L'année de l'accès à l'information?

Discours à la Conférence de l'Association canadienne d'accès à l'information et de protection des renseignements personnels

par Suzanne Legault, commissaire à l'information du Canada

Le 30 novembre 2015
Ottawa (Ontario)

(L'allocution prononcée fait foi)


Bonjour,

Je remercie Larry de m'avoir invitée aujourd'hui. C'est toujours un plaisir pour moi d'avoir l'occasion de reprendre contact avec la communauté de l’accès à l’information ici, à Ottawa. L'année a été marquée par de nombreux développements, et il y en aura aussi beaucoup l'année prochaine.

En effet, des progrès considérables ont été accomplis quant à l'accès à l'information, mais des reculs tout aussi importants ont été constatés.

De très importantes décisions ont été rendues cette année. Deux cas en particulier ont apporté des précisions nécessaires sur l'application de la Loi : la décision de la Cour fédérale sur les frais, et celle de la Cour fédérale d’appel sur les prorogations de délai.

Les membres de mon équipe parleront plus en détail de ces cas au courant de la journée.

Permettez-moi simplement de vous dire que ce que l'on retient principalement du premier cas, c'est que les institutions ne pourront plus exiger des frais de recherche et de préparation pour les dossiers électroniques.

Dans le deuxième cas, la Cour a réitéré l'importance de respecter les délais en accès à l'information. La décision a permis de clarifier le fait que les prorogations de délai doivent être justifiées et résister à un examen approfondi, et que les demandeurs ont un recours devant la Cour s'ils estiment qu'une prorogation de délai est déraisonnable.

Le Commissariat émettra des avis d'information sur ces deux décisions et sur leurs répercussions sur les enquêtes.

Cette année, nous avons également été témoins du cas d'atteinte aux droits d'accès le plus grave et le plus inquiétant que j'aie jamais vu : le cas du registre des armes d'épaule.

Comme vous le savez probablement, j’ai enquêté une plainte à propos d'une demande de dossiers contenus dans le registre des armes d'épaule.

Après une longue enquête, j'ai formulé des recommandations au ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile pour le traitement et la divulgation supplémentaires de dossiers. Le ministre ayant rejeté mes recommandations, j'ai soumis le dossier à la Cour fédérale avec l'autorisation du plaignant.

J’ai également soumis au procureur général du Canada des preuves d’une possible perpétration d’infraction, la destruction de dossiers, en vertu de l’article 67.1 de la Loi, qui prévoit d'éventuelles sanctions pénales.

À la lumière de mon enquête, le gouvernement a présenté sa propre proposition.

Il a inclus dans le projet de loi sur l'exécution du budget des dispositions qui faisaient en sorte que la Loi sur l'accès à l'information ne s'appliquait pas aux fichiers du registre d'armes d'épaule. Ces dispositions étaient rétroactives à la date à laquelle la Loi sur l'abolition du registre des armes d'épaule (LARA) avait été déposée au Parlement, avant que la demande visée par mon enquête n'ait été présentée à la GRC.

Essentiellement, telles qu'elles ont été adoptées, les dispositions de la LARA ont :

  • annulé la demande visée par mon enquête;
  • annulé la plainte dont le Commissariat a été saisi;
  • annulé toute mon enquête, y compris les ordonnances de communication et les examens faits sous serment;
  • annulé les recommandations que j'ai formulées au ministre de la Sécurité publique et au procureur général;
  • annulé la demande dont j'ai saisi la Cour fédérale;
  • annulé toutes les éventuelles responsabilités administratives, civiles ou criminelles des parties en cause;
  • annulé le droit du demandeur dans ce dossier.

J'ai déposé une demande afin de contester la constitutionnalité de ces dispositions au titre de l'alinéa 2(b) de la Charte et de la primauté du droit.

En septembre, la Police provinciale de l’Ontario a informé le Commissariat qu'elle ne ferait pas enquête dans cette affaire, puisqu'il n'y avait plus d'infraction criminelle à examiner!

Il y a quelques semaines, quatre organismes ont demandé à la Cour la permission de devenir des intervenants : l'Association canadienne des libertés civiles, la Criminal Lawyers Association, les commissaires à l'information provinciaux de partout au pays et le Centre for Law and Democracy.

Les universitaires, les historiens, les sociétés civiles, les médias, les commissaires à l'information canadiens et les membres du public ont compris, comme je l'ai avancé, que ce cas ne concerne plus le registre des armes d'épaule, mais bien le droit d'accès quasi constitutionnel des Canadiens, la primauté du droit et le respect de nos droits et libertés, protégés par la Charte.

Les procédures sur la contestation constitutionnelle sont en cours, et les audiences sont prévues pour juin 2016. La demande devant la Cour fédérale est suspendue dans l'attente de l'issue de la contestation fondée sur la Charte.

Tandis que ces procédures se déroulent devant les tribunaux, le milieu de l'accès à l'information est sur le point d'être transformé de manière significative.

Dans une lettre ouverte adressée à tous les Canadiens peu après son élection, le premier ministre a déclaré :
« Le gouvernement — et l’information qui en émane — doit être ouvert "par défaut". En un mot, il est temps de faire plus de lumière sur le gouvernement afin d’assurer qu’il continue d’accorder la priorité aux personnes qui sont sa raison d’être, soit les Canadiens et les Canadiennes. »

Voilà qui est très encourageant. Pour moi qui suis commissaire à l'information, c'est de la musique à mes oreilles.

Cependant, nous devons nous rappeler que quelqu'un d'autre a dit :

« L'information est le moteur de la démocratie. En l'absence d'un accès adéquat aux renseignements clés sur les politiques et les programmes gouvernementaux, les citoyens et les parlementaires ne sont pas en mesure de prendre des décisions éclairées, et une gouvernance incompétente ou corrompue pourrait se réfugier derrière un voile de secret. » [traduction]

Ce quelqu'un, c'était Stephen Harper, qui a dit cela quelques mois seulement avant de devenir premier ministre.

Afin que le nouveau gouvernement respecte ses promesses, il faut adopter des mesures concrètes qui favoriseront une transformation radicale dans la culture du gouvernement fédéral.

Le changement ne s'opère pas du jour au lendemain.

Le nouveau gouvernement a déjà pris quelques mesures positives. 

On le voit clairement dans les lettres ministérielles publiées, plus tôt ce mois-ci, pour la première fois au niveau fédéral. Je suis sûre de ne pas être la seule à les avoir lues avec grand intérêt pour connaître les attentes, approches et priorités du premier ministre à l'égard de son nouveau cabinet.

Dans toutes ces lettres revenaient les thèmes de l'ouverture et de la transparence.

Le président du Conseil du Trésor, la ministre de la Justice et la ministre des Institutions démocratiques se sont vu confier expressément la responsabilité, dans leurs lettres de mandat, de « rendre le gouvernement encore plus ouvert, notamment en appuyant la révision de la Loi sur l’accès à l’information. »

Ces lettres ont également précisé quelles modifications sont prioritaires : donner au Commissariat le pouvoir de rendre des ordonnances, élargir le champ d'application de la Loi pour y assujettir le cabinet du premier ministre et des ministres ainsi que les institutions administratives qui soutiennent le Parlement et les tribunaux et faire en sorte que les Canadiens puissent accéder plus facilement à leurs renseignements personnels.

Ces propositions sont parfaitement alignées sur les recommandations que j'ai faites dans mon rapport spécial intitulé Viser juste pour la transparence publié en mars dernier.

Au cours de la dernière année, le Commissariat a entrepris diverses démarches pour améliorer ses procédures d'enquête. Elles seront fort utiles dans la transition vers un modèle exécutoire.

Nous avons déployé beaucoup d'efforts pour améliorer nos procédures actuelles, procurer davantage de prévisibilité aux institutions et aux plaignants et favoriser le respect des échéances aux diverses étapes des enquêtes. Nous sommes en train d'élaborer un code de procédure qui aidera tant les plaignants que les institutions à comprendre chacun de nos rôles et responsabilités dans le cadre d'une enquête.

Si nous examinons les divers modèles exécutoires des provinces et territoires du Canada, par exemple la Colombie-Britannique ou l'Ontario, leur succès repose sur un efficace processus de médiation comme première étape. En Ontario, un peu plus de la moitié des cas sont réglés en médiation, et environ le quart par décision. Les autres sont retirés, éliminés ou abandonnés. En Colombie-Britannique, les chiffres sont comparables : la moitié des cas sont réglés en médiation, et moins de 10 pour cent par décision.

L'année dernière, nous avons mené un projet pilote pour accélérer le règlement de certaines plaintes en médiation sans procéder à une enquête complète. Sur les 318 dossiers choisis pour le projet, 70 pour cent ont été réglés en médiation. Par exemple, dans certaines circonstances, les plaintes ont été réglées avec le consentement des parties, groupées avec des dossiers similaires ou abandonnées.

Nous déploierons notre programme de médiation à tous nos enquêteurs, de sorte que toutes les plaintes reçues par le Commissariat aillent en médiation. La formation a déjà commencé, et nous visons une mise en œuvre complète de ce nouveau programme au début du prochain exercice financier.

La médiation dans un modèle exécutoire est plus efficace que dans un modèle d'ombudsman. Comme il ne s'agit pas d'un arbitrage, les parties bénéficient du privilège de la médiation. Autrement dit, ce qui se passe en médiation reste en médiation. Toutefois, le processus est plus rigoureux et plus rapide, et les délais sont plus stricts.

En général, le modèle exécutoire augmentera l'efficacité du système :

  • Il incite clairement les institutions à appliquer des exceptions uniquement lorsqu'elles disposent de preuves suffisantes pour soutenir la non-divulgation.
  • Il a un caractère définitif pour les demandeurs, car les ordonnances sont exécutoires.
  • Les ordonnances constituent une jurisprudence qui indique clairement aux institutions la position de la commissaire.
  • La jurisprudence réduit la probabilité que la commissaire doive examiner des questions ayant déjà été jugées.
  • Il limite l'examen devant la Cour à la décision de l'arbitre et permet donc d'éviter les délais associés à deux niveaux d'examen pour une décision concernant la divulgation de l'information.

Une loi moderne sur l'accès à l'information s'applique à tous les organes du gouvernement. J'ai recommandé dans mon rapport spécial que des institutions précises soient assujetties à la Loi : les cabinets du premier ministre et des ministres, les institutions qui appuient le Parlement et les institutions qui fournissent un soutien administratif aux tribunaux. Je suis ravie de constater qu'il s'agit également de l'un des changements demandés par le premier ministre dans ses lettres de mandat au président du Conseil du Trésor et à la ministre de la Justice.

Le fait que les cabinets des ministres ne sont actuellement pas assujettis à la Loi représente une grave lacune en matière de responsabilité. Étant donné la décision de la Cour suprême concernant l'affaire des agendas du premier ministre en 2011, la seule solution est une modification législative.

On ne sait pas exactement pour l'instant quelles autres modifications seront mises de l'avant, mais une obligation légale de documenter des décisions avec des sanctions pour les cas de non-conformité est un changement essentiel pour protéger le droit d'accès à l'information.

L'absence de documentation convenable des décisions a toujours été un point faible dans l'accès à l'information. Comment peut-on savoir sur quoi sont fondées les décisions si aucun document n'est créé? La perte d'information porte atteinte au droit des Canadiens de savoir ce que fait le gouvernement et de le tenir responsable de ses décisions.

Ce problème a été accentué par le développement rapide de nouvelles technologies. Dans l'univers numérique, les communications sont de plus en plus nombreuses. Les technologies évoluent si rapidement que nous n'arrivons plus à suivre le rythme dans la gestion des dossiers papier et numériques.

En raison de l'utilisation accrue de NIP et de messages texte, les décisions des fonctionnaires ne sont tout simplement pas consignées et conservées comme il se doit. Chaque jour, des milliers d'employés fédéraux et d’employés du cabinet d'un ministre, utilisent des appareils sans fil pour envoyer et recevoir des messages instantanés. La conservation de ces messages repose entièrement sur leur volonté d'identifier, de sauvegarder et de stocker les dossiers qui revêtent une valeur opérationnelle. On constate également une tendance à la discussion en personne ou comme on dit en anglais : “LDL” ou “Let’s Discuss Live”, où rien n'est enregistré, où rien n'est conservé pour le public.

Au fil des ans, le nombre de plaintes déposées au Commissariat pour des documents manquants a augmenté.

Mon enquête sur l'utilisation de la messagerie instantanée a démontré que la probabilité que des messages textes puissent être retrouvés s'estompe au fil du temps et selon l'emplacement.

Ce problème n'existe pas qu'au sein du gouvernement fédéral. Mes collègues partout au pays et ailleurs dans le monde y font face également.

Vous avez probablement entendu parler de la destruction de courriels sur les usines à gaz en Ontario et du scandale de la triple suppression ou « triple delete » en Colombie-Britannique.

Quoi qu'il en soit, il n'existe pas de texte législatif ni de règlement fédéral ou provincial prévoyant une obligation exhaustive et exécutoire concernant la création de documents pour étayer les processus décisionnels ainsi que les procédures et les opérations connexes.

En l'absence d'une telle obligation, l'accès à l'information est sérieusement à risque.

Afin que le Canada soit à l'avant-garde pour ce qui est de la transparence, il doit repousser les limites du possible et inclure dans la Loi des normes progressistes qui contribueront grandement à un changement de culture et au rétablissement de la réputation de notre pays comme chef de file en matière de transparence.

Tim Berners-Lee, le créateur du Web, a déclaré dans le numéro de ce mois-ci du magazine The Economist que les gouvernements de toute la planète doivent modifier leur cadre juridique pour s'adapter à l'univers numérique.

Ce dont nous avons besoin en ce moment au gouvernement, c'est une vision intégrée d'un gouvernement ouvert. Cette vision doit comprendre un solide régime d'accès à l'information, plus de données accessibles au public et un meilleur dialogue avec les citoyens.

Afin de concrétiser cette vision, chacun de nous doit agir en agent de changement à l'intérieur de son cercle d'influence.

Nous devons chercher à transformer les obstacles en opportunités. Les difficultés peuvent être surmontées. L'esprit de la Loi sur l'accès à l'information peut être respecté. Une culture du secret peut être transformée en une culture d'ouverture. Tout cela signifiera un meilleur Canada pour nous tous.

En terminant, j'aimerais parler de ma propre lettre de mandat, pour ainsi dire, si je devais m’en écrire une.

Mon but ultime est de protéger les droits à l'information en vertu de la Loi sur l'accès à l'information dans l'optique de garantir l'ouverture et l'imputabilité du gouvernement.

Mes priorités sont les suivantes :

  • Poursuivre notre recherche de financement additionnel.
  • Continuer d'améliorer l'efficacité des enquêtes, en tirant profit de notre fonction de médiation et en créant un code de procédure.
  • Assister le Parlement dans sa révision de la Loi.
  • Préparer le Commissariat dans la transition vers un nouveau mandat législatif dans un modèle exécutoire.
  • Travailler sans relâche à promouvoir et à soutenir un changement de culture.

Conclusion

L'UNESCO a récemment décidé de faire du 28 septembre la Journée internationale de l'accès universel à l'information. Évidemment, le 28 septembre est déjà célébré partout dans le monde chaque année comme la Journée internationale du droit à l’information. Mais la proclamation de l'UNESCO donne une plus grande signification à l'événement.

En outre, l'année prochaine, le thème de la Journée mondiale de la liberté de la presse, qui souligne le principe fondamental de la liberté de presse, sera : C'est votre droit! L'accès à l'information et aux libertés fondamentales.

En 2016 sera également célébré le 250e anniversaire de la première loi dans le monde sur la liberté d'information, adoptée en Suède en 1766. Le Commissariat, en collaboration avec l'ambassade de Suède, organisera un événement ici, à Ottawa, l'automne prochain pour souligner cet anniversaire.

J'ai récemment appris, non sans surprise, que le mot de l'année 2015 de la Oxford University Press n'est pas vraiment un mot, mais plutôt une émoticône de visage avec des larmes de joie.

Si vous me demandiez quel est mon mot de l'année en français pour 2016, j'en choisirais quatre : « accès à l'information », auxquels j'ajouterais l'émoticône de l'année!

Les astres s'alignent. Je crois que 2016 sera l'année de l'accès à l'information, une année où le Canada aura l'occasion de devenir un leader en matière d'accès à l'information et de transparence.

Je serai heureuse de répondre à vos questions.

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