau le plus élémentaire, le principe de la primauté du droit assure aux citoyens et résidents une société stable, prévisible et ordonnée où mener leurs activités. Elle fournit aux personnes un rempart contre l'arbitraire de l'État. »

Renvoi relatif à la sécession du Québec, au par. 70

  1. Le principe de la primauté du droit consacre « la suprématie du droit sur les actes du gouvernement et des particuliers.  En bref, il y a une seule loi pour tous ».
  2. « La primauté du droit exige la création et le maintien d'un ordre réel de droit positif qui préserve et incorpore le principe plus général de l'ordre normatif ».
  3. «  “L'exercice de tout pouvoir public doit en bout de ligne tirer sa source d'une règle de droit”.  En d'autres termes, les rapports entre l'État et les individus doivent être régis par le droit. »

Renvoi relatif à la sécession du Québec, au par. 71

« Lorsqu’on l’interprète de cette manière, il est difficile de concevoir que la primauté du droit puisse servir à invalider une loi comme celle qui nous occupe en raison de son contenu. Cela tient au fait qu’aucun des principes qu’embrasse la primauté du droit ne vise directement les termes de la loi. Le premier principe requiert que les lois soient appliquées à tous ceux, incluant les représentants gouvernementaux, à qui, de par leur libellé, elles doivent s’appliquer. Le deuxième principe signifie que les lois doivent exister. Quant au troisième principe, lequel chevauche dans une certaine mesure le premier et le deuxième, il exige que les mesures prises par les représentants de l’État s’appuient sur des lois […] »

Imperial Tobacco, au par. 59 [nous soulignons]

« Cela ne signifie pas que la primauté du droit, telle que décrite par cette Cour, n’a aucune force normative. Comme l’a affirmé la juge en chef McLachlin dans Babcock, par. 54, les “principes constitutionnels non écrits”, incluant la primauté du droit, “[peuvent] limiter les actes du gouvernement”. Voir aussi Renvoi sur la sécession du Québec, par. 54. Mais les actes du gouvernement que limite la primauté du droit, comme l’entendent le Renvoi relatif aux droits linguistiques au Manitoba et le Renvoi sur la sécession du Québec, sont habituellement, par définition, ceux des pouvoirs exécutif et judiciaire. Les actes du pouvoir législatif sont aussi limités, mais seulement dans le sens où ils doivent respecter des conditions légales de manière et de forme (c.-à-d., les procédures d’adoption, de modification et d’abrogation des lois). »

Imperial Tobacco, au par. 60 [nous soulignons]

« Il est possible d’affirmer en toute objectivité que les conceptions qu’offrent les appelants de la primauté du droit se situent à l’une des extrémités du spectre des conceptions possibles. Elles valident ainsi la remarque du juge Strayer. Les appelants plaident en effet que la primauté du droit exige que la loi (1) soit prospective, (2) qu’elle soit de nature générale, (3) qu’elle ne confère aucun privilège spécial au gouvernement, sauf pour les besoins d’une gouvernance efficace, et (4) qu’elle assure un procès équitable au civil. Ils soutiennent alors que la Loi contrevient à chacune de ces exigences, ce qui la rendrait invalide. »

Imperial Tobacco, au par. 63

« Il ressort nettement de l’examen de ces principes que, à l’heure actuelle, l’accès général aux services juridiques n’est pas considéré comme un aspect de la primauté du droit. Dans Imperial Tobacco, toutefois, notre Cour n’a pas écarté la possibilité que la primauté du droit puisse englober d’autres principes. Il est donc nécessaire de décider si l’accès général à des services juridiques lors de procédures de tribunaux judiciaires ou administratifs portant sur des droits et des obligations constitue un aspect fondamental de la primauté du droit. »

Christie, au par. 21 [nous soulignons]

« En présence d’un texte de loi qui nie effectivement à des gens le droit de soumettre leurs différends aux tribunaux, les inquiétudes concernant le maintien de la primauté du droit n’ont rien d’abstrait ou de théorique. Si les gens ne sont pas en mesure de contester en justice les mesures prises par l’État, ils ne peuvent obliger celui-ci à rendre des comptes — l’État serait alors au-dessus des lois ou perçu comme tel. Si les gens ne sont pas en mesure de saisir les tribunaux de questions légitimes, cela gênera la création et le maintien de règles de droit positif, car les lois ne seront pas appliquées. Et cela risquera d’altérer l’équilibre entre le pouvoir de l’État de faire et d’appliquer des lois et la responsabilité des tribunaux de statuer sur les contestations de ces lois par des citoyens […] »

Trial Lawyers’ Association, au par. 40 [nous soulignons]

Le droit constitutionnel à l'information au Canada

Reconnaissance de l’importance du droit à un « vote éclairé » et à la participation « significative » au processus politique (avant l’arrêt CLA)

Affaires portant sur l’alinéa 2b) :

  • Haig c. Canada (Directeur général des élections), [1993] 2 RCS 995
  • Libman c. Québec (PG), [1997] 3 RCS 569
  • Thomson Newspapers c. Canada (PG), [1998] 1 RCS 877
  • Harper c. Canada (PG), [2004] 1 RCS 827

Affaires portant sur l’article 3 :

  • Figuerora c. Canada (PG), [2003] 1 RCS 912
  • Harper c. Canada (Procureur général), [2004] 1 RCS 827

« Le présent pourvoi met en cause l’aspect informationnel du droit de chacun de participer utilement au processus électoral. Ce droit comporte pour le citoyen celui de voter de manière éclairée. Pour ce faire, le citoyen doit être à même de soupeser les forces et les faiblesses relatives de chaque candidat et de chaque parti politique. Il doit également être en mesure de considérer, le cas échéant, les aspects adverses des thèmes associés à certains candidats et à certains partis politiques. Bref, les électeurs ont le droit d’être “raisonnablement informés de tous les choix possibles” :  Libman, au par.47. »

Harper, 2004 CSC 33, au par. 71, juge Bastarache [nous soulignons]

Le droit constitutionnel à l'information au Canada (Criminal Lawyers’ Association)

Ministère de la Sûreté et de la Sécurité publique de l’Ontario c. Criminal Lawyers’ Association, 2010 CSC 23

Faits : Demande d’accès à des rapports concernant une enquête de la PPO sur une inconduite policière (déjà identifiés par le juge).

Législation : Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée de l’Ontarioart. 14, 19, 23.

Question : Le fait que le principe de la primauté des raisons d’intérêt public consacré par l’article 23 ne s’applique pas aux documents à l’égard desquels on invoque le secret professionnel de l’avocat ou le privilège rattaché aux écrits relatifs à l’exécution de la loi viole-t-il le droit à la liberté d’expression protégé par l’alinéa 2b) de la Charte?

Décision : Il n’y a aucune violation de l’alinéa 2b) en l’espèce, mais la décision est « déraisonnable » pour des motifs relevant du droit administratif.

« L’alinéa 2b)  de la Charte canadienne des droits et libertés garantit la liberté d’expression, mais il ne garantit pas l’accès à tous les documents détenus par le gouvernement. En effet, l’accès à ces documents n’est protégé, sur le plan constitutionnel, que lorsqu’il est démontré qu’il s’agit d’une condition qui doit nécessairement être réalisée pour qu’il soit possible de s’exprimer de manière significative, qu’il n’empiète pas sur des privilèges protégés, et qu’il est compatible avec la fonction de l’institution en cause. »

Criminal Lawyers’ Association, au par. 5

« […] L’al. 2b) ne garantit pas l’accès à tous les documents détenus par le gouvernement. Il garantit la liberté d’expression, pas l’accès à l’information. L’accès est un droit dérivé qui peut intervenir lorsqu’il constitue une condition qui doit nécessairement être réalisée pour qu’il soit possible de s’exprimer de manière significative sur le fonctionnement du gouvernement. »

Criminal Lawyers’ Association, au par. 30 [nous soulignons]

La méthode énoncée dans Irwin Toy appliquée à l’alinéa 2b) dans CLA :

  1. L’activité en question a-t-elle un contenu expressif?
  2. Y a-t-il quelque chose dans le lieu ou le mode d’expression ayant pour effet d’écarter cette protection?
  3. Si l’activité est protégée, la mesure prise par l’État porte-t-elle atteinte, par son objet ou par son effet, au droit protégé?

1) L’activité en question a-t-elle un contenu expressif?

« Pour démontrer que l’accès à de tels documents donnera accès à un contenu expressif, le demandeur doit établir que le refus d’y donner accès empêche en réalité de formuler des commentaires significatifs…

En somme, il est établi prima facie que l’al. 2b)  peut contraindre le gouvernement à divulguer les documents qu’il détient lorsqu’il est démontré que, sans l’accès souhaité, les discussions publiques significatives sur des questions d’intérêt public et les critiques à leur égard seraient considérablement entravées […] Pour que le gouvernement œuvre de manière transparente, il faut que l’ensemble des citoyens puisse avoir accès aux documents gouvernementaux lorsque cela est nécessaire pour la tenue d’un débat public significatif sur la conduite d’institutions gouvernementales. »

Criminal Lawyers’ Association, aux par. 33, 37 [nous soulignons]

« Selon nous, la CLA n’a pas démontré qu’il est impossible de discuter de manière significative de la gestion de l’enquête sur le meurtre de Domenic Racco ainsi que de la poursuite des suspects sous le régime législatif actuel. On en sait beaucoup sur les événements en question. […] Les renseignements sur lesquels se fondent ces conclusions [du juge Glithero] sont déjà dans le domaine public. Les autres renseignements demandés portent sur l’enquête interne quant à la conduite du service régional de police de Halton, du service régional de police de Hamilton-Wentworth et du procureur de la Couronne en l’espèce. […]  Cependant, la CLA n’a pas établi que l’accès à ce document est nécessaire pour que se tiennent des discussions publiques significatives sur les problèmes relatifs à l’administration de la justice quant au meurtre Racco. »

Criminal Lawyers’ Association, au par. 59 [nous soulignons]

2) Y a-t-il quelque chose dans le lieu ou le mode d’expression ayant pour effet d’écarter cette protection?

« […] La demande peut malgré tout échouer en raison de l’existence de facteurs qui écartent la protection prévue à l’al. 2b)  soit, par exemple, si les documents auxquels on demande l’accès sont protégés par un privilège ou si leur divulgation interférerait avec le bon fonctionnement de l’institution gouvernementale en cause. »

Criminal Lawyers’ Association, au par. 33

Exemples de « considérations compensatoires »

i) Privilèges

  • Privilèges en common law, p. ex. secret professionnel de l’avocat
  • Privilèges établis par une loi – p. ex. protection des documents confidentiels du Cabinet dans la Loi sur la preuve au Canada

« Puisque tant la common law que les lois doivent être conformes à la Charte, la création de catégories particulières de privilèges peut en principe faire l’objet de contestations fondées sur la Constitution. Cependant, en pratique, ces privilèges seront vraisemblablement bien circonscrits, ce qui offre une prévisibilité et une certitude quant à ce qui doit être divulgué et à ce qui reste protégé. »

Criminal Lawyers’ Association, au par. 39 [nous soulignons]

ii) Fonctions de l’État incompatibles avec l’accès à certains documents

  • processus décisionnel de la magistrature
  • documents confidentiels du Cabinet

« Comme l’illustre l’arrêt Montréal (Ville), au par. 22, l’historique de la fonction d’une institution en particulier peut aussi aider à déterminer le degré de confidentialité dont elle devrait bénéficier. Dans cet arrêt, la Cour a reconnu que certaines fonctions et activités gouvernementales requièrent un certain isolement (par. 76). Ce principe s’applique aux demandes d’accès à l’information détenue par le gouvernement. Certains types de documents peuvent être soustraits à la divulgation parce que celle-ci nuirait au bon fonctionnement des institutions touchées. » 

Criminal Lawyers’ Association, au par. 40 [nous soulignons]

« Si la nécessité était prouvée, […] la CLA aurait un obstacle supplémentaire à surmonter, soit celui de démontrer que l’accès aux documents visés par les art. 14 et 19, grâce au principe de la primauté consacré par l’art. 23, n’empiéterait pas sur des privilèges ou n’entraverait pas le bon fonctionnement des institutions gouvernementales visées. Comme nous en avons discuté, les art. 14 [exécution de la loi] et 19 [secret professionnel de l’avocat] visent à soustraire des documents à la divulgation pour ces motifs précis. Sur la foi du dossier dont nous sommes saisis, il n’est pas prouvé que la CLApourrait satisfaire aux exigences du cadre d’analyse décrit précédemment. »

Criminal Lawyers’ Association, au par. 60 [nous soulignons]

3) Si l’activité est protégée, la mesure prise par l’État porte-t-elle atteinte, par son objet ou par son effet, au droit protégé?

« La réponse ultime à la demande de la CLA est la suivante : l’absence du réexamen découlant du principe de primauté de l’intérêt public consacré par l’art. 23 pour les documents visés par les art. 14 et 19 n’entrave pas considérablement un droit hypothétique d’accès aux documents gouvernementaux, puisque ces dispositions, bien interprétées, tiennent déjà compte de l’intérêt public. La CLA ne satisferait pas au test parce qu’elle ne pourrait pas démontrer que l’État a porté atteinte à sa liberté d’expression. »

Criminal Lawyers’ Association, au par. 61

Évaluation de la contestation constitutionnelle

  • La CSC et la primauté du droit à titre de principe non écrit – réticence tempérée par des exceptions
  • La CSC et l’accès à l’information – un dossier mitigé au cours des dernières années
    • Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Ministre de la Défense nationale), 2011 CSC 25
    • Merck Frosst Canada Ltée c. Canada (Santé), 2012 CSC 3
    • Ontario (Sécurité communautaire et Services correctionnels) c. Ontario (Commissaire à l’information et à la protection de la vie privée), 2014 CSC 31
    • Untel c. Ontario (Finances), 2014 CSC 36
  • L’affaire du Registre des armes d’épaule vue comme la « tempête parfaite »
  • Application du principe de la « primauté du droit » (conjugué à l’indépendance judiciaire)
    • Exclusion complète de l’accès aux tribunaux et aux cours
    • Soustraction des fonctionnaires de l’État à la responsabilité pour l’exercice inappropriée de pouvoir public (et non pour la responsabilité financière)
  • Application des critères énoncés dans Criminal Lawyers’ Association (alinéa 2b) :
    1. Contenu expressif
      • « empêche en réalité »/« considérablement entravées » - élimination rétroactive de tous les droits d’accès
      • « les discussions publiques significatives sur des questions d’intérêt public et les critiques à leur égard » – violence armée, etc.
      • « un débat public significatif sur la conduite d’institutions gouvernementales » – destruction intentionnelle de documents visés par une enquête
    2. Interférer avec le privilège ou une fonction de l’État?
    3. Intervention de l’État empiétant sur la protection
  • Application des critères énoncés dans Criminal Lawyers’ Association (article 1) :
    1. Prescrit par la loi
    2. Objectif pressant et substantiel – « combler une lacune »?
    3. Proportionnalité
      1. Lien rationnel
      2. Entrave minimale – solutions de rechange à l’interdiction absolue de l’accès?
      3. Proportionnalité – équilibrer l’élimination absolue du droit d’accès?

État de la contestation constitutionnelle

Au début de mars 2016, l’actuel ministre de la Sécurité publique, Ralph Goodale, a écrit à la commissaire pour proposer de suspendre l’échéancier de la contestation constitutionnelle en attendant l’issue des négociations visant à régler ce litige et le litige connexe en Cour fédérale.

Peu de temps après, la commissaire et M. Clennett ont tous deux consenti à suspendre l’échéancier en attendant l’issue des négociations, qui se poursuivent.

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