Lettre au président du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones (APPA)
Le 7 mars 2024
Sénateur Brian Francis
Président du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones (APPA)
Sénat du Canada
Ottawa (Ontario)
K1A 0A4
Monsieur le Président,
La présente fait suite à ma comparution devant le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, le 26 février 2024. Je suis reconnaissante au Comité de m’avoir invitée à comparaître devant lui et je salue son intérêt pour le rôle que le système d’accès à l’information peut jouer dans la réconciliation.
Au cours de ma comparution, les membres m’ont demandé quels changements seraient nécessaires pour éliminer les obstacles systémiques à l’accès à l’information, particulièrement en ce qui concerne les peuples autochtones. En janvier 2021, dans le cadre de l’examen du système d’accès à l’information au sein du gouvernement, j’ai formulé des observations et recommandations afin d’améliorer la transparence des institutions fédérales. Je recommandais notamment d’inclure une disposition générale prévoyant la primauté de l’intérêt public dans la Loi sur l’accès à l’information, ce qui, selon moi, pourrait être d’une grande utilité aux communautés autochtones.
L’inclusion dans une loi sur l’accès à l’information d’une obligation de divulguer reconnaît l’importance de l’accès du public aux renseignements critiques et urgents détenus par le gouvernement, et l’obligation de ce dernier de fournir ces renseignements sans délai. Six lois provinciales contiennent des dispositions qui obligent une institution, qu’elle fasse ou non l’objet d’une demande d’accès, à communiquer sans délai les renseignements concernant un risque de préjudice important à la santé publique, à la sécurité publique ou à l’environnement.
De plus, comme je l’ai mentionné dans mon allocution d’ouverture, la partie II de la Loi exige la publication proactive de renseignements précis étant d’intérêt public, sans qu’il soit nécessaire de présenter une demande d’accès. Dans le cadre de l’examen du gouvernement, j’ai recommandé que la Loi devrait prévoie un mécanisme de révision indépendant pour s’assurer que les institutions respectent les exigences de publication des renseignements énoncés à la partie II de la Loi. Lors de ma comparution devant votre comité, j’ai également abordé l’importance de la divulgation volontaire d’information, qui va au-delà des exigences de la loi. Je me suis exprimée au sujet de la nécessité pour les institutions de communiquer plus d’information volontairement et indépendamment de l’obligation légale en matière de publication proactive, et je continuerai de le faire.
Durant ma comparution, il a également été question de l’utilisation du pouvoir discrétionnaire par les institutions pour divulguer davantage d’information. La Loi prévoit des exceptions qui sont discrétionnaires, comme l’article 23, qui protège les renseignements protégés par le secret professionnel de l’avocat ou du notaire ou par le privilège relatif au litige. Dans l’affaire Ontario (Sûreté et Sécurité publique) c. Criminal Lawyers’ Association, 2010 CSC 23, la Cour suprême du Canada a expliqué « [qu’un] pouvoir discrétionnaire conféré par une loi doit être exercé en conformité avec les objectifs sous-jacents à son octroi » et que, « pour exercer comme il se doit ce pouvoir discrétionnaire, la personne responsable doit soupeser les considérations favorables et défavorables à la divulgation, y compris l’intérêt public à ce qu’il y ait divulgation. » Même si, dans cette affaire, la Cour a conclu que, en raison de la nature quasi absolue du privilège relatif aux avis juridiques, la protection du privilège l’emportera sur les autres facteurs favorisant la divulgation, elle a reconnu qu’il peut y avoir des circonstances exceptionnelles pour lesquelles ce privilège doit céder le pas.
Les efforts en faveur de la réconciliation pourraient très bien être l’une de ces circonstances exceptionnelles. À tout le moins, il s’agit d’un facteur en faveur de la divulgation qui doit être pris en considération par les institutions lorsqu’elles exercent leur pouvoir discrétionnaire.
En outre, j’ai pu constater que l’âge des documents est aussi un facteur pertinent qui doit être pris en considération lors de l’exercice du pouvoir discrétionnaire. Les institutions doivent prendre en considération l’objet sous-jacent à l’exception et la question de savoir si l’intérêt sous-jacent à ce privilège pourrait en fait subir un préjudice en raison de la communication du document en cause, l’intérêt public dans la communication des documents, la probabilité ou l’absence de préjudice résultant de la communication, et la mesure dans laquelle la communication des renseignements contribuera à réaliser l’engagement du Canada envers la réconciliation et la reconnaissance des droits des peuples autochtones.
De plus, la Loi sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones exige que le gouvernement du Canada prenne toutes les mesures nécessaires pour veiller à ce que les lois fédérales soient compatibles avec la Déclaration, et qu’il élabore et mette en œuvre un plan d’action afin d’atteindre les objectifs de celle-ci. La Déclaration des Nations Unies fait état de la nécessité d’accéder à l’information gouvernementale, alors que le plan d’action 2023‑2028 du gouvernement fédéral présente les travaux en cours afin d’améliorer l’accès à l’information. Le gouvernement a l’obligation de prendre en considération la communication d’information dans ce contexte.
Enfin, comme vous le savez peut-être, le Comité permanent de l’accès à l’information, de la protection des renseignements personnels et de l’éthique a terminé une étude sur le système d’accès à l’information en juin dernier. Le Comité a recommandé que le gouvernement du Canada travaille avec les peuples autochtones pour éliminer les obstacles à l’accès à l’information ainsi que pour élaborer un mécanisme de surveillance indépendant qui assure un accès complet et rapide aux documents détenus par les institutions fédérales aux fins de la justification des revendications historiques. Je crois que les recommandations contenues dans ce rapport pourraient contribuer à améliorer l’accès à l’information et se concrétiser si le gouvernement s’engage à les mettre en œuvre.
Si vous et les autres membres du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones avez d’autres questions à la suite de la présente lettre, j’invite le personnel du Comité à communiquer avec Manon Côté, ma gestionnaire des Relations parlementaires et avec les parties prenantes, par courriel (parl@oic-ci.gc.ca).
Je vous prie d’agréer, Monsieur le Président, mes salutations distinguées.
Caroline Maynard
Commissaire à l’information du Canada
c.c. M. David M. Arnot, vice-président
Comité sénatorial permanent des peuples autochtones
Mme Andrea Mugny, greffière
Comité sénatorial permanent des peuples autochtones