Lettre à la présidente du Conseil du Trésor (juin 2024)

Le 17 juin 2024

Madame la Ministre,

La présente est pour vous informer que je déposerai demain au Parlement mon rapport annuel 2023-2024. Ce rapport expose en détail les activités du Commissariat à l’information au cours du dernier exercice et fait le point sur les plaintes, les opérations du Greffe, les enquêtes et le nombre croissant de litiges découlant des institutions qui ignorent ou contestent mes ordonnances. Veuillez noter que l’hyperlien ci-dessus sera activé une fois que le rapport sera déposé.

Vous constaterez que mon rapport annuel mentionne le déficit structurel auquel fait face le Commissariat pour les prochaines années; il s’agit d’une situation alarmante qui, malheureusement, nécessite que je fasse une demande budgétaire en dehors du cycle prévu à cet effet. Comme ce manque à gagner est attribuable aux augmentations de salaire découlant des conventions collectives négociées par le Secrétariat du Conseil du Trésor, mon équipe est en contact régulier avec vos représentants. Une lettre au ministre de la Justice suivra et je ne manquerai pas de vous tenir au courant de l’évolution de la situation.

La Stratégie en matière de confiance et de transparence

Par la présente, je reconnais également la publication de la Stratégie du gouvernement du Canada en matière de confiance et de transparence, le 29 mai dernier. L’annonce du gouvernement présente les deux piliers principaux sur lesquels reposera la réalisation de ses objectifs, à savoir le Plan d’action pour la modernisation de l’accès à l’information et le Plan d’action national pour un gouvernement ouvert. Dans la présente, je me contenterai de commenter le premier.

Comme vous vous le rappellerez, lors de notre première rencontre après votre nomination comme présidente du Conseil du Trésor, j’ai soulevé de sérieuses préoccupations au sujet de l’état du système d’accès à l’information à l’échelle du gouvernement fédéral. Ce sont des préoccupations que j’exprime depuis un certain temps déjà et j’ai à plusieurs reprises demandé au gouvernement de se pencher sur cette situation désastreuse. L’annonce de la Stratégie semble indiquer que le gouvernement s’intéresse de nouveau à l’accès à l’information après l’avoir longtemps négligé.

Le Plan d’action pour la modernisation de l’accès à l’information

Je suis ravie de constater que le Plan d’action aborde certains sujets que j’ai soulevés, notamment du soutien pour la dotation et la rétention du personnel au sein de la collectivité de l’accès à l’information, davantage de formation sur des sujets comme l’obligation de documenter ainsi que de l’orientation sur les pratiques de gestion de l’information et leur incidence sur l’accès à l’information. 

Je me dois cependant de souligner que, selon moi, le Plan d’action ne contient pas d’engagements concrets assortis de résultats mesurables. Je constate également qu’il contient plusieurs idées et initiatives qui avaient déjà été proposées dans le rapport du gouvernement sur l’examen de l’accès à l’information de 2022, mais celles-ci sont assorties de dates cibles moins ambitieuses.

Déclassification

Je suis également déçue de constater que les mesures concernant la déclassification présentées dans le Plan d’action pour moderniser l’accès à l’information ne semblent pas être liées aux initiatives existantes en matière de déclassification. Je fais notamment référence à l’établissement d’un groupe de travail et l’élaboration d’un cadre de déclassification, qui étaient mentionnés dans le rapport du gouvernement de 2022.

Dans la même veine, le Plan d’action ne fait pas le point sur le projet pilote de déclassification réalisé en 2021 par Sécurité publique, à la suite duquel, en 2022, il a été recommandé de divulguer entre 82 % et 100 % de 17 528 pages de documents historiques des années 1940 et 1950. Malheureusement, malgré mes appels à l’action répétés, ce projet pilote n’a abouti ni à la déclassification ni à la divulgation de la moindre page jusqu’à maintenant. Le rapport sur le projet pilote comportait huit propositions visant un programme de déclassification; aucune n’a été mentionnée dans le Plan d’action.

Dans le rapport de 2022, le gouvernement a indiqué que « Le projet pilote est une première étape importante pour déterminer comment un examen à grande échelle des documents historiques classifiés pourrait être entrepris, et la manière et la mesure dans laquelle la déclassification peut être effectuée de manière significative. » En revanche, le Plan d’action se contente de viser 2025-2026 pour « Mettre en place un groupe de travail responsable d’examiner les moyens de faciliter le traitement des demandes [d’accès à l’information] pour les documents hautement classifiés » et fournir des orientations générales sur la classification des documents.

Divulgation de documents historiques

Lors de notre première rencontre, j’ai noté votre volonté d’agir en ce qui a trait à la question des documents historiques. Dans un article du Globe and Mail paru le 30 mai dernier, la citation suivante vous est attribuée [traduction] : « il s’agit seulement d’une première étape. Il reste encore à faire […] nous divulguerons des documents historiques, un point c’est tout. » Par conséquent, j’interprète votre déclaration comme une indication que le gouvernement jette les bases en vue de proposer des dispositions de temporisation, comme l’ont recommandé plusieurs commissaires par le passé, dans le cadre de son prochain examen de la Loi sur l’accès à l’information. En l’absence d’un leadership et d’une gouvernance solides, l’expérience a démontré que des lignes directrices non contraignantes ne suffisent pas pour réaliser le changement nécessaire afin d’accroître la transparence gouvernementale.

Bien que je considère que le nouveau Document d’orientation sur la divulgation de documents historiques est déjà un pas dans la bonne direction, la communication de tous les documents englobés par les périodes visées risque d’être automatiquement refusée. Dans le cadre de mes enquêtes, je surveillerai l’interprétation que feront les institutions du Document d’orientation.

Examen législatif en 2025

La date fixée par le gouvernement pour le début de l’examen législatif est 2025, mais je demeure d’avis que des modifications à la Loi sont requises dès maintenant afin que les Canadiens et Canadiennes puissent profiter d’un système d’accès à l’information qui répond aux besoins du 21e siècle. À défaut de modifications législatives, je doute que l’objectif visé, à savoir d’accroître la transparence et de communiquer davantage de documents à la population canadienne, soit atteint.

Enfin, je ne vois pas en quoi le Plan d’action pour la modernisation de l’accès à l’information, qui, selon vous, « décrit la marche à suivre pour améliorer l’administration du cadre législatif actuel entre 2023 et 2026 », permettra d’obtenir ce résultat. En l’absence d’objectifs mesurables, je ne peux que demeurer sceptique à l’égard de la Stratégie dans son ensemble et du Plan d’action pour la modernisation de l’accès à l’information jusqu’à ce que je puisse constater des améliorations quantifiables et mesurables dans le système d’accès à l’information.

Je me tiens à votre disposition si vous souhaitez me rencontrer pour discuter plus amplement de tout point soulevé dans la présente.

Je vous prie d’agréer, Madame la Ministre, mes salutations distinguées.

Caroline Maynard
Commissaire à l’information du Canada

c.c. : Bill Matthews, secrétaire du Conseil du Trésor

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